Tribune libre d’Henri Dubreuil*
Voilà que ça les reprend ! Il y avait eu ces abrutis de Français en 2005 et leur rejet de la constitution européenne. Il avait fallu encaisser quelques jours plus tard le vote de ces stupides Néerlandais sur le même traité. Deux années de perdu pour l’Union européenne avant, finalement, de voir le texte revenir par la petite porte parlementaire.
2011 fut par la suite annus horribilis pour l’Europe. Dans le contexte de crise des dettes souveraines, les Grecs s’étaient soudainement pris d’affection pour la démocratie avec une proposition de référendum sur la politique d’austérité. Heureusement, la Commission veillait au grain et elle obtint rapidement le retour à la raison des dirigeants grecs. Non content de ce succès, Bruxelles poussait quelques semaines plus tard le Cavaliere Berlusconi vers la sortie pour le remplacer par un ancien de chez Goldman Sachs, Mario Monti, très en vu des marchés !
Mais comme le dit l’adage, chassez le naturel et il revient au galop. Les Grecs l’ont savamment démontré avec leurs errements électoraux de 2012. Première tentative d’élection en mai : stupeur de Bruxelles face à la poussée des partis anti-austérité. Un second vote est alors vite organisé en juin pour laver cet affront. Cette fois-ci, le résultat conforme aux attentes était accepté par les partenaires européens. L’élève grec avait vite compris la leçon !
Début 2013, les Anglais ont fait ressurgir le vieux démon de la démocratie avec un projet de référendum sur l’adhésion de leur pays à l’UE. Fureur des autorités européennes face à la démagogie de Cameron.
Place désormais aux Italiens. À la chambre des députés, Beppe Grillo, avec son discours anti-UE, a capté plus de 25% des suffrages lors des dernières législatives. Le Peuple de la liberté et la ligue du Nord – également critiques sur l’Europe – ont collecté ensemble 25% des voix. Autrement dit, un Italien sur deux a exprimé un certain rejet de l’Union européenne !
Les réactions n’ont pas tardé. L’oligarchie médiatico-politique s’est inquiétée de la montée de l’euroscepticisme. Elle a crié au populisme. Elle a martelé que le salut des états européens passait pas Bruxelles. Elle a menacé de chaos politique, d’appauvrissement généralisé, de choc social et d’isolement international quiconque choisirait de s’éloigner du cadre bruxellois.
En face, les « anti » triomphent déjà. Ils se sont mis à parler de réveil des peuples et d’agonie des eurocrates. En France, Marine Le Pen a même jugé le résultat « assez enthousiasmant pour les futures élections européennes ».
Et ils peuvent pavoiser. 19% des Finlandais ont choisi le parti eurosceptique des Vrais Finlandais lors des législatives de 2011. 30% des Polonais ont fait confiance au parti eurosceptique Droit et justice aux législatives de 2011. 27% des Français considèrent qu’il n’est pas dans l’intérêt de la France d’appartenir à l’UE. Même les très europhiles Allemands jugent à 49% que leur situation personnelle serait meilleure sans la construction européenne. Ajoutez-y le mécontentement des Britanniques, des Grecs, des Autrichiens, des Portugais et maintenant des Italiens, l’euroscepticisme fait recette !
Pourtant, malgré cette défiance croissante des citoyens à l’égard des institutions européennes, mon petit doigt me dit que le changement n’est pas pour demain. Car les ressorts de la bête sont puissants. Le meilleur exemple reste la force surnaturelle de l’euro. Cette monnaie criblée de défauts, au niveau totalement artificiel et objet de ruine pour de nombreux pays continue de s’imposer comme une devise de référence. Les dirigeants politiques rivalisent d’imagination et multiplient plans de sauvetages ou mécanismes en tout genre pour sauver le soldat euro ! Rares sont ceux qui osent vraiment envisager la fin de la monnaie européenne. Beaucoup se contentent de vagues critiques en proposant une dévaluation, une refondation des statuts de la BCE ou une révision du Traité de Maastricht.
