Partir avec Depardieu ?

Tribune libre de Pierre-François Ghisoni*

L’idée de la terre promise, plus ou moins élaborée, régit tous les peuples de la terre, en sa transcendance, ou en son immanence. Certains l’ont réalisée : rappelons-nous les pères fondateurs américains, rappelons-nous Israël. D’autres tentent d’en trouver une à leur tour : réfléchissons à l’intensité des flux migratoires qui déferlent sur l’Europe. D’autres encore estiment qu’ils la possèdent déjà : les Français, peuple d’émigration infime s’il en est, appartiennent à ce modèle.

Pourtant il n’est pas de jour que nous ne rencontrions par voie de presse ou par simple discussion des personnes exprimant leur désir de départ.

Certains l’ont déjà fait, à grand renfort de tambours et de trompettes, déclenchant ces cris de haine par lesquels l’Étranger (de Camus) s’attendait à être accueilli. Des « assassins », en quelque sorte.

Le cas de Gérard Depardieu est exemplaire. La taille du personnage et ses diatribes irritent, attirent la foudre populaire. Mais cet arbre cache la forêt. Il cache même les buissons, et jusqu’aux herbages. Certes les grandes fortunes – je parle des privées – sont accusées de tous les maux lorsqu’elles se délocalisent… mais également lorsqu’elles restent en place. Alors…

Mais réduire le départ de Gérard Depardien – et de lui seul – à une simple affaire de gros sous, c’est encore regarder par le mauvais bout de la lorgnette. Comme si la possession d’une belle fortune annihilait tout sentiment en l’homme… comme si ses possessions étaient en soi diaboliques, alors qu’elles avaient été nourries de tant d’applaudissements… comme si les faiblesses de l’homme – elles sont nombreuses sous ses apparences de gros costaud – n’en faisaient pas justement un marqueur, un signe des temps, une sorte de prophétie mal comprise, volontairement mal comprise, sublimement vilipendée par de vilains pendards.

Il en est de cette affaire comme du harcèlement moral dans certaines de nos plus « citoyennes » entreprises : le subissent les plus faibles et les plus dévoués, les deux extrêmes de la chaîne. Et l’émergence de cette pathologie marque la mauvaise santé, voire la perversion de tout ou partie de la dite entreprise. De l’entreprise ou de la nation…

Car ne nous y trompons pas, l’exode a déjà commencé. Il touche de confortables fortunes (il existe de nombreux témoignages d’agences immobilières spécialisées, et si tous les banquiers voulaient bien parler…) mais il se multiplie dans le groupe des classes moyennes et inférieures. Àcet égard, le Canada (le Québec plus spécifiquement) – ces quelques arpents de neige méprisés – devient la terre d’accueil de bien des Français. Cadres ou non, ceux qui ont goûté au confort quotidien de la Belle Province ne souhaitent plus revenir en France. Non que tout y soit parfait, mais cette non-perfection qui retient cependant ces nouveaux voyageurs à sens unique en dit long sur la prétendue nôtre. Et même si certains devaient revenir – ce qui est loin d’être le cas parmi tous mes témoignages – il faudrait encore se poser la question des Français de l’étranger peu pressés de retrouver l’hexagone, des jeunes cadres partis travailler à Londres, et des files de voitures qui traversent quotidiennement les ex-frontières de l’est vers l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg : l’embouteillage matinal est constitué de plaques françaises, et le trafic en sens inverse est notablement réduit.

Oui, l’arbre cache bien jusqu’aux herbages : ce ne sont pas seulement les « gros », mais les « petits, les obscurs, les sans-grade » qui songent à une nouvelle terre promise.

Dans une nation comme la France, historiquement réputée par sa non-émigration le mouvement et la pensée ont de quoi inquiéter… à moins qu’ils n’aient de quoi réjouir.

Il convient d’en reparler.

*Pierre-François Ghisoni (blog) est écrivain et éditeur.

Related Articles

19 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Robert Marchenoir , 22 janvier 2013 @ 0 h 02 min

    Accuser ceux qui partent de trahison n a pas de sens. C est très dur, d émigrer. C est un dechirement, souvent définitif. Cela veut dire que vos enfants seront d une autre nationalité, voire ne parleront pas la même langue que vous. Cela veut dire que vous abandonnez vos tombes. Demandez donc aux immigrés…

    Pour faire ce pas, il faut que la vie soit devenue insupportable. Reprochait-on aux échappés du rideau de fer de quitter l enfer communiste ?

    C est un choix très difficile, très personnel, qui dépend beaucoup de la situation et du tempérament de chacun. Ceux qui partent le font entre autres parce leur pays leur dénie leur identité, refuse de les considérer comme des individus. Il est donc paradoxal de les condamner au nom de la collectivité. S ils partent, c est précisément que cette collectivité a perdu toute légitimité à parler en leur nom, c est que la France n est plus la France, c est que la France a renié les Français.

    C est la premiere fois, je crois bien, que la France devient une terre d emigration. La France est en train de connaître le sort de tous ces pays pauvres que leurs fils étaient traditionnellement obligés de quitter pour survivre. Certes, il y eut des colons du temps des colonies, mais leur état d esprit était fort différent : ils partaient à l aventure sur des terres que la France avait conquises.

    La France va beaucoup changer.

  • Goupille , 22 janvier 2013 @ 11 h 10 min

    Je ne collabore pas : je suis citoyenne d’un pays que je défendrai jusqu’au bout.
    Je vis dans un système qui ne me convient pas, mais je ne crois pas que vous en ayiez proposé un autre, viable et réalisé dans lequel nous pourrions nous couler.

    Nous nous demandons en effet comment organiser les marges et court-circuiter les réseaux. Ceux qui partent pourront au moins se dire qu’ils n’auront rien essayé.

  • Goupille , 22 janvier 2013 @ 11 h 14 min

    Trouver que la situation actuelle est insupportable… Vous avez vraiment des petits nerfs !
    Elle est irrespirable, et elle donne précisément envie d’agir, sur place.
    Question de tempérament, sans doute.

  • ranguin , 22 janvier 2013 @ 13 h 26 min

    Bien désolé que vous soyez parent d’un enfant malade. Chez nous, il faut être immigré pour avoir des droits. Demandez des pétitions pour que votre enfant soit soigné. Mais je ne pense pas qu’il faille accusé qui que ce soit à l’exception de notre gouvernement et surtout de la gauche.

  • Gérard(l'autre) , 23 janvier 2013 @ 21 h 00 min

    Chère Goupille … sans vous connaître, je vous aime bien … par vos écrits bien sûr.
    Je suis au Front National depuis qu’il existe, en 72 … mon propre frère était présent le jour de sa fondation … je combats dans les mêmes rangs que vous … pour les mêmes valeurs … moi depuis 40 ans … en homme d’action … et patati et patata … !
    MAIS dites moi s’il vous plait, comment vous pouvez agir … sans respirer … sans vous retrouver en prison par les temps qui courent ! A moins de subir !
    Effectivement c’est une question de tempérament … car, pour ce qui me concerne, je ne supporte pas … et je sais que je n’ai pas la fibre suffisamment “parlementaire” pour ne pas ruer dans les brancards … !
    Il arrive toujours un moment où l’on ne parlemente plus … !

    Acceptez les arguments de Robert Marchenoir ! Ils sont très sages !

Comments are closed.