L’affaire est connue : le « bon » citoyen « responsable » sera toujours prêt à échanger une véritable liberté contre un semblant de sécurité. Du coup, les caméras de vidéosurveillance, en attendant celles à « reconnaissance faciale », fleurissent en nos villes et nos villages. A-t-on déjà vu l’un de ces engins se décrocher du mur pour alpaguer un voyou ? Jamais.
Comme si le personnel politique, incapable de faire face aux ravages d’une délinquance grandissante, s’en remettait à une technologie aux vertus magiques pour pallier ses propres insuffisances. L’intelligence sera peut-être artificielle ; mais la bêtise, elle, demeure humaine. D’une délinquance l’autre : après la « crapuleuse », on nous vend désormais la « routière ». Là encore, au lieu de privilégier bon sens et convivialité – on s’arrête pour laisser passer la vieille dame et on lui fait le plus gentil des sourires –, les gadgets idiots se multiplient à l’infini.
Le dernier en date ? Des passages piétons en 3D dans la région nantaise. De quoi donc s’agit-il ? De simples trompe-l’œil donnant l’impression que les traditionnelles bandes blanches peintes sur le bitume seraient désormais à peine moins hautes que la muraille de Chine. Explications de Nantes métropole, relayées par 20 Minutes : « En donnant l’effet de relief, ce nouveau type de matérialisation des traversées piétonnes a pour but de responsabiliser les automobilistes en les faisant ralentir. Cela repose sur un jeu de couleurs, visible de nuit, qui donne un effet en trois dimensions. »
Bref, à défaut d’être « ludique » et « interactif », le bidule a-t-il au moins vocation à briller, tel un miroir de maison close ? Non. Dommage, parce qu’avec une boule à facettes et David Guetta aux platines, Nantes n’aurait plus été qu’à quelques encablures d’Ibiza. Recouvrant un semblant de bon sens, un certain « Jean-Bernard », encore interrogé par 20 Minutes, remarque néanmoins : « Sur les photos, on a l’impression que l’on va rouler sur une brique. » Et un adjoint à la voirie, toujours selon les mêmes sources, de noter : « Ça marche pour les gens de l’extérieur. Ceux du coin ont compris que c’était un leurre. » On ne louera jamais assez le bon sens des gens du coin.
Si le temps long est nécessaire pour embellir un paysage, urbain comme champêtre, le temps court est amplement suffisant pour le défigurer durablement. Regardez une rue d’un bled de jadis. Un peu de goudron et quelques herbes folles, des vaches dans un champ et des cochons dans le fossé, une église et un troquet.
La même aujourd’hui ? Trois ronds-points, ornés de panneaux publicitaires ; les uns pour le centre commercial du coin et les autres pour la Sécurité routière d’à côté, nouveaux totems postmodernistes que l’on sait. Un kebab à la place du caboulot, une église aux portes closes, trois agences immobilières et autant de tonnes d’ennui.
Et puis, du goudron bariolé de lignes blanches aux significations de plus en plus kabbalistiques – bien la peine de lutter contre les tags sur les murs pour qu’ils se multiplient sur la chaussée –, des dos d’ânes et des chicanes, des avertisseurs de ceci ou de cela, des injonctions à ralentir, des radars, une fois pédagogiques et l’autre punitifs. Et maintenant, des peinturlurages tridimensionnels qui auraient même fait peur aux Beatles, malgré les substances illicites d’alors, quand enregistrant Abbey Road, avec pochette illustrée d’un passage piéton (même pas en 3D).
Arrêtez le monde, je veux descendre en marche !
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire