La percée médiatique, sondagière et politique de Marine Le Pen est incontestable. Ce succès est généralement attribué à sa stratégie de « dédiabolisation ». Celle-ci a effectivement contribué à sa banalisation dans l’opinion. Pour autant ce serait une erreur de croire que le Front National est « normalisé » et qu’il bénéficiera d’un traitement équitable de la part des médias dominants. Reste que le FN s’inscrit aujourd’hui dans le vaste mouvement du réveil populiste européen. Andrea Massari fait le point.
Marine Le Pen est banalisée dans l’opinion populaire
Il s’agit là d’un fait objectif et mesurable : les coefficients de « redressement » des intentions de vote appliqués par les instituts de sondage ont considérablement diminué. Alors qu’il fallait souvent multiplier par deux ou trois les chiffres bruts d’intention de vote recueillis en faveur de Jean-Marie Le Pen, les chiffres bruts obtenus par Marine n’ont pratiquement plus besoin d’être redressés. Sans doute les sondés ont-ils pris acte des changements au sommet du Front National :
- un visage nouveau et féminin (n’oublions pas que les principales victoires électorales du Front National furent obtenus par Yann Piat, Marie-France Stirbois et Catherine Mégret) ;
- une expression moins rugueuse des opinions et l’absence de propos jugés provocateurs ou hors sujet ;
- l’évocation régulière des saintes huiles de la République et la condamnation du « summum de la barbarie ».
Marine Le Pen chevauche sur la critique de la mondialisation
Tout ceci rassure les électeurs. D’autant que le discours mariniste apparaît plus complet et moins réducteur : le refus de l’immigration s’insérant dans la perspective plus globale d’une critique radicale de la mondialisation. Or l’immigration et la mondialisation ont perdu leur soutien dans l’opinion. A l’exception de la superclasse mondiale et de ses servants médiatiques, les Français y sont très majoritairement hostiles :
- 59% des personnes interrogées sont d’accord avec l’affirmation « Il y a trop d’immigrés en France » (sondage Opinion Way/CEVIPOF, Le Monde du 1/02/2011) ;
- 45% des personnes interrogées ont une mauvaise image de la Bourse (sondage Opinion Way Actionaria, Le Monde du 16/11/2010) ;
- 76% pensent que leurs enfants n’atteindront jamais leur propre niveau de vie (étude du Crédoc sur les classes moyennes, Le Monde Magazine du 6/11/2010) ;
- pour 71% des Français le mot « capitalisme » évoque quelque chose de négatif (sondage Opinion Way, le Bulletin quotidien du 14/4/2010).
Dans ces conditions le fait que les intentions de vote pour Marine Le Pen dépassent les 20% n’a rien de surprenant : il s’agit d’ailleurs là du total Le Pen + Mégret de 2002. Mais les potentiels de progression sont clairement plus importants.
Selon le sociologue Sylvain Crépon, la dédiabolisation du Front National se manifeste au niveau des perspectives d’alliances avec la droite : « Ainsi, en 2004, 22% des sympathisants de la droite de gouvernement étaient prêts à des alliances avec le FN. Aujourd’hui, ils sont plus de 40%. Preuve que le cordon sanitaire se fissure dans une partie de l’opinion. »
La superclasse mondiale (SCM) a posé ses conditions (difficilement acceptables !) à la « normalisation » médiatique de Marine Le Pen
Marine Le Pen a bénéficié d’un accueil favorable des médias lors de sa compétition avec Bruno Gollnisch. Cette embellie médiatique s’est quasiment poursuivie jusqu’aux élections cantonales. La fin de la récréation a été sifflée entre les deux tours des élections cantonales. Le Monde a multiplié les articles posant les conditions d’une « normalisation » du Front National. Le quotidien de Pierre Bergé (SOS-Racisme) et de Mathieu Pigasse (Banque Lazard) a posé au Front National trois exigences :
- renoncer à la préférence nationale ;
- accepter la suprématie du droit international et du droit européen et de leurs jurisprudences sur le droit français ;
- abandonner le protectionnisme et accepter le libre-échange.
