Tribune libre d’Édouard Josse*
Certains intellectuels de droite estiment que la gauche ne constitue plus un danger majeur pour notre pays et notre civilisation, tant son idéologie est en passe d’être déjugée par les faits. La gauche de gouvernement, social-démocrate, connaîtra selon eux le même sort électoral que la gauche socialo-communiste après la chute de l’URSS. On avance trois raisons principales à ce phénomène : la faillite de l’État-Providence, qui étrangle le contribuable et hypothèque l’avenir de ses enfants ; la mondialisation qui expose le monde ouvrier à de nouvelles menaces socio-économiques et les identités nationales au piège du « multiculturalisme » ; enfin, la montée en puissance d’un néo-patriotisme chez les jeunes générations venant s’allier au reste de la population vieillissante, sensible aux thèmes de la sécurité, de l’immigration et de la liberté économique. Puisque la gauche ne peut ni se défaire de sa culture du « service public » à laquelle elle a lié son destin, ni rompre avec l’universalisme internationaliste qui l’empêche de préférer les ouvriers « de souche » aux ouvriers immigrés, le contexte serait nécessairement favorable à la droite.
En dehors de quelques mesures étatistes de circonstance et de gadgets sociétaux qu’elle drape de la couleur du progrès, la gauche ne serait plus en mesure de gouverner par manque d’idées propres. Puisque son corpus idéologique, en partie hérité du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) d’inspiration communiste, a été entièrement appliqué (système de redistribution, monopole étatique de l’assurance maladie, intervention massive de l’État dans la sphère économique, etc.) et a échoué de manière manifeste, la gauche serait à terme condamnée à perdre les élections, incapable de se renouveler.
L’hégémonie culturelle de la gauche
Ceux qui prédisent la fin de la gauche par la seule force des choses ont à mon sens bien tort. Nous devons à l’évidence continuer de craindre les ravages auxquels conduit irrémédiablement la domination de la gauche. Et cette domination n’est pas uniquement électorale, mais avant tout culturelle.
La gauche ne tire pas sa force de sa majorité au Parlement ou de son contrôle des conseils régionaux et municipaux, mais de son hégémonie culturelle dans les médias, dans l’édition, à l’école, à l’université, dans l’administration, dans les syndicats, dans les tribunaux, etc. Partout où l’esprit du citoyen est façonné par le traitement de l’actualité ou par l’enseignement, une pensée unique règne en maître pour asséner un certain nombre de messages simples mais clairs, souvent diffusés selon le procédé du sous-entendu. Faire apparaître les idées de gauche comme le Bien menacé par l’empire du Mal que constitue la droite, est à chaque instant l’objectif premier.
Parallèlement à ce système médiatico-politique à ses ordres, la gauche possède un formidable tissu associatif qui se charge de faire croire à un soutien de la société civile. Ces organisations grassement subventionnées sont en fait la plupart du temps de simples lobbies mis au service de communautés ou de clientèles électorales.
Le déclin de l’État-Providence ne mènera donc pas automatiquement à une victoire de la droite. Au-delà même du facteur culturel, on ne peut pas omettre le fait que la droite institutionnelle a accepté et poursuivi un certain nombre de politiques engendrées idéologiquement ou politiquement par la gauche. La droite française, de retour au pouvoir, souffre d’un « effet de cliquet » qui l’empêche de revenir sur les politiques qu’elle a pourtant combattu dans l’opposition. On pourra citer ici le cas de l’avortement (légalisé en 1975 avec les voix de la gauche), de la peine de mort (1981), des 35 heures (1998), ou bien encore celui du PaCS (1999). Ces différentes réformes essentielles sur des sujets aussi importants que la vie, la justice, le travail et le mariage ont à chaque fois été défendues par cette société civile de gauche : le « Planning familial » pour l’avortement, la « Ligue des droits de l’homme » pour la peine de mort, les syndicats pour les 35 heures, et le lobby homosexualiste pour le PaCS. Face à ces groupes d’intérêts organisés, l’opposition a eu du mal à se faire entendre puis s’est éteinte peu à peu, admettant ainsi en quelque sorte l’existence d’un « sens de l’histoire ». La droite n’est donc pas exempte de tout reproche, loin s’en faut, et il est normal que le peuple de France lui en ait tenu rigueur. Pour vaincre la gauche, la droite ne devra pas seulement compter sur le fait que les socialistes échoueront lamentablement, mais proposer une alternative crédible, à contre- courant quand il le faudra, qui ira au-delà des promesses électorales habituelles.
