Tuerie de Nantes : comment Facebook a pris de court la police et les médias

“Christophe La Vérité”, vous êtes à l’origine de la page Facebook « Xavier Dupont de Ligonnès: Enquête et Débat » (notre article). Est-ce que vous connaissiez les victimes ?

Non, je n’ai jamais eu le moindre contact avec elles.

Mais alors, pourquoi avoir créé ce groupe ?

J’ai, comme beaucoup de gens, été ému par ce drame familial. Et puis, le fait que Xavier de Ligonnès ait apparemment des activités sur Internet m’a intéressé. Tout a commencé quand je suis tombé sur le groupe Facebook créé par la famille de Ligonnès pour trouver un labrador. Agnès avait laissé son adresse mail…

Vous vous attendiez à trouver autant de choses sur eux ?

Pas du tout !

Mon sentiment, pour avoir fréquenté votre page avant sa fermeture, c’est que plus elle avait de “fans”, comme on dit sur Facebook, et plus la qualité des contributions baissait..

Au début, il n’y avait que des gens motivés. Je suis un peu nostalgique de ces moments-là. Il y a trois jours, tout ce qui était posté était pertinent et de qualité. Et puis, à un moment, nous nous sommes mis à stagner dans nos recherches, on n’a plus rien trouvé. Après, c’est le boulot des enquêteurs. Eux et le modérateur principal du forum (La Cité catholique, ndlr) sur lequel Xavier postait sont entrés en contact. La police a plus de moyens que nous, elle va sans doute pouvoir trouver de nouveaux éléments qu’elle ne communiquera pas.

« Je ne m’attendais pas à trouver autant de choses sur les Ligonnès »

Avez-vous le sentiment d’avoir mis la main sur des éléments dont ne disposait pas encore la police ?

J’ai été très surpris quand j’ai appris que la police avait demandé des éléments aux modérateurs du forum La Cité catholique. Du fait de ses moyens, je pensais qu’elle était au courant de tout ça mais qu’elle ne communiquait pas… L’objectif de ce groupe, c’était plutôt de jouer à l’apprenti-journaliste qu’à l’apprenti-enquêteur…

Quelle(s) conclusion(s) en tirez-vous ?

Ça prouve déjà qu’on est dans le vrai. Après, on se dit ‘est-ce que toutes les enquêtes sont bien faites ?’ Peut-être que de leur côté, les journalistes ont manqué de temps pour faire ce travail…

Comment expliquer le fait que vous ayez trouvé ces informations avant les journalistes dont c’est pourtant le métier ?

Le fait de travailler en équipe a joué, je pense. Si chacun d’entre nous avait cherché des indices sans jamais communiquer avec les autres membre, on ne serait pas allé aussi loin. Moi par exemple, je me serais arrêté au dernier message posté par LIGO sur le forum La Cité catholique le 8 avril. Je n’aurais sans doute pas découvert les autres pseudonymes de Xavier.

Un message manifestement posté après la série d’assassinats…

Oui, il s’agit d’un nouvel élément dans l’enquête. Entre le 4 et le 10/12 avril, personne ne savait où était passé Xavier. Or, l’IP de ce message montre qu’il était à Cagnes-sur-mer, près de Nice, à ce moment-là.

Avez-vous été contacté par la police ?

Non.

“Christophe la Vérité” est un pseudonyme. Pourquoi tenez-vous tant à votre anonymat ?

J’y tiens surtout quand je vois ce qui peut sortir…

Vous vous voulez parler d’éléments sur la vie intime d’Agnès de Ligonnès ?

Oui. La moitié de ses messages postés sur Doctissimo concernent sa vie intime. Nous, ce qui nous intéresse, c’est davantage la personnalité du couple…

Marianne2.fr est le média qui a été le plus loin. Qu’en pensez-vous ?

[Hésitations] Que là, il y a une limite qui a été franchie

On a quand même le sentiment que parfois, cette limite a pu être franchie ou en voie de franchissement sur votre page Facebook, notamment lorsque le nombre de “fans” a commencé à croître rapidement…

Le problème, c’est qu’à un moment donné, on a cessé de trouver de nouveaux éléments. On partait de plus en plus dans des hypothèses… Avec le recul, je ne pense pas qu’une page Facebook soit un bon support pour ce type de travaux. C’était bien pour démarrer le travail d’enquête. Mais si c’était à refaire, je pense qu’un site internet conviendrait mieux. On pourrait ainsi faire quelque chose de moins brouillon et de plus structuré en séparant les informations des commentaires. Après, je n’oublie pas le rôle d’accélérateur de Facebook. Grâce au réseau social en ligne, les médias nous ont retrouvé plus facilement.