La superclasse mondiale et ses mandants médiatiques procèdent ici comme feu l’Union soviétique vis-à-vis de ses satellites en proposant le pacte suivant : renoncer à votre souveraineté pour bénéficier d’un traitement normal. A vrai dire on voit mal quel sens pourrait avoir pour le Front National l’acceptation de ces oukases idéologiques : il y perdrait tout ce qui fait sa spécificité et par là même l’attrait qu’il peut avoir pour les électeurs…
Le CRIF reste dans une logique de diabolisation
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) n’est pas sans influence sur la vie politique française : président de la République, ministres, très hauts fonctionnaires, chefs de juridiction, chefs de la police, dirigeants économiques et des médias se pressent à son dîner annuel. Marine Le Pen ne semble pas près d’y être invitée. Richard Prasquier, le président du CRIF, lui ayant refusé, je cite, son « certificat de cacherout » et ayant mené campagne contre l’accueil médiatique qu’elle recevait.
Les conditions d’une normalisation étant une épuration interne avec : le retrait de la présidence d’honneur à Jean-Marie Le Pen, l’expulsion du comité central des gollnischiens, un examen sévère du CV des nouveaux adhérents du FN et un réexamen du CV de certains des plus vieux soutiens de Marine Le Pen. Pour un peu ce brave Prasquier ferait penser à Staline nommant le gouvernement tchécoslovaque en 1948…
Autre exigence : aller en pèlerinage à Yad-Vashem, ce qui peut se comprendre mais impose d’avoir l’agrément du gouvernement israélien, ce qui suppose de s’entendre sur des positions internationales. Là aussi pourquoi pas ? Il n’en est pas moins étrange de subordonner l’octroi d’un brevet de « républicanisme » en France à l’opinion préalable d’un gouvernement étranger, quel qu’il soit.
Les médias réaffichent à nouveau leur partialité
Dans le prolongement de ces prises de position superclassistes et « critiques », les grands médias ont changé de ton à l’égard de Marine Le Pen. A l’exception de quelques dissidents – comme Eric Zemmour, Elisabeth Lévy et Robert Ménard, voire Philippe Cohen et Christophe Hondelatte – le consensus des « chers confrères » consiste à nouveau à traiter le Front National et Marine Le Pen comme des candidats à part : à eux l’hostilité, les chausse-trappes, les caméras cachées, les prises de vue en contre-plongée, les zooms dévastateurs et les rappels d’épisodes diabolisants.
Avec prudence et habileté Marine Le Pen peut sans doute échapper à la surdiabolisation (sauf si elle est victime d’une provocation type Carpentras). Mais il lui faut savoir qu’elle évolue désormais, y compris dans les médias qui lui firent bon accueil, en terrain hostile.
Les médias désormais en port-à-faux avec l’opinion
Reste à savoir si les électeurs lui en tiendront grief ou non. C’est loin d’être certain car désormais les médias sont sur ce point en porte-à-faux avec l’opinion : 52% des personnes interrogées pensent que le Front National doit être à présent considéré comme un parti comme les autres ; c’est la première fois que les réponses positives sont majoritaires (sondage BVA Absoluce des 23 et 24 mars 2011) selon le Bulletin Quotidien du 29 mars 2011.
La vague populiste européenne
Par delà les péripéties, la progression de Marine Le Pen dans l’opinion n’est pas qu’une question « d’image » (le croire serait un point de vue typiquement médiatique !) ou de manipulation politique : elle s’inscrit dans la vague populiste qui se développe partout en Europe. Marine Le Pen apparaît en effet pour les Français comme le moyen actuel le plus évident d’exprimer désormais politiquement le rejet du Système.
Andrea Massari
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