La réalité doit donc être envisagée avec lucidité. La volonté politique de préserver le modèle européen actuel est aujourd’hui impérieuse, quelqu’en soit le coût. Le système européen puise sa force dans une intense propagande relayée par les grands médias, les formations politiques de gouvernement, la majorité des patrons, des syndicats et des intellectuels. Toute remise en cause de l’UE est assimilée à du populisme, à de l’irresponsabilité voire à de l’obscurantisme.
Surtout, le système européen joue sur la peur et la lâcheté des dirigeants nationaux. Peur de l’inconnu avec une éventuelle sortie de l’euro. Lâcheté face à l’idée d’une remise en cause de l’Union européenne. Car la problématique se situe bien là. Aucun chef d’État ou de gouvernement ne souhaite endosser face à l’histoire la responsabilité d’une dislocation du projet européen.
À l’opposé de cette détermination sans faille, l’aspiration des peuples à se défaire de ce système est faible et désorganisée. Les critiques de l’Europe existent mais demeurent le reflet d’une pluralité d’opinions. Derrière chaque électeur se cache une vision de l’Europe.
Il y a ceux qui veulent une sortie pure et simple de l’UE, ceux qui souhaitent une Europe sociale, ceux qui désirent un simple marché unique, ceux qui plébiscitent la fin de l’euro, ceux qui attendent la mise au pas de la BCE, ceux qui défendent une renégociation des traités, ceux qui soutiennent le protectionnisme, ceux qui proposent la fin de Schengen, ceux qui plaident pour une remise en cause de l’élargissement… La liste est infinie et témoigne simplement de la multitude des idées eurosceptiques.
Cet éclatement est d’ailleurs visible lors des scrutins législatifs. En Grèce, en mai 2012, les partis anti-austérité disposaient de 151 sièges sur 300 au Parlement. Mais il était évidemment inconcevable que les députés de la gauche radicale s’allient avec ceux de l’extrême-droite. En Italie, Beppe Grillo et Silvio Berlusconi disposent ensemble de 232 sièges sur les 617 de la chambre des députés et de 171 sièges sur les 315 du Sénat. Mais toute alliance est inenvisageable.
L’UE craint donc finalement assez peu un vrai chamboulement du jeu. Sûre de son bon droit et consciente de son assise, elle poursuit ainsi sa logorrhée législative à coup de règlements et de directives. Elle drogue des États affaiblis aux transferts de compétences au point d’être à l’origine de 80% des textes enregistrés au sein du Parlement français !
Monnaie, budgets, concurrence, banque, commerce extérieur, agriculture, énergie, transport, environnement, immigration, sécurité, santé, éducation, culture… Tous les champs du domaine public sont régis par l’Union européenne. Tous finissent généralement sur un échec. Mais à chaque fois, les eurobéats resservent la même justification : manque d’Europe !
En 2014, l’Europe devra affronter les élections européennes. Nul doute que les partis eurosceptiques engrangeront des sièges. Mais leurs résultats seront trop minimes et trop éclatés pour espérer impulser un quelconque changement. Pire, ils légitimeront un peu plus le système ! En 2009, sur les 754 députés élus au Parlement européen, les 88 eurosceptiques classés à droite étaient si nombreux qu’ils se sont divisés en deux partis, sans compter une vingtaine d’élus supplémentaires qui ont préféré rester au sein du PPE ou se ranger en non inscrits (dont les députés FN…). Les 34 députés d’extrême gauche ou de gauche radicale sont restés entre le marteau et l’enclume en se déclarant « opposés à la construction européenne actuelle » mais « profondément attaché à la construction européenne ». En face, l’alliance PPE (droite)/PSE (gauche) avec 461 sièges a fait bloc et s’est partagée la présidence du Parlement pendant toute la durée de la mandature. Ils ont été régulièrement soutenus dans leur vote par les 143 députés rangés au sein des partis libéral et écologiste.
Quant à ceux qui douteraient encore de ce scénario pour 2014, sachez que Bruxelles veille. La commission a ainsi alloué début 2013 une enveloppe de 2,5 millions d’euros pour financer des « trolls » chargés de contrer les eurosceptiques sur le net. Certes, ce n’est pas très glamour de rejouer l’URSS et l’endoctrinement des consciences (les goulags en moins…), mais notre si chère Europe vaut bien quelques entorses à la démocratie.
*Henri Dubreuil est diplômé en économie et en finance.
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