Dans le mensuel Causeur de juin 2011, François Marchand accuse Lilian Thuram d’avoir « élégamment fait savoir aux journalistes présents” lors d’un déplacement de l’équipe de France il y a huit ans, « qu’il y avait trop de Blancs parmi le personnel navigant d’Air France”. Jean-Cyril Spinetta, alors patron de la compagnie aérienne, se serait alors exécuté et aurait “mis en place pour les « vols spéciaux » (par exemple, les vols de l’équipe de France de foot) un fichier ethnique comportant, au mépris de la loi, une véritable typologie raciale fondée sur les mentions suivantes : « Africains », « Antillais », « Asiatiques », « Eurasien », « Méditerranéen », « Occidental » ».Nouvelles de France a mené l’enquête. Contact a été pris avec Aline Le Bail-Kremer, la responsable communication et presse de l’association SOS Racisme, saisie d’après Causeur par la CFDT Air France suite à la mise en place présumée du fichier ethnique. Nous lui expliquons l’affaire. Elle nous répond qu’“Air France a eu des pratiques discriminatoires dans le passé mais pas forcément dans ce sens-là”. C’est-à-dire ? “Des pratiques de sélection qui inclinaient vers ‘que des Blancs’” assure-t-elle. Consultant les dossiers des procédures en cours, Aline Le Bail-Kremer nous confirme que “la CFDT Air France s’est portée partie civile” dans une affaire de discrimination mettant en cause Air France à la même époque. “Aucune trace de Lilian Thuram” nous assure-t-elle cependant. Il s’agit, selon ses termes d’un “renversement de situations” et d’une “pirouette rhétorique”.
Aucune trace de Lilian Thuram
Nous contactons alors Gilles Nicoli, secrétaire général de la CFDT Air France. “C’est vrai qu’à l’époque, on avait fait des remarques qui ont été prises en compte” par la direction. “Depuis, je n’ai pas eu d’écho remonté”. “Honnêtement, je ne pense pas que ça soit lié à une intervention de Lilian Thuram” précise-t-il toutefois. “De mémoire, c’était plus lié à des sélections qui étaient faites et qui mettaient sur certains vols certaines personnes… et pas d’autres”. L’“intervention” aurait en fait été “interne” d’un personnel navigant “pas retenu pour faire un vol (…) un peu spécial”. “Les critères n’étant pas clairs, on a demandé que les critères soient beaucoup plus clairs et qu’on sache vraiment pourquoi les gens étaient sélectionnés ou pas”, “que les gens puissent se porter candidats et qu’ils aient des réponses”. “Je crois qu’on a eu satisfaction mais n’ayant plus entendu parler de cette affaire, elle est loin derrière”, conclut Gilles Nicoli. Nous lui soumettons alors les allégations d’Aline Le Bail-Kremer selon lesquelles Air France aurait discriminé à l’embauche des individus de couleurs. Notre interlocuteur s’étrangle : “non, ça n’est pas une compagnie qui fait du racisme”. “Franchement, non”, insiste celui qui y “travaille depuis plus de dix ans”. “Au niveau de la CFDT, on ne dira jamais ça parce que c’est pas vrai (…), bien au contraire”.
Islamistes racistes
“Bien au contraire”, répète-t-il, “on est confronté à d’autres problèmes parce qu’on est dans des secteurs difficiles, des banlieues difficiles et autres donc on a des difficultés, certes, mais pas d’intégration. On a plus des difficultés, si vous voulez, qui sont liées au tissus, quand on est en région parisienne ou autre”. “Vous avez par exemple un islamiste avec une grosse barbe qui a été embauché en son temps par Air France, Aéroport de Paris ou autres, on le voit, c’est quelque chose qui nous inquiète, et puis qui ne veut pas serrer la main à une femme copilote ou qui ne veut pas serrer la main à une femme mécano ou qui ne veut pas serrer la main à…, tout simplement à une de ses collègues. Et là, vous vous retrouvez dans le problème inverse. Malheureusement, ce sont des choses qui arrivent”, “comme partout” (sic), même si “c’est très marginal” et on en voit “beaucoup moins à Air France qu’ailleurs”. Le syndicaliste n’est pas tendre avec ce “racisme vis-à-vis de leurs collègues” : “c’est encore plus grave”.
