Arletty. Si mon cœur est français de David Alliot

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Comme tous les grands artistes, Arletty réunit auprès du grand public le paradoxe d’être à la fois très connue et méconnue. Combien parviendraient à citer les titres de ses apparitions en dehors de ses trois plus emblématiques films : Hôtel du Nord (1938), Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du Paradis (1945) ? Arletty fut incontestablement une star, elle est aujourd’hui un fantôme, un fantôme dont le nom est familier au plus grand nombre, mais un fantôme tout de même.

De la star, Alliot rappelle qu’elle fut durant les années d’Occupation « l’actrice française la plus populaire, la plus courtisée, la plus emblématique et, de loin, la mieux payée de son temps ». Du fantôme on ne retient, comme nous l’avons dit, que quelques titres et surtout ces répliques cultes qui écrasent bien souvent de leur poids les malheureux qui les ont prononcées. C’est bien la fameuse « atmosphère » qui a fait entrer Arletty dans la légende du cinéma français et qui en fait aujourd’hui perdurer mollement la flamme. Le mérite de David Alliot est de redonner à Arletty toute son ampleur et, à cette actrice qui peut paraître bien légère, un peu de sa densité.

Lumière sur l’Occupation
Il faut être également reconnaissant à Alliot de traiter avec beaucoup de précisions et d’honnêteté les années d’Occupation. La période est familière à ce grand spécialiste de Céline qui, habitué aux mauvaises fréquentations historiques, n’en fuit pas moins la posture réhabilitante. Simplement, à la question – qui est bien souvent aujourd’hui la seule qui compte – de savoir si Arletty « a objectivement collaboré », le biographe est catégorique : « La réponse est non. » A l’appui de sa démonstration, il rappelle qu’Arletty ne s’est jamais rendue en Allemagne et qu’elle n’a pas tourné un seul film pour l’incontournable Continental-Films. Sa seule collaboration fut donc « horizontale », selon la formule consacrée, après être tombée sous le charme d’un officier teuton au début de l’année 1941. Hans Jürgen Soehring sera le seul crime à retenir lorsque les épurateurs se mettront à l’ouvrage. Cela suffira tout de même à envoyer Arletty à Drancy, en même temps que l’écrivain Fabre-Luce. Contrairement à ce dernier, elle n’y passera qu’une semaine et sortira de cette période troublée avec un simple blâme prononcé à l’hiver 1946 par le président de l’Union des Artistes.

Une femme de courage
David Alliot peint le portrait attachant d’une actrice qui pouvait sembler superficielle – et il faut bien admettre qu’elle ne sombra jamais dans des abîmes de gravité – mais qui témoigna à plusieurs reprises d’un indéniable courage. Alors qu’Otto Abetz lui avait proposé de fuir vers l’Allemagne, Arletty a tenu fermement à rester à Paris. Lorsque ses fenêtres du quai Conti furent mitraillées le 20 août 1944, elle ne s’échappa que pour le IXe arrondissement, avant d’atterrir à Choisy-le-Roi. Ses répliques, hors caméra : « Je pense qu’on ne tue bien qu’à Paris » et « Si mon cœur est français, mon c… est international » resteront dans les esprits. Preuve qu’Arletty savait jouer avec les mots, sans avoir à les lire sur un script. Il fallait bien qu’elle ne soit pas simplement un joli minois pour entretenir avec Céline une longue amitié débutée en 1941. Dans les folles années du Paris occupé, elle côtoya Drieu, Bonnard, Luchaire et une plume allemande de haute tenue : le capitaine Ernst Jünger. C’est avec délice que vous retrouverez leur compagnie.

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Arletty. Si mon cœur est français, David Alliot, Tallandier, 304 pages, 19,90 euros.

Pierre Saint-Servant – Présent

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