Tribune libre
Après la banalisation de la « baby shower », où la jeune Maman reçoit ses amies après la naissance, pour échanger des cadeaux, voici les « fœtus parties ». Cela consiste à rassembler proches et amis, lors d’une échographie en trois dimensions du bébé à naître, en l’organisant comme une fête.
Chez notre confrère MagicMaman, on s’insurge, on s’interroge sur la légitimité d’une telle organisation, qui choque, d’après les spécialistes interrogés, dont Anne Bacus :
« le souci, c’est qu’on en se montre pas soi, mais qu’on montre son enfant. Quelque part, on viole son intimité sans le lui demander (…). C’est un être en devenir qui n’a pas à être exposé aux yeux de tous. »
Toujours dans le même article, on lit des choses étonnantes, sur le fœtus en tant que personne :
« Cette surexposition précoce n’est pas respectueuse des droits de l’enfant, puisqu’on le filme et le photographie à son insu. »
Réjouissons-nous de lire de telles analyses et réactions, au sujet des « droits de l’enfant », fœtus en tant que personne. Et en même temps, décelons-y un cruel paradoxe :
– Lorsqu’une mère se réjouit d’être enceinte, au point de convier tous ses proches à son échographie, cela nous semble quelque peu prématuré, dans cette exhibition de joie, qu’on peut même qualifier d’imprudente, étant donné ce que cela causerait comme dommages prychologiques supplémentaires en cas de fausse couche. Pour d’autres, ces “fœtus parties” sont considérées comme immorales, puisque la mère ne peut pas encore obtenir l’avis, et l’accord, de son enfant, pour être ainsi dévoilé in utero.
– En revanche, si la mère décide de ne pas garder cet enfant dans son sein, tout le monde et d’une seule voix s’empresse de l’y encourager et de défendre ses droits. Et dans ce cas de figure, lorsque nous leur renvoyons le droit de l’enfant à naître, nous sommes aussitôt renvoyés au vide juridique le concernant… Souvenons-nous de cette terrible affaire, où une femme enceinte de 8 mois, victime d’un accident causé par un chauffard, avait perdu son bébé, et échoué à le faire reconnaître par le droit… Non né, elle n’attendait pas un enfant, selon la justice, elle n’avait aucun deuil à faire.
Encore un paradoxe, il n’y a qu’à regarder les magazines spécialisés pour comprendre l’ampleur du marché autour de la grossesse : des écharpes de portages, en passant par les ceintures ou habits de grossesse à la mode, des petites cuillères aérodynamiques, à l’aménagement high-tech de la salle à manger… On se mobilise autour du bébé tant attendu, rendu tant désiré à force d’attendre le « bon moment », qu’il devient d’un seul coup au cœur de toutes les préoccupations. Où est le mal, me direz-vous ?
Le mal, c’est que le bébé devient un tapis de jeu où l’on mise tout son bonheur. Et gare à lui s’il ne correspond pas à nos attentes, ou tant pis pour lui s’il n’avait pas envie de faire du violon ou de répondre au nom de « Ian Solo ».
L’attente démesurée, ces années de placement, d’investissement sur l’ego, a pour conséquence ce surinvestissement, qui pourrait paraître positif au premier regard, s’il n’était pas si envahissant pour la liberté de l’enfant. La mère devient toute-puissante, et est prête à tout mobiliser pour cet instant de grossesse qu’elle a tant attendu, pour lequel elle a tant travaillé, auquel elle a tant rêvé.
La mère est toute-puissante, dans une société qui lui laisse le droit de vie et de mort sur l’enfant qu’elle porte. Cette toute-puissance se manifeste autant dans la possibilité offerte par la loi, d’avorter, que dans les choix pris durant la grossesse : ainsi, l’enfant imaginaire se développe-t-il depuis plusieurs années, au delà de la légitimité de son existence psychologique : on ne se contente plus de rêver son enfant, ce qui appartient à un stade normal, naturel, durant les premiers mois de la grossesse, mais on projette désormais sur lui tous nos espoirs, nos doutes, nos angoisses, en tentant de l’instrumentaliser comme pour remplir le vide laissé par l’égoïsme.
La récente affaire autour d’un prénom peu commun, a mis en lumière l’investissement faussé des parents : leur enfant est désormais la projection de leur univers d’adulte, et il hérite de ce que cela comporte comme responsabilités… En cherchant un prénom pour l’enfant, on se soucie normalement de trouver celui que nous aimons bien, parfois conditionnés par notre propre histoire, notre contexte de vie. Mais force est de constater que depuis des années, les prénoms ont changé, et il ne s’agit pas seulement du vide culturel qui dévaste notre territoire, mais d’achever de réduire l’enfant à notre ressenti, en l’enfermant dans ce qui conditionne notre vie : la télévision, la sur-consommation, les illusions …
Les « fœtus parties » méritent qu’on leur laisse un peu le bénéfice du doute, mais il faudrait peut-être leur préférer la discrétion ancestrale, en début de grossesse, afin de ne pas se priver de la joie de partager ce premier secret de vie, en couple.
Mais rien ne nous empêche de les réinventer, en organisant des fêtes autour de la future Maman, en se réunissant pour partager la bonne nouvelle, avec des cadeaux, des conseils, des promesses d’aide à venir…