Régime spécial pour les vols religieux Paris-La Mecque
“Oui, il y a des vols spéciaux où les clients demandent certaines choses. Et il y a des choses qu’on peut faire et pas faire. C’est pas du racisme, c’est plus un respect d’une demande de la clientèle” affirme-t-il. “Si je suis quelqu’un de très très riche et en mesure d’obtenir un vol spécial, est-ce que je peux réclamer d’avoir que des Blancs, que des Noirs, que des Jaunes à bord ?” demandons-nous à Gilles Nicoli. “Non. Si on arrivait à me démontrer le contraire, je tomberais de l’arbre. A mon avis, ça n’est pas possible. Par contre, sur un autre critère, vous allez faire un vol à La Mecque ou vous allez faire un truc comme ça et on vous demande des choses un peu particulières, je pense que l’entreprise, elle regardera à faire des choses qui sont compatibles avec les gens qu’on transporte. Mais bon, c’est tout…”. Un peu interloqués, nous demandons au secrétaire général de la CFDT de répéter. Il s’exécute : “imaginez, vous faites un voyage sur la Mecque. Vous avez besoin de gens qui soient de culture musulmane et autres. On peut le faire sur appel à volontariat, on peut faire appel à des gens en expliquant la situation. Le problème, c’est d’être transparent, d’expliquer pourquoi on le fait”. “Si c’est pour aller en Inde et servir des repas qui sont complètement proscrits pour les passager, bah ça serait un peu con de les servir” continue Gilles Nicoli. “C’est pas du racisme, c’est du bon sens. C’est du respect des gens qu’on transporte”.
Le raciste, c’est le client
Si cela repose sur le volontariat, est-ce qu’Air France dispose de listes d’employés de telle ou telle confession à solliciter ? Comment est-on contacté pour faire partie du personnel navigant d’un vol spécial ? “Là je ne sais pas vous répondre parce que c’est très très atypique, très particulier.” Mais “on n’est pas une compagnie qui fait du racisme”, insiste Gilles Nicoli. Nous lui expliquons ne pas comprendre comment Air France peut proposer des vols à certains personnels navigant sans disposer de listes avec des caractéristiques comme la religion… “Pour La Mecque, vous pouvez dire, voilà, je fais un vol sur La Mecque, c’est un vol religieux. On va se poser dans un endroit sécurisé ou on va passer dans un endroit… je vous prends cet exemple parce que bon, tout le monde le fait. Et donc on fait un appel à volontariat particulier. Maintenant, si on ne trouve pas de volontaire ou si on a des volontaires qui ne rentrent pas dans le cadre, il faut bien s’entendre avec le client pour qu’on soit quand même dans la ligne”. “A la limite, c’est pas nous qui sommes racistes, c’est le client !” lâche-t-il.
Le racisme des compagnies du Golfe
Jusqu’où on peut aller ? “Vous prenez Air France mais regardez les compagnies du Golfe ou autres, comment elles se comportent… Par exemple, celles des pays Emirates préfèrent embaucher des Européens, ou des Européennes, plutôt d’ailleurs, c’est quand même plus interpellant” estime Gilles Nicoli. A Air France, “on est loin de ça”. J’insiste, jusqu’où peuvent aller les exigences pour les vols spéciaux ? Quels sont les “critères particuliers” pouvant être demandés et pourquoi eux plutôt que d’autres ? “On essaye d’éviter de mettre des gens qui soient opposés”. Imaginons, “vous faites un vol gay” (sic), “avec que des gays, c’est eux qui ont réservé tout l’avion” (ambiance!), “ça pourrait arriver qu’il y ait quelqu’un qui soit par exemple complètement homophobe”. Il faut donc “prévenir” ce type d’incident et “éviter de le mettre”. Nous poussons à bout notre interlocuteur : “Si par exemple, je suis gay, riche. J’ai un vol spécial. Est-ce que je peux exiger d’avoir que des personnels gays à bord, par exemple ?” “Là, je ne sais pas répondre. Je ne pense pas. Honnêtement, un tel cas ne s’est jamais présenté, ça n’existe pas, je pense. J’imagine…”