L’abbaye de Jumièges est un des plus anciens et des plus importants monastères bénédictins de Normandie. S’il ne reste aucun vestige apparent de l’époque de sa fondation au VIIe siècle, sa visite est une traversée de neuf siècles d’architecture, du IXe au XVIIe siècle.
L’abbatiale Notre-Dame, principale église de l’abbaye, en est le fleuron. Elle est un exemple exceptionnel d’architecture romane normande. Dans le souci de garder toute son authenticité au monument, la reconstruction de Jumièges n’a pas été envisagée. Des travaux de consolidation et de protection des maçonneries sont toutefois régulièrement programmés pour préserver autant qu’il est possible ses structures et son décor.
Fondée vers 654 par saint Philibert, l’abbaye applique dès ses débuts la règle de saint Benoît et connaît un essor très rapide. Dès 841, elle est dévastée par les Vikings, dont les raids obligent les moines à abandonner le site pendant dix ans.
Après la création du duché de Normandie, Guillaume Longue Épée favorisera sa renaissance. Elle ne retrouve vraiment la prospérité de ses origines qu’au XIe siècle qui voit la reconstruction de l’abbatiale Notre-Dame inaugurée par Guillaume le Conquérant en 1067.
Les mauristes engageront des travaux significatifs aux XVIIe et XVIIIe siècles. Après le départ des derniers moines en 1790, les bâtiments seront vendus comme bien national et serviront de carrière de pierre de 1796 à 1824.
Les ruines seront ensuite entretenues grâce au rachat en 1853 par la famille Lepel-Cointet, puis par l’État en 1946. L’abbaye est devenue propriété du Département de Seine-Maritime en 2007.
Une fois la porterie franchie, la façade de l’église Notre-Dame suscite l’admiration. Élevé autour de 1060, la façade comporte un porche en avant-corps abritant une tribune à l’étage, avec deux grandes tours d’escalier de part et d’autres. L’ensemble impressionne par sa majesté et sa simplicité austère. Les tours, de plan quadrangulaire, présentent au-dessus d’un mur lisse deux étages décorés d’arcatures, puis deux niveaux octogonaux de hauteur inégale. Ces derniers, à la structure complexe, agencés de façon différente d’une tour à l’autre, témoignent des premières recherches des architectes normands dans le domaine de la plastique murale.
Dans l’église, avec une élévation de 25 mètres, la nef qui avait à l’origine un plafond de bois, est la plus haute nef romane de Normandie. Elle comporte huit travées délimitées alternativement par des colonnes cylindriques (piles faibles) et des piliers de maçonnerie de forte section (piles fortes). Les murs qui encadrent la nef comptent trois étages: celui des grandes arcades au rez-de-chaussée, un niveau intermédiaire de baies ouvrant sur des tribunes au-dessus des bas-côtés, une rangée de fenêtres à l’étage supérieur. Les chapiteaux des grandes arcades se résument à des cubes à peine dégrossis; on suppose qu’ils portaient un décor peint, aujourd’hui disparu. Seul le collatéral nord a conservé son couvrement d’origine.
De la grande tour qui s’élevait à la croisée du transept il ne subsiste que le mur ouest, avec sa tourelle d’escalier accrochée à l’angle nord. Au sommet se voient deux rangées d’ouvertures. Celles du haut correspondent à l’étage des cloches, celles du bas aux fenêtres qui éclairaient le milieu de la croisée: de là le nom de « tours-lanternes ».
Le chœur roman est complètement disparue. Tout ce qui subsiste aujourd’hui dans cette partie orientale résulte d’une reconstruction des années 1267 à 1278. Ce chœur gothique était constitué d’une couronne de sept chapelles autour d’un déambulatoire. La seule chapelle intacte est la deuxième du rond-point au sud. Celle qui lui est contiguë, vers le transept, a perdu sa voûte d’ogives. En sortant du bras sud du transept, on rejoint l’église Saint-Pierre par une galerie couverte.
La nef et le chœur furent reconstruits au XIIIe siècle. C’est en mémoire des dispositions décrites dans le texte carolingien que l’on construisit, au dessus de la chapelle Saint-Martin, une « chambre de saint Philibert », évocation de la cellule où aurait vécu le fondateur de l’abbaye. Les parties de la nef carolingienne sont les seuls vestiges de la période antérieure aux raids vikings.
De la nef sont conservées deux travées à deux niveaux. Celui du bas est occupé par de grandes arcades et au-dessus l’on retrouve des médaillons en creux. Détruite après la révolution, l’abbaye de Jumièges présente aujourd’hui de puissantes ruines magistrales.
Au XIXe siècle, Victor Hugo l’aurait qualifiée de « la plus belle ruine de France ». L’atmosphère mystérieuse qui se dégage des lieux, la splendeur des architectures mutilées, le calme du parc et des allées ombragées sont autant d’ingrédients qui séduisent les amateurs de promenades romantiques.