Alors que la bactérie “E.coli” a fait une seizième victime mardi, Pierre Diot, le Président de l’Association d’Organisations de Producteurs nationale « Tomates et Concombres de France » a bien voulu faire le point dans les colonnes des Nouvelles de France.
Pierre Diot, comment expliquer une telle contamination ?
Je n’ai pas d’explication. On vient de s’apercevoir que la bactérie retrouvée dans les concombres espagnols n’est pas la même que celle responsable des 16 décès. Si ça se trouve, dans 24h, on nous dira que le concombre n’est pas concerné. D’autres pistes sont explorées car le colibacille responsable des décès est davantage connu pour proliférer dans la viande carnée avariée. Et puis, ce qui est bizarre, c’est que tout part de Hambourg alors que l’Espagne exporte des concombres partout en Europe y compris en Bretagne.
Les lots ont été retirés de la vente, non ?
Je suis à peu près sûr que l’alerte n’est pas arrivée à temps. Il s’agit de produits frais et périssables donc quand l’alerte arrive, ils sont déjà partis et consommés. L’alerte doit être lancée dans les 24h, voire dans les 48h pour arriver à temps.
Je vous ai coupé. Vous disiez que vos soupçons se portaient vers l’Allemagne…
Il est possible que la contamination des concombres espagnols ait eu lieu dans un entrepôt frigorifique d’Allemagne qui aurait accueilli avant de la viande avariée… C’est une piste comme une autre. Je vous rappelle qu’au début, on a soupçonné les concombres biologiques à cause de la fertilisation organique effectuée avec du fumier. Je souhaite que nous en sachions davantage le plus vite possible pour pouvoir réagir dans le bon sens et rassurer les consommateurs…
Vous craignez qu’ils paniquent ?
C’est déjà le cas !
« 3 600 000 concombres français vont être détruits d’ici la fin de la semaine. »
Quelles sont les conséquences pour les producteurs français ?
Nous avons rendez-vous avec le ministre de l’Agriculture aujourd’hui (mercredi) à 14h15 pour en parler. Les ventes de concombres en France sont pratiquement nulles, bien qu’on n’ait jamais suspecté le concombre français dans cette affaire. On n’écoule que 20% du potentiel habituel des ventes. Les stocks des entreprises explosent et on envisage à très court terme de les détruire. On estimait mardi à 300 000 le nombre de colis de concombres français qui vont être détruits d’ici la fin de la semaine. Soit 3 600 000 concombres ! On les cueille et on les met à la poubelle pour éviter de supporter des coûts de conditionnement et de stockage puisque personne n’en veut ! Ce qui est sûr, c’est que celui qui a du concombre espagnol, il ne risque pas de faire fortune ! Mardi, la Hollande qui est un gros producteur et qui exporte habituellement vers l’Allemagne a détruit l’intégralité de sa production quotidienne. Quel gâchis ! On a crié au loup mais on s’est trompé de loup. En attendant, le mal est fait. Dans l’esprit des consommateurs, tout est suspect. C’est l’effet “grippe aviaire” ou “vache folle”. Bien sûr, on ne peut pas leur en vouloir. Mais ce ne sont pas ceux qui foutent le bazar qui payent l’addition.
“Ceux qui foutent le bazar” ?
(hésitations) Les autorités allemande ont peut-être été trop vite (comme l’admet Klaus-Dieter Zastrow, un épidémiologiste à l’Institut de l’hygiène et de la médecine environnementale des cliniques vivantes de Berlin, mercredi dans Libération, ndlr)…
« On a crié au loup mais on s’est trompé de loup. »
Comment les producteurs français vivent-ils ces événements ?
La situation prend une tournure gravissime et les producteurs le vivent très mal. Malgré le sentiment d’une production irréprochable, ils sont mis en pénitence pour un truc qui leur échappe complètement et dont ils ne sont pas responsables.
Comment faire pour rassurer les Français sur la qualité du concombre français ?
Dire la vérité : il n’y a aucun risque à consommer du concombre français aujourd’hui. Et même si nos concombres étaient porteurs de la bactérie, ce qui n’est pas le cas, il suffirait de les passer sous l’eau du robinet. Le chlore qu’elle contient suffit à les désinfecter. Et puis, je rappelle que les conditions de production en France ne sont pas les mêmes qu’en Espagne. Nos normes sont plus strictes. Pour pouvoir porter le label “concombres de France”, les producteurs français doivent respecter une charte de qualité conçue il y a dix ans avec le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes et dont le respect est contrôlé par audit externe. L’objectif est d’apporter au consommateur une sécurité supplémentaire par rapport aux concombres originaires du sud où les conditions de production n’apportent pas les mêmes garanties. On essaye de communiquer régulièrement dessus, de mettre en avant les spécificités de notre production, avec les moyens limités qui sont les nôtres.
« On va faire bouffer du concombre à Nicolas Sarkozy ! »
Vous projeter de communiquer prochainement pour rassurer les consommateurs ?
Il va falloir, pour relancer la consommation et rétablir la confiance. Mais communiquer maintenant, c’est jeter de l’argent par les fenêtres. On n’a pas encore assez d’éléments sur les causes de l’épidémie pour cela. Après, oui. On a quelques idées comme une distribution gratuite de concombres français sous la tour Eiffel. Mais bon, rien de vraiment concret pour l’instant.
Et pourquoi ne pas impliquer nos dirigeants en les faisant consommer des concombres devant les caméras ?
La ministre de la Santé Roselyne Bachelot n’avait pas convaincu les Français en se faisant elle-même vacciner contre la grippe A. Mais pourquoi pas ! On va faire bouffer du concombre à Nicolas Sarkozy ! (rires)