Le débat sur la réforme de la garde-à-vue a débuté jeudi devant le Sénat. Il se poursuivra les 8 et 9 mars et peut-être au-delà, car il pose encore beaucoup de problèmes. Stéphane Chaigneau, l’un des chefs de la Brigade des Stups de la Police judiciaire de Versailles et auteur d’un livre intitulé “Mes gardes à vue”, nous donne le point de vue de la police sur cette réforme qui risque de l’empêcher de lutter efficacement contre la criminalité.
Le débat sur la réforme de la garde-à-vue a débuté jeudi devant le Sénat. Il prévoit de “limiter la garde-à-vue à certaines infractions dont la peine est supérieure à trois ans”. Cela va-t-il faciliter votre travail ?”
L’un des buts affichés de cette réforme de la garde-à-vue est d’en diminuer le nombre. Sachez, parce que cela n’est pas révélé et qu’il ne faudrait pas que cela soit mis au crédit de la réforme, que ce nombre a baissé de 10% en 2010 et qu’il se situe donc à environ 700 000. Limiter les gardes à vue aux infractions dont la peine encourue est supérieure à trois ans, cela signifie concrètement, essayer de réduire les “gardes à vue routières” (celles résultant d’infractions au code de la route). Mécaniquement cela fera baisser les chiffres. Et oui bien sûr, c’est une bonne chose, car cela permettra aux policiers de se consacrer davantage aux infractions les plus graves.
Cependant, j’attire votre attention sur un point, qui n’a pas échappé non plus aux parlementaires : en “renforçant” les droits des gardés à vue, ne risque-t-on pas d’en augmenter le nombre ? Sachez qu’il y a actuellement autant d’auditions réalisées lors de gardes à vue que d’auditions réalisées hors garde-à-vue. Dès lors, pourquoi priver certaines personnes de ce statut protecteur ? Mais le nombre de gardes à vue serait alors multiplié par deux…
Les personnes interpellées auront également le “droit de garder le silence” et à la présence d’un avocat dès le début de la garde-à-vue. Dans votre livre, vous expliquez que cela peut être contre-productif pour le travail des policiers… mais aussi pour le suspect. Pourquoi ?
Le “droit au silence” est un écran de fumée que certains présentent pourtant comme une victoire remportée de haute lutte. Tout le monde a toujours et partout le droit de garder le silence. Il est très fréquent que les gardés à vue nous disent : “Je ne vous dirai rien”. Cela ne changera strictement rien. Je me demande cependant comment feront les juges pour juger en comparution immédiate des personnes qui n’auront rien déclaré durant leur garde-à-vue. Il me semble important pour juger non pas un acte mais une personne, de la connaître un minimum.
Et pour la connaître, il est important de savoir si elle a menti aux policiers ou si au contraire elle s’est répandue en excuses sur son acte. Cela ne dénote pas tout à fait à la même personnalité.
Et puis, si l’on est innocent, il faut le dire, voire le crier. Et non pas le taire. La présence de l’avocat durant toute la garde-à-vue (qui sera celle d’un avocat muet), sera contre-productive pour la manifestation de la vérité, qui est pourtant le principal but de la garde-à-vue. L’avocat est en effet la seule entité juridique qui ne soit pas là pour la manifestation de la vérité mais pour la défense de son client. L’actualité récente nous fournit des exemples où tout un chacun aurait aimé que les gardés à vue parlent au lieu de garder pour eux le sort qu’ils avaient réservé à des malheureuses.
Ce projet de loi n’aura-t-il pas le mérite de protéger les suspects des violences policières ?
Ah ! Donnez-nous acte, au moins, que quasiment plus personne ne se plaint de violences policières ! On ne parle plus désormais que de “pressions psychologiques”, terme très à la mode si l’on en croit les conseils de prud’hommes. Sachez que la police françaises (pourtant qualifiée de meilleure d’Europe par le garde des Sceaux – pas par le ministre de l’Intérieur !) est la police la plus contrôlée du monde par tout une série d’organismes étatiques ou para-étatiques qui n’existent pas ailleurs.
La Commission nationale de déontologie et de sécurité, chargée d’examiner les bavures, en a recensé 250 en 2009 (sur, je vous le rappelle, des centaines de milliers d’interpellations). Sur ces 250 cas, combien étaient fondés ? Et combien concernaient la garde-à-vue ? Il faut savoir raison garder.
La grande originalité de votre livre, c’est de montrer un policier humain échappant au cliché de cinéma “flics contre voyous”. Comment expliquer le respect mutuel qui peut rapprocher policiers et bandits ?
Je pense qu’on ne peut pas faire ce métier si l’on n’a pas une empathie pour le genre humain. Nous avons une chance formidable, qui est de travailler sur l’humain et non sur des machines. Nous y rencontrons des personnages surprenants, d’autres fascinants. Pas tous les jours certes. Et il est certain que le respect que l’ont peut avoir pour des parcours originaux, des choix de vie en marge de la société (mais sont-ce des choix?) n’existe pas pour des personnes qui auraient un comportement violent (proxénète, trafiquant d’êtres humains, etc.). Ce respect mutuel qui existe parfois – j’espère même souvent ! – est dû au fait que nous n’existons les uns et les autres, en tant que “beau voyou” ou “bon flic” que dans les yeux de notre adversaire d’un jour. De même qu’un bon match nécessite deux bonnes équipes, une “bonne garde-à-vue” nécessite deux bons acteurs.
Votre livre vous a-t-il attiré des remarques ou des ennuis avec votre hiérarchie ?
Après un intense (et bien compréhensible) moment de flottement, dû au sujet sensible de mon livre — qui a été lu et apprécié au sommet de la hiérarchie policière – j’ai eu les retours positifs de nombreux collègues, mais aussi de gendarmes (ce qui me touche) et de policiers municipaux. En revanche, les quelques magistrats que j’apprécie et auxquels j’ai envoyé mon livre ne semblent pas l’avoir trouvé à leur goût. J’en suis sincèrement désolé.
Propos recueillis par Pierre-Alexandre Bouclay
Stéphane Chaigneau, Mes gardes-à-vues, La Manufacture de livres, 175 pages, 14,90 euros
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