Tribune libre de Christian Vanneste*
L’arrestation de onze terroristes potentiels et la mise hors d’état de nuire de l’auteur de l’attentat de Sarcelles dont l’identification avait précipité les recherches arrivent à point : elles soulignent l’efficacité de la police ; elles montrent l’action coordonnée des services de police et de justice avec un niveau de rapidité et de prévention qui est supérieur à celui de l’affaire Merah ; elles permettent au gouvernement de témoigner de sa fermeté et d’appeler à l’unité nationale. On pardonnera au Président d’avoir voulu être solennel en parlant si lentement et d’un ton si mal assuré qu’il donnait l’impression de chercher ses mots. Manifestement, il n’a toujours pas revêtu la fonction. Néanmoins, après tant de mauvaises nouvelles, d’improvisations, de déconvenues et de reculades, l’affaire paraît bien menée. Elle risque paradoxalement d’être l’arbre qu’on abat et qui cache néanmoins la forêt.
La cellule ne paraissait pas en elle-même bien redoutable, mais Merah, lui non plus, ne semblait pas a priori présenter le danger qu’il a bel et bien été. Le péril ne vient pas de la puissance de l’organisation, mais au contraire de son absence, qui peut rendre l’attention de la police insuffisante. Même si le « vivier » salafiste est peu nombreux, 15 000 personnes et celui des convertis de cette mouvance évalué à 1 600 pour un total de près de six millions de musulmans, il peut encore générer suffisamment de candidats au martyr pour faire beaucoup de victimes. Ce n’est pas un phénomène nouveau. On se souvient de Khaled Khelkal ou encore du gang de Roubaix, dont le chef s’appelait Christophe Caze, et qui comprenait dans ses rangs Lionel Dumont. Ces cas pour être marginaux font cependant naître le même trouble, la même inquiétude. Trois caractéristiques devraient particulièrement nous interpeller : la porosité entre la délinquance de droit commun et le terrorisme, d’abord ; la présence de convertis dans ces groupes, ensuite ; le lien avec des conflits étrangers, enfin.
Entre les soldats perdus qui essaient de survivre dans la clandestinité dont le sudiste William Quantrill est le prototype, les tueurs qui s’essaient à la philosophie comme Mesrine et le chassé-croisé de ceux qui vont à la prison après la mosquée et de ceux qui font le chemin inverse, le point commun est évident : il ne s’agit plus d’individus qui essaient de trouver leur place dans la société par de mauvais moyens, gangsters ou mafieux, mais d’individus qui sont en guerre avec elle, qui sont habités à son encontre d’un véritable instinct de mort autodestructeur autant que destructeur.Les idées courtes des sociologues du dimanche, façon Christophe Barbier, sur le chômage originel, ne répondent pas au caractère heureusement rare, mais hyperbolique de cette guerre totale contre sa propre société. Les auteurs des films à la gloire de Mesrine ou des pièces de théâtre à la mémoire de Khelkal, dignes démolisseurs issus de la pensée déconstructrice, ont un degré d’irresponsabilité bien plus grand que celui, dénoncé quasi unanimement, chez les journalistes de Charlie Hebdo.
La présence de convertis dans ces groupes doit être soulignée. D’une part, elle permet de relativiser les choses. Parmi les victimes de Merah, il y avait des militaires français de confession musulmane, et la mère de l’un d’eux, couverte d’un voile, comme en portaient nos grands-mères, a exprimé le sentiment patriotique de son fils. Mais, d’autre part, on doit ici employer un autre mot pour les terroristes convertis : il s’agit de renégats, c’est-à-dire de traîtres absolus qui ont renié pays, religion, culture parce que ce qui les inspire est la haine de leur « identité » d’origine. On peut comprendre le retour à des racines fantasmées d’un immigré qui a du mal à s’intégrer. Mais d’où peut jaillir la détestation suicidaire de sa propre identité ? De manière générale, le passage du christianisme à l’islam a toujours été facilité par la simplicité théologique de ce dernier : pas de schisme sur la nature du prophète. D’autre part, pour celui qui est en recherche d’intégration et d’identité, la vie dans un groupe, séparé du reste, identifié à des vêtements, à la pesanteur de ses rites et de ses obligations apporte une réponse que ne lui donne plus la religion « dominante » diluée dans la majorité indifférente. Mais surtout, la laïcité agressive du tournant des deux siècles précédents, la volonté d’éradiquer une religion inséparable de l’identité française ont créé un désert culturel, une rupture de transmission, un vide qui ne demande qu’à être comblé. Qui se préoccupe d’enseigner les relations fructueuses entre le christianisme, l’humanisme, la démocratie ? La tête vide qui fait un passage en prison peut en ressortir pleine d’un ressentiment vengeur et fanatisé contre la société dont elle pense être la victime.
Lors de la calamiteuse lutte menée par les radicaux contre l’Église, l’argument le plus fort consistait à dénoncer la soumission du clergé catholique à un souverain étranger, le Pape. La critique s’est estompée lorsque les religieux expulsés sont rentrés en France, en 1914, pour servir leur patrie. Le patriotisme était à la fois le rival séculier de la religion, et le vecteur d’une laïcité positive qui additionne les croyances au lieu de s’acharner contre l’une d’elles. Les États-Unis offrent encore cette image. La France actuelle atteint, en revanche, les sommets du paradoxe et du ridicule. D’abord on n’a jamais tant parlé, dans notre chère République unitaire, des communautés. Ensuite, celles-ci semblent d’autant plus respectées et écoutées dans notre démocratie qu’elles sont plus minoritaires. Enfin, on paraît accepter sans problème les liens qu’elles entretiennent avec des puissances étrangères que ce soit l’Algérie, le Maroc, les pays du Golfe ou Israël. On laisse pénétrer en France, menés par des Français, des conflits qui ne sont pas ceux de notre pays : Bosnie, hier, Moyen-Orient et Palestine. Les liens du terrorisme avec l’étranger sont patents. C’était auparavant le fait d’États voyous, souvent des dictatures nationalistes. Ce peut être aujourd’hui lié à des réseaux présents dans des États apparemment amis ou dans ces zones de non-droit qui se sont multipliées sur la planète parfois avec notre complicité directe ou indirecte, le Sahel, ou une partie de la Syrie.
En dehors de l’action policière et judiciaire, du renforcement de la surveillance des quartiers difficiles, des lieux de culte, des prisons, de la circulation des fonds et des armes, des voyages dans les zones sensibles, il y a une double action politique à mener : la première est de renforcer dans toute notre éducation, le patriotisme et la connaissance de l’identité nationale, dont la gauche considérait qu’elle ne méritait pas un débat ; la seconde consiste à redonner à notre politique étrangère une cohérence qu’elle n’a plus et les moyens de la mettre en œuvre : le fait que le budget militaire soit le plus sacrifié sur l’autel d’une austérité qui ne s’avoue pas n’est en rien rassurant !
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
2 Comments
Comments are closed.