Le XXe siècle fut celui des idéologies. Le XXIe, Malraux le prophétisa siècle des religions. Qu’on le veuille ou non, nos sociétés individualistes, peuplées de consommateurs-jouisseurs, se trouvent rapidement sur la touche, esseulées et démunies face à l’adversité ou ces petits couacs de l’existence qui vous tancent. Pourquoi sommes-nous là, quel quantum de souffrance sommes-nous prêts à accepter ? La mort surtout, qui s’efface de plus en plus de nos horizons, qu’on voudrait même jusqu’à faire disparaître mais qui ne cesse néanmoins de nous angoisser. Comme la douleur, désormais inacceptable.
Cependant, malgré tout, aujourd’hui, la religion envahit notre quotidien : le réveil identitaire, le besoin de sens nés de la confrontation des cultures. Peut-on, doit-on parler de choc face à un Occident sécularisé et désidéologisé ? Un Occident qui ne s’assume plus, qui ne joue plus son rôle d’éveilleur, de passeur.
C’est cet absolu absent, enfoui au plus profond de nous-même, qui va pousser Romaric Sangars à se lancer dans le dédale foisonnant de la quête de Dieu. Rien de bien glorieux comme genèse : des signes du quotidien, des cassures si ce n’est des fêlures propres à chaque famille, à chaque individu. Le décès d’un frère qu’on ne connaîtra pas ; une jeune femme, Estelle, aimée, désirée, et qui vous échappe. La province, les années de lycée, un groupe de musique, l’alcool et les plaisirs tabagiques, la montée à Paris, ville de tous les espoirs et de toutes les chutes. Et puis, après de nombreux détours, une conversion qui se fait jour, au travers d’une nuit peuplée de rêves éveillés.
Sangars est un garçon qui rapidement connut la soif, celle d’un idéal qu’il ne parvenait pas à retenir, à définir. Il tournoyait autour, dans la posture, à travers la confrontation d’un monde d’adultes qui, sans en faire encore partie, lui était déjà étranger.
Céphalophore des temps modernes, il s’en ira, à son tour, questionner le monde.
Mais cette fois-ci, à l’instar d’un Charles Péguy, tout se finira au pied de la croix. En pèlerin de l’Absolu, il s’en ira à Chartres, qui sonne et qui t’appelle, suivant les autoroutes de la modernité, une barrière de sécurité pour tout viatique et quelques belles rencontres. Oniromancien, Sangars interroge l’arrière-monde ; délié de tout, il se confronte à l’absolu dans le mystère et la communion, la kénose pour étendard. Errance et verticalité, morale aristocratique et profondeur, ou comment réinventer une attitude face au monde contempourien.
Une aventure intérieure, en dent de scie, prend la forme d’un grand tumulte invisible qui l’amène à s’abandonner à la Providence. Humilité et naïveté touchantes caractérisent ce jeune écrivain avide de sens. Sincère, il ne tombe pas dans l’extrémisme des nouveaux convertis, et nous lui en sommes gré.
Patrick Wagner – Présent
- Romaric Sangars, Conversion, Editions Léo Scheer, 176 pages, 17 euros,