“C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… D’aujourd’hui. Le cheval était roumain et le cavalier s’appelait Spanghero. Dans ma jeunesse, un Spanghero, ça faisait du rugby, pas de l’équitation. C’est là qu’on se sent devenir vieux. Il y a aussi un trader à Chypre. Là-bas, les banques sont en faillite mais ils ont encore des traders. L’affaire était tellement juteuse que le Chypriote sympa a mis un collègue hollandais sur le coup. On vit une époque formidable où les traders ont des méthodes de mafieux et les mafieux des costumes de traders. Et le cuisiner doit être, bien sûr napolitain. Pour des lasagnes, c’est la moindre des choses. Sur la boîte, il y avait écrit Findus. À force de vendre des poissons carrés, sans tête ni arrête, ceux-là ont fini par confondre les chevaux et les bœufs. Les Anglais ont découvert l’embrouille, c’est normal, ils avaient retrouvé le goût de la vache folle. “On est ce que l’on mange”, disait Rousseau. On comprend mieux ce que la mondialisation a fait de nous : des monstres sans patrie, sans racine, sans goût. Ces lasagnes roumano-hollando-luxembourgeo-franco-chypriotes ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Tout ce que nous achetons, consommons, nos vêtements, nos jouets, nos voitures, nos télévisions, nos iPods sont un mélange inextricable venu de Chine, de Cambodge, de Roumanie, de Turquie, du Maroc…
« C’est le règne du travail vite fait, vite cassé, vite jeté. Du pas cher qui rapporte beaucoup… à quelques uns ! »
Tous les mauvais ouvriers du monde se sont donnés la main. C’est le règne du travail vite fait, vite cassé, vite jeté. Du pas cher qui rapporte beaucoup… à quelques uns. Le consommateur n’est qu’un intermédiaire, pas vraiment indispensable, entre l’usine et la poubelle. Jadis, Giscard rêvait d’une Europe où la cuisine serait française, les vêtements italiens, les voitures allemandes… Bref, où chacun ferait ce qu’il sait mieux faire pour tous. Mais le carrosse Europe s’est transformé en citrouille. Même les voitures allemandes sont fabriquées dans tout le continent avant de recevoir la précieuse étiquette mensongère “Made in Germany”. Toutes les marinières bleu, blanc, rouge n’empêcheront pas les produits “Made in France” de venir de partout et de nulle part. Alors, quand on parle de relocalisation, de protectionnisme, on nous rit au nez. “Impossible”, nous dit-on avec hauteur, “les containers sur bateaux sont dirigés par Internet”. Mais ne vous inquiétez pas, braves gens, les contrôles seront renforcés. Il suffit d’y croire. Les contrôles seront renforcés comme le capitalisme a été moralisé, la finance régulée, le chômage enrayé et les délinquants emprisonnés. Déjà, les commissaires européens se sont réunis, le communiqué officiel ne tardera pas, le papier vient de Tunisie, le stylo du Cambodge, l’encre de Roumanie, les morceaux de l’imprimante ont été fabriqués en Chine, Indonésie, Pologne… avant d’être assemblés à Francfort. On est rassuré, c’est si bon d’être pris pour des benêts… Alors, chantez avec moi : “C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… D’aujourd’hui.” »
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