Les banques, les grandes fortunes (Arnault, Bouygues, Lagardère, Bergé, etc.), le MEDEF (Parisot), Sciences-Po (Descoings) militent pour le « laisser-fairisme » et la mondialisation. Pour autant ces relais de la superclasse mondiale sont désormais loin de faire l’unanimité parmi les chefs d’entreprise français, les responsables publics et les universitaires. La lucidité et le sentiment national n’ont pas disparu. Le think tank CAPEC en est la preuve. Explications.
Cela fait longtemps qu’on attendait une voix lucide sur la mondialisation du côté des principales forces économiques. Celles-ci ont jusqu’ici fait entendre la seule voix de « l’économiquement correct » : la suppression de toute frontière à la libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes étant leur paradigme.
La parution de « Face à la crise », la lettre du CAPEC (Crises-Analyses-Propositions-Expérimentations-Communication), rompt ce consensus.
Prenons acte de la guerre économique
Certains parlent encore de « mondialisation heureuse » mais la réalité est radicalement différente. Christian Harbulot et Éric Delbecque donnent, dans un « Que sais-je ? » sur « La guerre économique », une lecture plus juste que le CAPEC reprend à son compte : depuis la fin de la guerre froide, écrivent ces auteurs, « les rapports de forces entre les puissances s’articulent essentiellement autour d’enjeux économiques. Les gouvernements de la planète, dans leur grande majorité, ne cherchent plus aujourd’hui à conquérir des terres ou à établir leur domination sur de nouvelles populations, mais à construire un potentiel industriel et une force de frappe commerciale capable d’apporter devises et emplois sur leur territoire. » Cette analyse est inséparable du basculement dans la mondialisation économique et financière qui « a transformé la libre concurrence ‘aimable’, limitée et encadrée en une ‘hypercompétition généralisée’ ».
Mondialisation et désillusion
Les cadres ont longtemps cru à la mondialisation. Ceux d’entre eux – les financiers notamment – qui participent de la superclasse mondiale en ont profité. Mais pas les autres. Comme le note le secrétaire général du CAPEC, Jean-Luc Schaffahauser : « La seconde illusion est (de croire) qu’un haut niveau de formation permettrait aux individus de tirer leur épingle du jeu. » Sociologiquement, le phénomène majeur aujourd’hui est la paupérisation réelle, et ressentie comme telle, des classes moyennes –ingénieurs, cadres et techniciens – sous l’effet de la mondialisation. Selon l’agence pour l’emploi des cadres (APEC) (citée par l’étude du CAPEC) : en 2010, 51% des cadres estimaient que « leur situation a évolué de manière défavorable, ces dernières années ». Ils n’étaient que 11% à penser cela en 1990 ! A part les très hauts managers et les médias, plus aucune catégorie socioprofessionnelle ne défend la mondialisation.
Réformer les règles du commerce international
Gérard Lignac, le président du CAPEC, revient sur son livre : « La mondialisation : pour une juste concurrence ». Il balaie d’abord un « songe creux » : celui selon lequel la France et l’Europe pourraient garder leur industrie grâce à leur avance technologique. Car face à l’Inde et à la Chine, leur avance disparaît en raison notamment des transferts technologiques. Nous pensions vendre des TGV à la Chine mais c’est la Chine qui nous concurrence sur le marché des trains californiens. Et ceci se produira également, à moyenne échéance, pour les avions et les centrales nucléaires. Sans réaction, « l’avenir de l’Europe est celui d’un désert industriel ». Gérard Lignac a encore des pudeurs : il ne va pas jusqu’à préconiser, comme le prix Nobel Maurice Allais, « un protectionnisme raisonnable et raisonné » mais prône ce qu’il appelle une « juste concurrence ». En clair « s’inspirer du sport de compétition » et « ne pas faire combattre des poids plumes contre des poids légers ». Ce qui implique une réforme d’urgence des règles du commerce international ! Qui ne pourra venir que d’un rebond –en cours- de la crise.
Le « Faux modèle allemand ».
Les partisans de la mondialisation se raccrochent au « modèle allemand » et citent en exemple les 152 milliards d’excédents commerciaux allemands en 2010. Mais c’est un leurre :
– d’abord parce que l’Allemagne remplace le made in Germany par le made by Germany et qu’elle est aussi en voie de désindustrialisation ; l’emploi manufacturier n’y représente plus que 19% des emplois (contre 24% en 1996) ;
– ensuite parce que l’Allemagne ne réalise son excédent commercial que sur le reste de l’Europe ; le modèle n’est donc pas transposable à l’ensemble des pays européens ;
– enfin parce que l’Allemagne est, comme les autres pays européens, déficitaires (de 24 milliards d’euros) dans ses échanges avec la Chine.
Ajoutons – les auteurs n’en parlent pas mais c’est un fait – que l’Allemagne réalise des économies dans deux secteurs clés :
– la défense : 1% du PIB seulement ;
– les prestations familiales particulièrement basses et l’accueil des jeunes enfants très défaillant.
Des économies que l’Allemagne paye par un taux de fécondité très bas : 1,4 enfants par femme (malgré la fécondité d’origine étrangère).
Bref, les travaux du CAPEC méritent d’être salués : il existe encore des décideurs lucides et nationaux, ça change et c’est rafraichissant !
Voir la lettre du CAPEC. Voir aussi l’étude du CAPEC sur : « Le modèle allemand »