(NOVOpress)
À l’occasion des fêtes de fin d’année, les rédacteurs de Novopress vous proposent de découvrir une sélection de livres à travers des extraits choisis. Aujourd’hui, nous vous proposons un extrait de l’autobiographie de Lajos Marton, l’un des derniers commandos encore vivants ayant participé à l’attentat contre De Gaulle au Petit-Clamart en août 1962, Ma vie pour la patrie !, édité par Les Amis du Livre Européen en 2012. Il s’agit d’un témoignage précieux de notre histoire récente.
(…) Peu de temps après, je revois Antoine. Bien sûr, il ignore ma participation au commando Charlotte Corday. - Je vais te présenter à une personnalité extraordinaire, un as du renseignement. Tu dois le connaître d’ailleurs, par la presse. Il était avec De Gaulle à Londres, l’un des créateurs du BCRA, réseau Brutus, puis ancien chef-adjoint du SDECE. Je lui ai donné tes coordonnées. - Tu es fou ? À un ancien gaulliste ? - Non mais écoute ! Il est avec nous !
Cela ne me plait pas du tout ! Antoine m’amène dans une rue donnant sur les Champs-Élysées. C’est un nouveau PC, jamais utilisé. Une famille hungaro-française nous reçoit chaleureusement. Puis, Pierre Fourcaud arrive. - Bonjour Langlais. Heureux de faire votre connaissance. Félicitation pour Villacoublay. Ça me plait ! Beaucoup d’anciens du DEC n’auraient pas fait mieux.
Antoine est trop bavard, pensais-je. Nous parlons à bâtons rompus pendant une demie heure, au moins. Je dois raconter toute ma vie au nouvel arrivant ; il sourit quelquefois. - Vous savez ma mère était Russe. Après la Première Guerre mondiale, je vivais quelque temps en Union soviétique. Je baragouinais le russe, j’étais habillé comme un clochard. À Paris, dans les milieux du renseignement on annonçait fièrement que la France avait une « antenne » en Russie !, dit-il en riant.
Il a une mémoire d’éléphant et une expérience hors pair. Je lui parle de la série noire d’arrestation de nos chefs. Le colonel reste optimiste contre vents et marées.
Quae Volumus, credimus libenter (Ce que nous voulons, nous le croyons facilement). - Je suis dans l’annuaire, mais notez en tête quand même mon adresse et mon numéro de téléphone : 33, avenue Charles Floquet Paris VIIe – tél. 567-18-42. Nous serons amenés à nous revoir rapidement.
En effet peu de jours après, une réunion a lieu à ce PC, sous la direction du colonel PF. Antoine est le troisième membre présent. Son visage, habituellement impassible, exprime cette fois une solennelle détermination.
Sur la table on a étalé une énorme carte d’état-major qui représente le sud-ouest européen et un peu le nord de l’Afrique, donc le pourtour méditerranéen. -Messieurs, cette réunion doit être considérée comme ultrasecrète. Nous sommes en possession de renseignements extrêmement précis sur un objectif. Si l’opération réussie, cela pourrait encore changer la suite des choses.
Il montre des photos aériennes et des croquis. - Cela représente le lieu de résidence du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République algérienne) à Tunis. Sur les croquis, vous voyez la disposition des pièces, l’emplacement des gardes, des sentinelles, la fréquence des patrouilles. Tout cela est très récent. Objectif : liquider totalement le GPRA, s’emparer de tous les documents se trouvant dans leur villa. Nous prévoyons une quinzaine d’hommes pour nous.
Le colonel emploie toujours le plurale majestatis (« le pluriel royal »). Nous, c’est qui ? Il continue : - L’argent et l’armement ce n’est pas un problème. C’est réglé, ne me posez pas de question. Sachez seulement : crédit illimité et armement ultra-moderne à notre disposition. Il y a des milliers de paras en France.
C’est le bateau qui est le gros souci…Il faudrait un bateau de pêche ou un yacht puissant, avec son capitaine, bien sûr. En plus, le temps presse. Que pensez-vous de ce projet ? Pouvons-nous réunir tous les éléments ?
Antoine prend la parole :
– A priori, tout est possible. Moi, j’aurai dit que l’argent et les armes sont les plus difficiles à se procurer, mais si ce problème est résolu…les paras ? Il y en a actuellement des centaines de sous-officiers dans l’Est de la France qui, grâce à De Gaulle, s’ennuient comme des rats morts. Je connais personnellement une demi-douzaine d’officiers qui ont sûrement envie de faire un coup fumant. Ils partiraient pour deux semaines de permission. Reste le bateau. - C’est déjà excellent comme début. Reste le bateau, mais c’est un sacré problème.
Il se penche sur la carte et explique : - Deux routes possibles : longer la côte italienne, à une distance de dix nœuds marins, donc en dehors des eaux territoriales, ou bien à l’ouest de la Corse et de la Sardaigne. - Y a t-il une chance d’arriver dans la baie de Tunis sans être aperçu avant ?, demandè-je, bêtement. - Mon vieux, cela nous semble très possible. Sans cela, nous ne parlerons pas de cette opération…On se réunit dans quelques jours ? Dans deux jours, ici même ?
On est d’accord. Je pars sur-le-champ avec Antoine. On se regarde incrédules !
Quand le colonel dit « nous », c’est qui ? Ses anciens collègues du SDECE ? Car c’est l’évidence même qu’il n’a jamais rompu ses contacts avec la « Piscine ». Ou Michel Debré qui retourne à ses premières amours, bourré de remords après avoir trahis l’esprit du « Courrier de la Colère » ? Ou même l’entourage de Pompidou ? Car enfin, Hitler n’aurait-il pas fait autant pour Otto Skorzeny lors de la libération du Duce ? « Skorzeny, si vous ne réussissez pas, je serai obligé de vous désavouer publiquement. Mais vous allez réussir ! »
De Gaulle a dit tout et le contraire de tout…Si crédit illimité et armement ultra-moderne, des photos aériennes : tout cela ne vient pas de l’épicerie du coin. Voici les idées que j’échange avec Antoine. - Je prends tout de suite le contact avec nos paras de Metz, de Nancy, sur la pointe des pieds. Et creusons-nous la cervelle pour ce bateau fantôme. J’ai l’impression que ce sera extrêmement dur d’en trouver un, que c’est le point d’achoppement de toute cette opération. - C’est mon avis aussi, dis-je.
Lajos Marton, Ma vie pour la patrie ! Les Amis du Livre Européen (2012).