Le dernier bilan officiel de l’opération terroriste du Bardo fait état de 23 décès, dont 20 touristes parmi lesquels il y a 3 Français. L’on compte également 47 blessés, dont 5 dans un état grave. C’est une tragédie pour les familles des victimes, et un coup dur pour l’économie tunisienne, qui était déjà agonisante depuis la “révolution bouazizienne” de janvier 2011.
A l’exception du 11 avril 2002 et des attentats d’août 1987 contre des hôtels à Sousse et à Monastir, perpétrés par les islamistes “modérés” d’Ennahdha et plus exactement par Hammadi Jebali, qui deviendra après la” révolution du jasmin” le chef du gouvernement de la troïka, jamais la Tunisie n’avait connue une attaque aussi spectaculaire et sanglante. L’attentat contre la synagogue de Djerba en avril 2002, commis par des jeunes de la “diversité” française et revendiqué par Al-Qaïda, avait fait 19 morts, tous des touristes Allemands. Craignant pour son secteur touristique, le gouvernement tunisien avait commis à l’époque une grave erreur de communication : maquiller cet attentat en “accident” dû à l’explosion d’une bouteille de gaz. Paradoxalement, les islamistes tunisiens et leurs idiots utiles en France disaient que Ben Ali simulait l’épouvantail du terrorisme islamiste pour maintenir sa chape de plomb sur la Tunisie. S’il est vrai que Ben Ali savait jouer de la menace islamiste et terroriste, il n’en demeure pas moins vrai que celle-ci était bien réelle et absolument périlleuse.
Considéré à cette époque comme étant “proche du régime”, j’avais été le seul à rompre l’omerta en dénonçant “cet attentat terroriste, assurément antisémite, qui plus est frappé de l’estampille de l’islamisme radical” (Les leçons d’un attentat, dans Le Figaro du 20-21 avril 2002). Plus importante que cette dénonciation qui m’avait alors coûtée les foudres de Ben Ali, j’avais pointé du doigt la responsabilité de l’Europe dans la prolifération de ce que j’ai toujours appelé l’islamo-fascisme : “Ce n’est plus les pays du Sud qui exportent vers les pays du Nord leurs déchets radioactifs intégristes, mais l’inverse. C’est ce que les plus hautes autorités tunisiennes, algériennes et égyptiennes disent depuis bien longtemps à leurs partenaires occidentaux qui, par leur laxisme ou leur cynisme, ont contribué à la métastase de la gangrène islamiste…Toutes secousses au Proche-Orient ou au Maghreb aura désormais de graves conséquences architectoniques en Europe…”
Je fais ce rappel pour dire aux gladiateurs européens de l’anti-terrorisme, qui ont abrité les islamistes chez eux, avant d’applaudir unanimement le “printemps arabe”, que leurs condamnations aujourd’hui et leurs messages d’amitié à la Tunisie sont certes louables, mais ils n’effaceront pas leur responsabilité dans la prolifération du terrorisme et du djihadisme islamiste partout dans le monde.
Si les déclarations du président François Hollande et de son premier-ministre Manuel Valls touchent les Tunisiens par leur authenticité et crédibilité, on ne peut pas en dire autant de l’homélie pharisienne de Monsieur Sarkozy : “Au nom de l’UMP, j’adresse à leurs familles et à leurs proches toutes mes condoléances et ma solidarité face au drame qui les touche (…) La France toute entière est aux côtés de la Tunisie, de ses autorités et de son peuple dans cette épreuve (…) Plus que jamais la France et ses alliés doivent combattre sans faiblesse la barbarie terroriste où qu’elle se trouve parce qu’elle est une menace pour nos pays, et parce qu’elle est l’ennemie de la civilisation”.
On ne peut pas être et avoir été ? Peut-on prétendre combattre sans faiblesse la barbarie terroriste, lorsqu’on a été son allié déterminant dans la campagne de type néocoloniale, qui a été conduite contre la Libye et dont on mesure les conséquences chaotiques aujourd’hui ? Nicolas Sarkozy savait parfaitement que son fantoche “Conseil national de transition libyen” était majoritairement islamiste et qu’il comptait même dans ses rangs un ancien membre d’Al-Qaïda, Abdelhakim Belhadj. Nicolas Sarkozy savait intimement que les quantités d’armes impressionnantes livrées par la France, payées par le Qatar et introduites en Libye par les frontières sud de la Tunisie, allaient forcément tomber entre les mains des islamo-fascistes que le philosophe-guerrier, Bernard-Henri Lévy, présentait alors comme de vaillants révolutionnaires et combattants de la cause démocratique et droit-de-l’hommienne.
