Parmi les pages amoureuses de notre vieille histoire, on trouve la jolie bien que triste légende du mariage aux œufs de la belle Marguerite d’Autriche, gouvernante de Flandres, et de Philibert le Beau, duc de Savoie, qui se rencontrèrent un lundi de Pâques et dansèrent au milieu d’un champ d’œufs en évitant d’en casser un seul…
Leur mariage se fit bien amoureusement, dit la légende. Un pèlerinage conduisit la royale fiancée dans le charmant pays de Bresse, sur le versant occidental des Alpes, en un site délicieux « où jeune fille pouvait resver moult ! » Le castel de Brou était gai. On était heureux chez les serfs comme au manoir. Du haut de l’ogive, l’œil se perd dans une immense forêt qui s’avance jusque sur le territoire de Savoie.
Philibert II de Savoir, dit Philibert le Beau, un amoureux de chasse comme jadis Gaston Phœbus, vint au château rendre hommage à la belle princesse d’Autriche. C’était un lundi de Pâques. On dansait au joli village de Bourg et, châtelains et châtelaines, serfs et manants s’amusaient, affirme la légende qui ajoute que les vieux tiraient de l’arc sur un tonneau plein : quand une flèche se plantait bien avant dans la barrique, l’adroit archer villageois pouvait boire au tonneau. « Jusqu’à merci » les autres ensuite.
Garçons et fillettes s’amusent ailleurs :
Adoncques les fillettes,
Fiancés et jouvenceaux,
Commençaient les rondeaux
Quand venaient les musettes.
La belle Marguerite d’Autriche — petite-fille de Charles le Téméraire, fille de Marie de Bourgogne et de l’empereur Maximilien Ier —, entourée des châtelaines du voisinage, assistait à tous ces ébats champêtres. Une centaine d’œufs étaient éparpillés sur le sable, et deux garçons et deux fillettes devaient exécuter, en se tenant par la main, certaine danse du pays. Ainsi le voulait la coutume, et si ces jeunes gens dansaient sans casser les œufs, ils étaient fiancés, même la volonté des parents ne pouvait s’opposer à celte union. On renouvelait l’épreuve trois fois, et jeunes et vieux, châtelains et vassaux, faisaient cercle autour des danseurs : les éclats de rire raillent les maladroits.
On était au milieu de cette franche gaieté, quand, tout à coup, le son du cor retentit et le beau Philibert de Savoie apparut au milieu de son équipage brillant de noblesse et de jeunesse. Il fléchit le genou devant les nobles châtelaines et demanda l’hospitalité. La fête recommença plus bruyante et plus magnifique. Les hôtes voulurent prendre part aux jeux populaires. Philibert proposa la danse des œufs à Marguerite qui l’accepta.
Qu’ils étaient beaux et amoureusement enlacés les deux nobles jeunes gens, Savoie et Autriche ! comme criait la foule ! Ils n’eurent garde de casser le moindre œuf. La danse fut heureuse et Marguerite, rouge de plaisir, mit alors sa main dans la main de Philibert et lui dit : « Adoptons la coutume de Bresse. » C’est ainsi qu’ils furent fiancés, et les bardes du pays chantèrent les refrains de la légende :
Beaux époux de notre lignée,
Dansez, dansez au saint Lundy,
La couronne de l’épousée
Fait honneur au nom du mary.
La fleur d’Autriche, ô Marguerite !
Ternit déjà la fleur des bois :
Ah ! qu’il est beau l’amour des rois
Quand au bonheur Dieu les invite !
Mais leur bonheur n’eut pas de lendemain, la mort fut jalouse de tant de joie. Philibert mourut, mais jamais la noble gouvernante des Flandres n’oublia son Philibert bien-aimé. Elle lui dédia, en 1511, un magnifique mausolée, chef-d’œuvre de l’art romano-gothique des premiers temps de la Renaissance, l’église de Notre-Dame de Brou, se réservant d’aller un jour dormir du sommeil éternel à côté de l’époux adoré.
C’est encore avec respect que le visiteur admire ce magnifique bijou d’architecture et se souvient de la touchante légende que nous venons de raconter en quelques mots.