Tribune libre d’Arthur de Vienne*
Promenez-vous dans Paris, bien des signes vous feront penser que vous êtes en plein cœur d’un musée. Ici, un panneau vous raconte l’histoire du quartier, là, une plaque de marbre vous rappelle qu’à cet emplacement même, un jeune homme a trouvé la mort sous les balles allemandes en 1944, qu’un écrivain connu a résidé derrière ces murs. Impossible de faire abstraction du passé : il vous agrippe, vous enlace, vous emporte, et c’est sans cesse dans un tourbillon de siècles que le promeneur se trouve engagé, sans avoir jamais rien demandé.
Paris a toujours vécu allégrement sans se soucier de l’histoire et nos prédécesseurs du Moyen Âge nous trouveraient bien conservateurs. D’eux-mêmes, ils détruisaient d’anciens temples et les restes de fortifications, élevaient des cathédrales et ne semblaient pas s’inquiéter de l’étrange nouveauté que cela représentait. Au fur et à mesure des ans, alors que la chaussée se mouvait sans provoquer le moindre souci – rappelons-nous que le niveau du sol a augmenté de sept mètres depuis le 13ème siècle – des quartiers ont été mis à bas, des champs ont été lotis, des forêts raccourcies, toujours avec ce souci d’améliorer le quotidien des Parisiens. Lisez Balzac et vous vous apercevrez que les vieux murs et les vestiges d’un temps ne l’amusaient pas du tout. Certes, ses personnages vivaient bien souvent dans des coins lugubres et froids (rue de Langlade sur l’actuel rue de Rivoli, la Petite Pologne, à l’emplacement du quartier Saint-Lazare) où les ordures s’entassaient tellement qu’elles finissaient par constituer de vraies petites collines (la rue Montorgeuil tient son nom de ces monticules dont on ne devait pas être fier) mais toujours, il les décrivait avec dégoût et répulsion. Il n’attendait qu’une personne : Hausmann.
Admettons pour notre part que nous avons bien du mal à accepter toute nouveauté : les stations Vélib et Autolib nous mettent parfois en rage tant elles nous semblent briser l’harmonie des façades et des rues. Ces sentiments ont trouvé leur apogée lors de la construction de la Pyramide du Louvres. Au beau milieu de cet espace majestueux, on refusait la présence d’une œuvre contemporaine. De tels sentiments ne sont pas condamnables, mais à l’aune du passé encore proche, ils perdent de leur justesse : le Louvre tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec ses ailes sans charme qui s’élancent vers l’ouest, date seulement de Napoléon III. Le palais des Tuileries, pour sa part, a bel et bien disparu depuis 1872. Alors si l’on veut sentir l’air de la Cour de Bonaparte et de celle de Louis XVI, inutile de s’assoir au pied du pavillon de Flore, car rien ne les rappelle. On oublie trop souvent, aussi, qu’à l’emplacement des pyramides litigieuses, se trouvait jusqu’à 1830 une dizaine de maisons aux façades ruinées, desservies par des rues insalubres, boueuses et mal famées (notamment la rue Saint-Nicaise, où l’attentat contre Napoléon échoua). On crie aujourd’hui au scandale lorsque le Maire propose l’installation d’un campement de romanichels sur l’avenue la plus chère de Paris mais on a bien du mal à réaliser à quel point la mixité sociale était palpable sous le règne des despotes : Louis XVI de ses fenêtres voyait, sentait, entendait la misère.
C’est bien trop souvent un Paris aseptisé qu’il nous est donné d’admirer, bourré d’étiquettes et d’indications, sur le sol, les murs, au milieu des places. Il semble que Paris, réalisant que sa grandeur était derrière elle, avait, dès les premières années de la IIIème République voué un culte au passé. Les statues, qui n’occupaient absolument pas le paysage parisien se sont mises à fleurir au milieu du moindre square. Au passant, elles semblent dire: « Regarde moi donc, des grands hommes tu n’en verras plus beaucoup de vivant. »
Voilà que le moindre badaud est contraint de se reposer sur ses lauriers : Paris ne s’est pas construit en un jour. Mais n’y touchons plus et admirons les gloires passées : on sourit au pied de la maison d’Hugo, on s’émeut devant la statue de jeanne d’Arc, on vibre à l’Arc de triomphe, on pleure à Picpus, et plus jamais l’on ne retrousse les manches.
Lutécien ! Paris n’est pas un musée. Cours, chante, hurle sur les passants, amuse toi, fais-le vivre et cesse de prendre ton air docte devant le moindre échantillon d’une grandeur effondrée.
*Arthur de Vienne est rédacteur au mensuel Le Lutécien.