Nicolas Sarkozy savait, mais il y est allé quand même, suivant en cela l’exemple de George W. Bush dans sa croisade contre l’Irak en 2003. C’est ce précédent qui a autorisé certains occidentaux à aller casser de l’Arabe ou de l’Africain, en toute impunité, sous le prétexte fallacieux des droits de l’homme et du messianisme démocratique.
Lorsqu’on a été le complice utile de l’émirat bédouin du Qatar, qui soutient l’Internationale islamiste et qui finance toutes ses ramifications terroristes dans le monde arabe, en Afrique et même en Europe, il faut avoir la décence de se taire, faute de s’excuser auprès des peuples libyen et tunisien qui subissent aujourd’hui les conséquences dramatiques de la destruction programmatique de la Libye. Près de 4 millions de Libyens vivent aujourd’hui en exil, dont la moitié est en Tunisie. Les autres, restés dans cette Libye implosée et livrée à une guerre fratricide entre les différentes factions islamistes, vivent dans l’insécurité et bientôt la famine. Le sinistre “Etat islamique” (Ei), qui a revendiqué l’attaque terroriste du Bardo, contrôle depuis déjà quatre mois une bonne partie des territoires libyens, en attendant la grande offensive, y compris sur le sud tunisien. Selon Rafik Chelly, le secrétaire d’Etat tunisien chargé des affaires sécuritaires, “les deux auteurs de l’attentat du musée du Bardo à Tunis se sont formés au maniement des armes en Libye”, dans des camps d’entraînement de djihadistes à Sabratha, Benghazi et Derna, initialement supervisés par le Qatar et la Turquie, pour les envoyer mener le “djihad démocratique” en Syrie, où le premier contingent arabe de terroristes est de nationalité tunisienne et le premier contingent européen de terroristes est de nationalité française. Jusqu’au traumatisme de janvier dernier en France, certains apprentis sorciers semblaient avoir oublié que l’islamo-terrorisme, boosté par le “printemps arabe”, ne connait ni religion, ni nation, ni pays, ni frontières, ni culture.
Bien plus profondément encore que le chaos libyen, c’est le “printemps arabe” qui a ouvert la boîte de Pandore d’où sont sortis les barbares de l’EI, du Front Al-Nosra, d’Ansar Al-charia, de Boko Haram, d’AQMI, du Mujao, d’Ansar Eddine… appellations multiples qui se ressourcent toutes dans l’islamisme originel et matriciel des Frères musulmans. L’ennemi n’est donc pas seulement ces ramifications métastatiques du terrorisme international, mais l’idéologie islamiste, qui est théocratique, totalitaire et universaliste. Autrement dit, cet islamisme politique qui ne cherche pas seulement à s’implanter dans les pays arabes, mais partout dans le monde, à commencer par l’Europe, “la citadelle des croisés”, comme l’appellent les islamistes, et qui est à conquérir parce qu’elle est politiquement fragile et spirituellement désarmée, toujours selon la littérature islamiste.
C’est cette réalité que le monde occidental n’arrive pas à assimiler parce qu’elle échappe à sa rationalité cartésienne. C’est ce manque de clairvoyance politique et de sens géopolitique qui a fourvoyé certaines élites françaises, de gauche comme de droite, dans la célébration de “l’islamisme modéré”. Dès lors où l’on a accepté, cautionné et défendu la thèse de l’islamisme modéré charrié par le “printemps arabe”, on avait implicitement admis sa reconnaissance et son existence en Europe.
L’omnipotence des dictatures arabes devait sans aucun doute prendre fin, mais pas au prix des valeurs universelles et de la modernité auxquelles aspiraient les populations arabes, et encore moins pour céder le pouvoir aux islamistes, fut-ce par des élections “démocratiques” et “transparentes”. Malgré le terrorisme qui les frappe, les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Syriens, les Irakiens, aspirent toujours à ses valeurs universelles. La question est désormais de savoir si l’Occident y croit toujours, aussi bien pour lui que pour “ces Arabes” du Maghreb et d’Orient!