Taille de l’État : des paroles aux actes
Si Nicolas Sarkozy a su libérer la droite officielle de ses complexes de vocabulaire, son volontarisme est malheureusement resté trop souvent à l’état de simples mots. Fort d’un programme résolument libéral-conservateur en 2007, fondé sur la sacralisation de l’initiative et de la réussite individuelles et sur le respect de l’ordre, « Sarko the American » est peu à peu redevenu en matière économique un homme politique français aveuglé par l’étatisme. Des mesures positives bien que limitées ont cependant pu être réalisées sous son quinquennat (statut d’auto-entrepreneur, défiscalisation des heures supplémentaires, suppression des droits de succession, autonomie des universités, etc.), mais apparaissant aujourd’hui comme des réformes à la marge quand il aurait fallu s’attaquer aux problèmes structurels qui rongent notre économie et nos finances publiques.
Succombant dramatiquement aux sirènes de l’État-obèse, le président Sarkozy a analysé la crise financière de 2008 comme une crise du libéralisme, alors qu’elle était le symptôme d’une crise du capitalisme de copinage, cette corruption généralisée d’un État omniprésent et omniscient que les esprits ignorants ou malhonnêtes osent qualifier bien souvent d’ « ultralibéral ». Le poids et le pouvoir grandissant du secteur financier dans l’économie sont la résultante d’une garantie étatique donnée aux banques qui les poussent à prendre des risques insensés sans se soucier des conséquences, sachant qu’elles seront de toute façon renflouées. La financiarisation de l’économie est la marque de l’État. La liberté sans la responsabilité, ce n’est pas obéir aux lois du marché, ce n’est pas le libéralisme.
“L’entente des droites n’est pas qu’un enjeu électoral – les élections passent même au second plan à vrai dire – il s’agit d’abord de mener la guerre culturelle, de disputer enfin à la gauche son hégémonie intellectuelle et morale en réaffirmant fièrement nos valeurs.”
Dans un pays où l’État creuse chaque année un peu plus le déficit et accroît le poids de la dette en consacrant l’équivalent de 56,6% du PIB (2010) à la dépense publique, et inhibe la croissance en maintenant un environnement social et fiscal extrêmement défavorable à la libre-entreprise et donc à la création de richesses, il semble évident que la réduction du périmètre étatique va devenir une nécessité si l’on veut éviter le chaos.
La gauche sera très mal à l’aise mais prendra sa part du bout des doigts dans la réduction de la dépense publique, du moins il faut l’espérer. Ce « sérieux budgétaire » de gauche, qui reste cependant à démontrer, cristallisera avec un peu de chance la situation à défaut de l’améliorer, en attendant le retour en 2017 d’une droite…décomplexée.
L’entente des droites
Nous avons cinq ans pour refondre entièrement la doctrine de la droite française. L’éventail des forces en présence est plus que jamais flou, à l’heure où l’UMP se déchire entre deux têtes d’affiche, où l’UDI essaie de faire coexister des centristes scissionnistes et où le Front national poursuit son entreprise de dédiabolisation tout en jouant à l’arbitre des droites. Ces droites n’auront pas d’autre choix que de s’entendre, à défaut de s’allier, pour présenter dans les années à venir une sorte de « programme commun » aux Français. Les chantiers sont trop grands, les enjeux trop essentiels, pour que les patriotes s’autorisent le luxe d’être divisés en clans. L’entente des droites n’est pas qu’un enjeu électoral – les élections passent même au second plan à vrai dire – il s’agit d’abord de mener la guerre culturelle, de disputer enfin à la gauche son hégémonie intellectuelle et morale en réaffirmant fièrement nos valeurs. La « reconquête » dont tous les partis de droite parlent, passe par cette bataille des idées, par la revendication de grandes valeurs communes. La réduction du périmètre de l’État est à mon sens la mesure programmatique qui devra faire l’objet d’un consensus, même si une partie de la droite se refuse encore à l’envisager. Si l’UDI, qui se rêve en héritière de la « grande UDF », semble acquise à cette cause, une partie de la droite tendance « RPR » reste à convaincre, et le FN persiste dans un discours étatiste pensant ainsi séduire les classes populaires. Pour autant, la plupart des intellectuels proches du Front national se revendiquent du national-libéralisme et donc du libéral-conservatisme.
