Un lecteur nous adresse ce texte:
La règle absolue pour tout bon politicien est de faire en sorte que l’on parle de soi. Pour ce faire, il est nécessaire de trouver la formule ou le thème qui s’imposera dans les médias. Il n’existe pas de recette du succès car l’opinion est imprévisible, mais il y a tout de même un impératif : éviter de donner une tournure trop politicienne à son propos, sous peine de perdre en crédibilité.
Avec son affaire du pain au chocolat, Jean-François Copé a remporté une victoire à la Pyrrhus ; on parle de lui certes, mais à quel prix ! Combien de caricatures, de moqueries, de mépris témoignés envers celui qui a tout de même imposé le thème du « racisme anti-blanc » dans l’actualité. Un sujet de fond a pourtant été effleuré, mais la trivialité de l’anecdote en question le rend assez difficile à discerner au milieu de l’agitation politicienne à laquelle se livrent droite et gauche.
Un problème de société couve effectivement, un problème auquel le racisme anti-blanc est subsumé, je parle de l’abandon du modèle assimilationniste.
Les insultes francophobes et les invectives contre les Français de souche ne sont pas des manifestations d’un racisme latent comme la sortie de Copé tente hypocritement de le faire croire, elles ne sont pas plus l’objet d’une pensée racialiste hiérarchisant les individus. Elles sont le reflet du clivage qui sépare les enfants d’immigrés maghrébins et sub-sahariens du reste de la population.
Cette séparation n’est pas seulement métaphorique, elle est physique, et même géographique. L’essentiel des populations concernées vivent en périphérie des villes, là où le couple infernal chômage et déscolarisation enfante irrémédiablement un avenir en berne. La ghettoïsation de certains pans du territoire national est actée, on les nomme « les territoires perdus de la République », à juste titre.
Non pas que l’État se soit désintéressé de ce qu’il se passait dans ces quartiers puisqu’il y a injecté des milliards, mais simplement cette bataille ne pouvait être gagnée à coup de chèques et de subventions.
Mélancolie et remords
Lorsque le lien se rompt entre un État et une partie de ses résidents, les codes ne se transmettent plus, ils se réinventent. Et, de fait, une contre-culture est apparue dans les banlieues françaises, une contre-culture qui englobe aussi bien le langage et les arts que les valeurs et les pratiques de vie, notamment au travers de l’islam dont l’essence spirituelle et civile offre une alternative au système politique laïc.
Encouragées par les puissances économiques pour qui une société communautaire est plus attractive qu’une communauté nationale, et inspirées par un mouvement idéologique inhérent à la gauche universaliste, les revendications ethniques, mémorielles, et culturelles se sont développées ces trente dernières années, au fur et à mesure que l’on a constaté qu’il n’existait plus aucun répondant en face.
Le fait est que les Français sont pris dans un paradoxe. Autour d’eux, tout leur rappelle cette grandeur à laquelle ils ne peuvent plus prétendre, mais pour autant ils ne savent plus considérer leur Histoire autrement que par le prisme de Vichy et de la décolonisation. Mélancolie et remords, voilà de quoi stimuler le dégoût de soi et la « psychologie du vaincu », comme disait De Gaulle.
Ne sachant plus trop à quel passé se référer, la France doute d’elle-même et de l’héritage qu’elle véhicule. Aussi les associations, les politiques, certains intellectuels, ainsi que les relais d’opinion, ont profité de cet effet d’aubaine – par idéologie ou par intérêt – pour consacrer la différence comme une vertu, comme un droit inaliénable, sans se rendre compte que ce droit entrait en contradiction avec l’homogénéité que requiert l’égalité citoyenne. On a alors fait du multiculturalisme le nouvel humanisme à défaut d’autre grand principe à étreindre ; on a célébré l’universalisme pour mieux sublimer le renoncement à perpétrer notre héritage. Car le renoncement est bien le cancer qui mine la France.
Effectivement, il est bien difficile de défendre les valeurs et l’héritage français quand le patriotisme est substitué par la détestation de soi, alors on préfère renoncer. On renonce à commémorer les grands hommes de la France de peur de célébrer un impérialisme coupable ; on renonce à reconnaître à ce pays une identité, sous le prétexte fallacieux que ce serait offenser les derniers arrivés ; on renonce à donner un avenir à la France en tant que nation en transférant les prérogatives de l’État à des institutions fédérales. La France souffre – hélas ! – de Français qui ne croient plus en elle.
Travail et assimilation
Mais Histoire et éducation ne font pas tout. Le travail est le premier facteur d’assimilation. Sans un travail qui le lie à son pays d’adoption, un fils d’immigré a de fortes chances de demeurer considéré comme tel par lui-même et par autrui. Quand bien même ferions-nous de nos banlieues des temples du patriotisme, cela ne saurait suffire.
Cependant, des siècles de prépotence étatique ont donné pour coutume à ce pays de tout attendre de l’État. Or, ils sont nombreux les hommes politiques – à l’instar de Lionel Jospin en 2000 – à penser que l’État ne peut pas tout sans pour autant aller jusqu’à le dire, comme le fit l’ancien premier ministre. C’est pourtant le cas.
L’État français peut réformer pour stimuler l’entreprenariat, lever les contraintes fiscales pour favoriser les embauches, mais il ne peut garantir un travail pour chaque citoyen, et il le peut d’autant moins que son pouvoir s’amenuise progressivement, autant que l’exige la construction d’une Europe fédérale vers laquelle il emmène son peuple rétif.
Le contrat social ne garantit pas un emploi stable à l’individu, après-tout la vie elle-même ne lui doit rien. Il n’est toutefois pas permis de croire qu’on réintroduira un quelconque sentiment d’appartenance nationale tant que le chômage fera profession d’obstacle entre le banlieusard et son pays.
Fin de l’État national
Ainsi donc, derrière la saillie politico-médiatique de Jean-François Copé se pose finalement la question du rôle de l’État centralisateur qui a forgé la France tout au long de son Histoire. Les dérives sectaires dénoncées maladroitement par le candidat à la présidence de l’UMP existent bel et bien, mais elles sont le corolaire d’un État qui disparaît peu à peu, et c’est là où le débat doit se situer.
C’est parce que l’État français a choisi la mauvaise orientation économique avec l’euro – et désormais avec le Pacte budgétaire – que sa capacité à générer de la croissance s’est étiolée ; c’est parce qu’il a additionné au doute sur lui-même l’abandon de son pouvoir aux instances européennes qu’il n’ose plus imposer la culture nationale aux cultures individuelles. Sans pouvoir un État n’a pas de légitimité, et c’est là la source dont découlent les maux de la société française. Mais la pression qui pèse sur lui est à la fois intense et impalpable.
La gauche universaliste a trouvé un allié objectif dans l’idée d’un capitalisme sans frontière. Divergeant sur le long terme, ces deux conceptions se rejoignent sur la volonté d’anéantir l’État-national qui fait office de barrière au multiculturalisme de l’une et à l’épanouissement commercial de l’autre.
Fédéraliste convaincu, Jean-François Copé prétend s’insurger contre les conséquences d’une politique à laquelle il adhère. Fort en vocable mais laborieux en acte, il ne sera pas le nouveau De Gaulle. Tout au plus un esprit facétieux le rapprocherait davantage du général Boulanger qui a au moins fait à la postérité le don d’une fin tragique, alors que le seul tragique propre à Jean-François Copé est que sa défaite annoncée en novembre ne l’empêchera sûrement pas d’être encore là en 2017.
10 Comments
Comments are closed.