Tribune libre de Christian Vanneste*
Ce qui frappe le plus dans le choix qui a présidé à l’élection du Pape François, c’est l’intelligence qui manifestement l’inspire : une manière de démentir et de dépasser les commentaires politiciens totalement étrangers à l’esprit du Conclave. La Curie contre l’Église universelle, les conservateurs et les progressistes… Pourquoi pas la gauche et la droite ? Quand les Cardinaux disaient que c’était le Saint-Esprit qui allait voter, les beaux esprits, eux, souriaient, mais la rapidité de la décision et son caractère surprenant pour les « spécialistes » montrent que cette hypothèse n’est pas absurde. Le Cardinal Bergoglio est sans doute l’homme qu’il faut au moment où il le faut.
Benoît XVI incarnait la puissance intellectuelle de la tradition catholique et son rôle a été essentiel pour montrer que la foi chrétienne, en accord avec la raison ne pouvait être confondue avec un vague sentimentalisme conjuguant le verbe aimer sur tous les modes. L’« Amour dans la Vérité » a été ce rappel décisif pour éviter les pièges du relativisme, de l’hédonisme, de l’individualisme dans lesquels notre époque s’est fourvoyée. C’est donc une Église spirituellement renforcée qui doit maintenant améliorer son propre fonctionnement et aller davantage vers le monde. Avec humilité et lucidité, le « conservateur » Cardinal Ratzinger, devenu Pape, a pensé, après huit ans de règne, qu’il fallait qu’un autre poursuive le chemin et innové d’une manière qui a totalement surpris, en renonçant au siège apostolique. Et celui qui lui succède apparaît non comme son contraire mais bien plutôt comme son complémentaire, à plus d’un titre.
“Le fait que le Pape s’appelle François est une réponse d’un humour évidemment involontaire à la petite blague révélatrice d’une médiocrité des horizons et des repères chez celui qui préside notre pays et ne présentait pas de candidat au Vatican…”
Le Cardinal Bergoglio est devenu le premier pape « jésuite ». Premier message, riche d’enseignement, si on se souvient que l’un des fondateurs de l’Ordre s’appelait François-Xavier et qu’il est allé porter la Bonne Parole en Asie, l’un des deux continents où, aujourd’hui, le nombre des catholiques s’accroît. Les Jésuites, armée de la Contre-Réforme, mais armée de la Paix, qui a joué en Amérique du Sud un rôle considérable dans la lutte contre l’eclavage à Carthagène et surtout avec les Missions du Paraguay où ils sont parvenus à créer un État Guarani momentanément à l’abri des chasseurs d’esclaves. Nul doute que celui qui a été Primat d’Argentine est pénétré de cette vocation des Jésuites à sortir de l’Europe, à aller vers les autres cultures, pour faire respecter la dignité de tous les hommes, mais aussi pour les évangéliser.
Mais François, c’est aussi le Saint d’Assise, le fondateur des Frères Mineurs, celui qui s’est tourné vers un autre continent, celui de la pauvreté, qu’on n’ appelait pas encore le Quart-Monde. L’austérité de l’archevêque de Buenos-Aires, son dévouement pour les pauvres, et son action en faveur des habitants des bidonvilles ne laissent aucun doute sur le choix du prénom. Certes, l’ordre jésuite est connu pour son intelligence, le haut niveau intellectuel de ses membres et sa capacité de s’adapter aux problèmes du temps, mais précisément l’une des questions les plus aiguës est celle de la pauvreté et de l’exclusion : celui qui lavait les pieds des toxicomanes ou des malades du SIDA, qui trouvait hypocrite de ne pas baptiser les enfants de mères célibataires, exprimait avec force sa Charité. Est-il donc un progressiste, comme l’écrit de façon réductrice Le Nouvel Obs ? Non, car cet accueil de l’autre n’est nullement un renoncement à l’anthropologie chrétienne. Bien au contraire ! Opposé à l’avortement, il n’a pas hésité à combattre avec la même force la volonté du gouvernement argentin d’instaurer le mariage homosexuel. Le marais-cage parisien en sera donc pour ses frais. Jean-Paul II a, par ailleurs, proclamé Saint-François patron céleste des écologistes, ce qui est aussi une référence aux exigences de notre temps, mais en précisant que l’écologie englobe l’écologie humaine, le respect de la nature humaine. Son oubli chez les Verts est d’ailleurs le signe de leur imposture. Enfin, la rencontre du fondateur des Franciscains avec Al-Kamil en Egypte est aussi une autre manière d’aborder la question évoquée par Benoît XVI à Ratisbonne : la guerre sainte n’est pas dans l’esprit du christianisme, mais si celui-ci renonce à la violence, en dehors de la légitime défense, il ne renonce nullement à évangéliser.
“Un corps est sain si l’esprit y souffle. Il a soufflé hier sur l’Église.”
Enfin, il s’agit du premier pape moderne qui ne soit pas européen. Cette bonne nouvelle pour le catholicisme n’en est pas forcément une pour notre continent et notamment pour la France qui n’avait pratiquement aucune chance de voir élu un de ses cardinaux. Cette évolution recèle une double signification. D’une part, c’est le signe de l’amoindrissement de l’Europe dans le monde. Malgré son territoire exigu, elle a dominé le monde jusque dans la première moitié du XXe siècle, alors que les missionnaires catholiques français étaient les plus nombreux et les plus actifs. L’axe de la puissance et du développement a quitté l’Atlantique pour le Pacifique, et la France est aujourd’hui à évangéliser alors qu’elle ne forme que très peu de missionnaires. Le fait que le Pape s’appelle François est une réponse d’un humour évidemment involontaire à la petite blague révélatrice d’une médiocrité des horizons et des repères chez celui qui préside notre pays et ne présentait pas de candidat au Vatican… L’Europe chrétienne, et la France, Fille aînée de l’Église, en particulier, passent leur temps à nier leur identité, à dessiner leur portrait avec une gomme en formant des générations d’ignorants de leurs racines. Ces deux reculs sont liés. Un corps est sain si l’esprit y souffle. Il a soufflé hier sur l’Église.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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