La droite majoritaire, le peuple dans la rue
Au regard des derniers résultats électoraux, on constate que la droite est majoritaire dans le pays. À la différence de 1981, en 2012, la droite est majoritaire en voix. Le Parti socialiste n’obtient que 16,5% des inscrits au premier tour des élections législatives tandis que l’UMP totalise 22% et le FN 7%. De plus, François Hollande n’a été élu qu’avec 48,6% des voix des votants, ce qui en fait le président le plus mal élu de la Ve République. Si l’électorat de droite est sociologiquement composite, notamment en fonction des régions, il ne fait nul doute que la question identitaire joue désormais un rôle primordial dans sa mobilisation. Comme l’analyse fort justement Patrick Buisson, la question sociale et la question identitaire ne font désormais plus qu’une. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy estime par ailleurs que la droite devra s’appuyer sur un bloc sociologique électoral ancré dans la France périphérique, la France périurbaine et les zones rurales, celle de l’Est industriel et des villes moyennes. En d’autres termes, un électorat qui s’articule entre les classes populaires et les classes moyennes, faisant l’objet de « paniques morales » face aux assauts de la mondialisation. Pour s’attacher la confiance de cette population, la droite devra au premier chef protéger le patrimoine immatériel de cette France déclassée, c’est-à-dire l’identité nationale ; garantir la sécurité, qui est la première des libertés; rénover profondément l’école publique en améliorant sa qualité et son objectivité, grâce à l’individualisation des parcours et l’autonomie des établissements, tout en étendant la liberté scolaire ; réduire drastiquement l’immigration légale qui cristallise les peurs, souvent à juste titre ; rendre la liberté économique aux entrepreneurs entravés par les réglementations et le droit de travailler aux salariés trahis par les syndicats. Cette France périurbaine, cette France de petits propriétaires, de patrons de PME, de commerçants et artisans, cette France de cadres subalternes, d’agriculteurs et d’employés, cette France qui travaille dur, cette France qui ne se plaint jamais, qui ne fait pas la grève, qui paie ses impôts – beaucoup trop –, cette France qui voit l’assistanat et le laxisme se généraliser à leurs dépends. Cette France qui est fière de son histoire, qui ne se repent pas, cette France qui croit en l’effort, au mérite, à l’ascension sociale, cette France qui croit au mariage et à la famille, cette France éternelle qui résiste corps et âme quand Saint-Germain-des-Prés assure qu’elle n’existe plus. Cette France qui refuse la dictature d’une gauche bien-pensante, complaisante à l’égard de nos ennemis, mais rejette aussi ceux qui à droite ont pu participer coupablement à cette entreprise de destruction en collaborant avec les élites mondialisées. Le pillage fiscal, la dénaturation du mariage, la négation de la famille, la montée de l’islam radical, tout cela les exaspère et les inquiète profondément. Le peuple de France est à nouveau prêt à battre le pavé pour défendre cette patrie qu’il aime tant, comme nous l’avons vu récemment à travers la mobilisation exceptionnelle des «pigeons entrepreneurs » ou encore lors des « Manifs pour tous ». Sauvons aujourd’hui ce qui doit l’être et rendez-vous demain pour la reconquête.
* Édouard Josse est directeur général du Cercle des Célestins.
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