On a le sentiment qu’à mesure que de nouveaux fans rejoignaient votre page Facebook, la qualité de celle-ci baissait. La différence était flagrante entre lundi midi et lundi soir par exemple…

C’est devenu n’importe quoi. Et mardi, c’était encore pire. Il y a eu des choses assez limites comme ce qu’il faut bien appeler le harcèlement d’un ami de Xavier par des internautes. La page a d’ailleurs été fermée pour cette raison et après plusieurs signalements de particuliers.

« Xavier a réussi le crime parfait. Il est introuvable, n’a rien laissé derrière lui et dispose de 15 jours d’avance sur la police… »

Avez-vous hésité à partager des informations sur Facebook ?

Oui. A la télévision, un enquêteur parisien a expliqué que ce qui était important à ce niveau-là de l’enquête, c’était la personnalité des deux époux. Or, ce qu’on a sur ces fora est idéal pour cerner leurs vraies personnalités. Ils étaient eux sur ces fora. Ces éléments pouvaient servir pour l’enquête…

Le fait que parmi ces éléments, il y ait des choses personnelles, intimes, vous a-t-il fait hésiter ?

Tout à fait. Quand j’ai commencé à retrouver des traces d’Agnès sur Doctissimo, j’ai vraiment hésité à les partager sur Facebook. Ce qui m’a décidé, c’est quand j’ai vu qu’elle parlait de son mari dans ses messages… Tout ce qui a rapport avec sa vie intime, que tout le monde peut retrouver maintenant, n’est pas intéressant ni pertinent selon moi.

Qu’est-ce qui selon vous passionne à ce point les Français et les internautes dans cette affaire ?

Xavier a réussi le crime parfait. Il est introuvable, n’a rien laissé derrière lui et dispose de 15 jours d’avance sur la police…

Est-ce que vous pensez que ce qui s’est passé sur Facebook cette fois-ci pourrait se reproduire à l’avenir ?

Complètement. Cela va faire des émules. On peut s’attendre à ce que cela parte dans tous les sens, que beaucoup de gens se mettent à vouloir trouver aussi des choses pour faire avancer les enquêtes. Mais ce qui risque de marquer les gens, c’est d’abord cette idée qu’on laisse des traces quand on surfe sur Internet…

Vous souhaitez conserver l’anonymat le plus complet. Mais est-ce que votre métier, vos compétences ont pu jouer dans votre initiative et surtout dans son succès ?

[Hésitations] Peut-être. [Hésitations] Peut-être que je maîtrise un tout petit mieux les moteurs de recherche que la moyenne… Sur Google, il y a des fonctionnalités… Oh, et puis je ne souhaite pas en dire plus.

Avez-vous été étonné que la police découvre après vous certains éléments ?

J’ai en effet été assez surpris que les enquêteurs n’aient pas trouvé ces traces avant nous. Autant pour Agnès, ça n’est pas surprenant, autant pour Xavier, ça me surprend vraiment.

Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui jugent votre démarche malsaine ?

Que c’est une démarche simplement nouvelle. Dans tout ce qui est nouveau, il y a du bon et du moins bon. Après, j’ai conscience qu’on n’a pas assez contrôlé la page Facebook d’où les dérives…

« On a trouvé ce que les journalistes ont cherché, n’ont pas trouvé et auraient aimé trouver »

Vous avez des regrets ?

C’est difficile à dire. Je suis assez partagé car il y a aussi la satisfaction d’avoir trouvé des éléments nouveaux et intéressants. J’espère que les médias ne vont pas tous relayer certaines choses intimes qui n’ont rien à voir avec de l’information.

Vous pensez à Marianne2.fr ?

Oui, je pense à eux. Ils ont osé aller plus loin que les autres.

Pour quel motif selon vous ?

L’audience.

Autre chose à dire sur le traitement médiatique de cette affaire ?

Je trouve que Rue89 n’a pas assez creusé. Pour eux, toutes nos informations ne sont pas sourcées. Normal, ils n’étaient pas là au tout début de nos recherches.

Vous avez le sentiment que certains médias sont jaloux ?

On a trouvé ce que les journalistes ont cherché, n’ont pas trouvé et auraient aimé trouver. Alors oui, il est possible que derrière certaines critiques, il y ait de la jalousie.

Lire aussi :

> Tuerie de Nantes : Internet bruisse et mène l’enquête

Related Articles

3 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Suzanne , 29 avril 2011 @ 14 h 48 min

    Comment Facebook a pris de cours (oups!) la police et les médias.

    a pris de COURT conviendrait mieux, non ???

    J’ai tout d’abord cru que Facebook avait pris des cours auprès de la police…..

    comique, non ??

  • Eric Martin , 29 avril 2011 @ 16 h 09 min

    C’est corrigé, merci!

Comments are closed.