Nouvelles de France a rencontré Marc Crapez, chroniqueur et chercheur en science politique, pour aborder la très médiatique question de la montée du Front national.
Marc Crapez, un sondage donne déjà 24% au Front national pour les européennes. Comment voyez-vous les résultats de ces élections, en France et dans le reste de l’UE ?
24% ! Les présentateurs vedettes de France 2 évoquent une « vague » et un « décollage ». Le Tout-Paris est en émoi. Quelques jours après un résultat de 49% à une élection partielle, voilà qu’un sondage donne 24% à Marine Le Pen, contre 22% à l’UMP et 19% au PS. Sauf que ce sondage n’a pas de sens, car il ne porte pas sur le prochain scrutin, les municipales, mais sur celui d’après, les européennes. En second lieu, les chiffres actuels sont presque copie conforme à ceux publiés en mars 2011, qui donnaient 23% à Marine contre 21% à ses rivaux UMP et PS. Des intentions de vote démenties un an plus tard, au soir du 1er tour de la présidentielle.
Mais le tohu-bohu médiatique est surpuissant car l’idée d’une montée du FN est partagée par les pros et les antis-FN, les uns et les autres voulant y croire, ou y croyant dur comme fer, car cela justifie leur militantisme pro ou anti. Pourtant, à observer le Front national dans la durée, il n’a progressé que de 11% en 1984 à 18% en 2013, ce qui est très peu au regard des bouleversements intervenues depuis 30 ans. Mais le moindre indicateur est sur-interprété sur l’air des lampions de la « montée », entrecoupé de temps à autre par le refrain du « feu de paille ».
Régulièrement, on joue à se faire peur en exhibant le monstre en place publique. On prouve par A + B le pouvoir de nuisance de la sorcière afin de pouvoir la brûler symboliquement. On resserre ainsi les rangs autour du culte antifasciste qui ressoude la gauche. Tout ceci est évidemment ridicule, 70 ans après la défaite du fascisme et 30 ans après la disparition des derniers régimes dictatoriaux d’extrême-droite de la surface de la planète.
“Le FN résulte des promesses non tenues par les Présidents successifs (« le changement », « la fracture sociale », « la rupture », « le changement c’est maintenant ») et, en particulier, des désillusions engendrées par la gauche au pouvoir.”
Lors d’une cantonale partielle récente, le grand vainqueur a été l’abstention tandis que le FN stagnait. La normalisation du FN ne risque-t-elle pas de l’inclure dans le groupe des partis que les Français rejette ? Comment se normaliser sans devenir un parti comme les autres ?
En effet, c’est plutôt une stagnation. Brignoles est un canton de gauche qui avait déjà été FN. Marine Le Pen a normalisé le FN aux yeux de la majorité des Français. Elle a l’air comme tout le monde et a renouvelé les cadres du mouvement, qui ne sont plus des nostalgiques de l’extrême-droite traditionnelle.
Qu’importe ! Le feuilleton de l’été a vu les élites s’accuser mutuellement de fascisme. Montebourg accuse Bruxelles de faire monter l’extrême-droite. Barroso riposte en déclarant que « certains souverainistes de gauche font exactement la même politique que l’extrême-droite ». Mélenchon accuse Valls de « lepénisation ». Eva Joly le traite de « populiste ». Hollande diagnostique autour du mariage gay la « radicalisation d’une droite de type Tea Party… Il est nécessaire pour la majorité d’avoir une réponse idéologique forte autour des valeurs de la République ». La République serait en danger. Harlem Désir érige la lutte contre l’extrême-droite en priorité du parti socialiste et déclare que « le Front national est plus que jamais une menace réelle »… Le journaliste Eric Conan ironise sur ce petit parti qui fait peur à un parti socialiste qui, à tous les échelons électoraux, est majoritaire comme jamais aucun parti ne le fut en France. C’est effectivement l’éléphant qui a peur d’une souris. Quant à ce début d’automne, il est marqué par l’épisode Fillon sur les électeurs FN et les anathèmes de Duflot contre Valls.
Comment l’UMP doit-elle faire pour (re)devenir le grand parti de l’opposition et ne pas se faire damer le pion par le FN ?
Le FN résulte des promesses non tenues par les Présidents successifs (« le changement », « la fracture sociale », « la rupture », « le changement c’est maintenant ») et, en particulier, des désillusions engendrées par la gauche au pouvoir. Il faudrait arrêter le déni qui consiste à qualifier le FN de « symptôme » d’une « colère » et de « peurs », sans aborder de front les sujets de mécontentement dans le pays. En outre, l’UMP alimente l’empathie d’une partie de son électorat pour le FN si elle n’adopte pas résolument un discours pour contrer l’extrême-gauche intellectuelle, dont l’idéologie immigrationiste influence un quart des Français. Quand Jean-Luc Mélenchon affirme que Marine Le Pen a « contaminé Manuel Valls » qui « dit la même chose que l’extrême-droite », cela fait peur.
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