Alors que le monde du cyclisme est secoué par la déchéance des sept titres de vainqueur du Tour de France détenus par Lance Armstrong, la question de la réattribution de ses victoires fait débat.
« Nous souhaitons qu’il n’y ait pas de lauréat sur ces éditions. La décision formelle doit être prise par l’UCI (vendredi) mais pour nous, très clairement, il doit y avoir un palmarès en blanc », a déclaré Christian Prudhomme, directeur du Tour de France. Celui-ci le justifie par le rapport de l’USADA (agence américaine anti-dopage) dans lequel il voit une « double mise en cause, d’un système et d’une époque. Cette époque doit être marquée par l’absence de vainqueurs. » La mise en cause d’une époque est-elle la seule justification à l’affirmation du successeur de Jean-Marie Leblanc à la tête de la Grande boucle ? D’autres facteurs semblent expliquer le souhait de Christian Prudhomme.
Qui se souvient des vainqueurs sur tapis vert ?
Qui se souvient des vainqueurs sur tapis vert ? Qui se souvient qu’en 2006 Oscar Pereiro a gagné le Tour de France après déclassement de l’américain Floyd Landis quelques semaines après la fin de l’épreuve ? Le coureur de l’équipe Caisse d’Epargne (qui avait d’ailleurs bénéficié d’un « cadeau » du peloton qui lui avait « permis » de recouvrer près de 30 minutes au classement général), avait lui-même déclaré à l’époque : « Vous ne voulez jamais gagner une compétition de cette façon ». Si formellement c’est le coureur espagnol qui apparaît sur le palmarès de l’épreuve reine du cyclisme mondial, c’est bien néanmoins le passage sur les Champs-Élysées, maillot jaune sur les épaules, qui reste dans les mémoires. Ne pas connaître le podium en jaune laisse au coureur le goût amer d’une victoire inachevée. Lorsque l’on pense à Andy Schleck, on se remémore celui qui a, plusieurs fois, failli gagner le Tour. Apprécié par le public comme tous les purs grimpeurs, nombre de spectateurs souhaitent le voir porter la tunique jaune du vainqueur. On en oublierait presque que, formellement, le coureur luxembourgeois a été déclaré vainqueur de l’épreuve en 2010, suite au déclassement d’Alberto Contador. Le fait est que le public retient les vainqueurs qui ont brillé par l’éclat du port du maillot jaune et non ceux qui apparaissent simplement sur les tablettes fussent-ils d’excellents coureurs.
L’insatisfaction des déclassements tardifs
On sait que les coureurs n’aiment pas les déclassements tardifs. Et pour cause ! A l’instar des citoyens qui se plaisent à bénéficier d’une sécurité juridique, les coureurs n’apprécient pas nécessairement que leurs victoires puissent être remises en cause plusieurs années après. Christophe Basson, coureur réputé « propre » dans le peloton et qui pourtant avait un contentieux avec Lance Armstrong, a récemment déclaré à l’Equipe : « laissons Armstrong tranquille maintenant ». Tous les amateurs avertis du monde cyclisme savent que Jacques Anquetil, premier quintuple vainqueur du Tour, se dopait. Il aurait d’ailleurs déclaré à ce propos : « Je me dope parce que tout le monde se dope (…). Bien souvent, je me suis fait des piqûres et si, maintenant, on veut m’accuser de me doper, ce n’est pas bien difficile, il suffit de regarder mes f….. et mes cuisses, ce sont de véritables écumoires.[1] » Personne cependant n’enlève rien au talent du cycliste normand et personne ne songe à remettre en cause ses victoires dans la Grande boucle. Une telle décision ne satisferait personne. Fallait-il donc déclasser Armstrong ? Sans doute car il est juste que ceux qui violent les règles que d’autres respectent soient sanctionnés. Le problème réside seulement dans le temps qui intervient entre la fin de l’épreuve et le temps du déclassement. Deux semaines, paraissent déjà bien longues, un an donne peu de satisfaction et dix ans paraissent une éternité. En d’autres termes, une prescription devrait être retenue, comme en droit pénal. Miguel Indurain, dernier des quintuples vainqueurs a déclaré, à ce propos, au journal sportif espagnol Marca : « Il y a un règlement qui dit qu’il y a prescription au bout de huit ans et là on lui enlève quasiment tous ses titres depuis les juniors ». Déclasser en cours d’épreuve oui, revenir sur une compétition dix ans après non.
L’appât de la gloire
Un article de l’Equipe du 11 octobre a récemment attiré ma curiosité. Il relatait une transfusion sanguine de Lance Armstrong, Kevin Linvingston et Tyler Hamilton après la 11e étape du Tour, au soir du jeudi 11 juillet 2000, à l’hôtel l’Esplan de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). « Le processus a duré moins de trente minutes, explique Hamilton. On était dans une chambre avec Kevin et Lance dans la chambre d’à côté qui communiquait avec la nôtre par une porte. Pendant la transfusion, on le voyait. Le docteur Del Moral faisait des allers-retours pour vérifier l’avancement de la réinjection. Chaque poche de sang était accrochée au crochet d’un cadre ou collée sur le mur, on était allongés sur le lit et on tremblait pendant que le sang froid “réentrait” dans nos corps. On plaisantait à propos du corps qui absorberait le sang le plus vite.»
Je me suis arrêté sur cet article car ce jour là, il y a douze années de cela, j’étais présent à l’hôtel l’Esplan. Pratiquant alors le cyclisme en compétition et résidant en vacances à proximité, je me souviens avoir bénéficié des bonnes grâces du directeur de l’hôtel qui nous avait fait entrer afin que nous puissions, mon frère et moi-même, attendre, l’arrivée de toute l’équipe US Postal (passant en cela devant les journalistes). Pendant une heure nous attendîmes, assis autour d’une table, discutant avec l’épouse de Bob Stapleton (l’agent du coureur américain) ainsi qu’avec l’invité de Lance Armstrong sur cette étape, à savoir Robin Williams. Je me souviens que l’acteur américain, très prolixe, comme il peut l’être dans ses films, avait l’amabilité de s’adresser à nous en français. Les coureurs sont arrivés au compte goutte, Lance Armstrong (qui avait été retenu pour les cérémonies protocolaires) en dernier. Un grand bruit se fit alors entendre dans le hall de l’hôtel. Le coureur texan était entouré, félicité, admiré par toute son équipe ainsi que le personnel de l’hôtel. Très satisfait de lui-même il donnait avec plaisir quelques autographes dont nous bénéficiâmes.
Il est difficile de lâcher la proie pour l’ombre et au souvenir du coureur texan adulé dans le hall de l’hôtel, je comprends qu’il n’est pas été aisé pour lui de mettre fin à un système qui lui donnait tant de satisfactions.
Un coureur hors norme
A trop pratiquer la chasse aux sorcières, il ne faut néanmoins pas oublier que ces coureurs, pris la main dans le sac, n’en demeurent pas moins des sportifs de grand talent. Laurent Jalabert a récemment déclaré sur RTL à propos d’Armstrong : « Quoi qu’il en soit, c‘est un immense champion, il avait un talent énorme ». Le dopage ne fait pas tout. Le coureur américain était réputé pour s’entraîner très dur et pour repérer les étapes du Tour très tôt dans l’année en s’y entraînant parfois sous la neige. Ce mode de préparation a, dès lors, été généralisé à la plupart des grandes équipes. Armstrong ne doit pas son succès qu’au dopage, il avait effectivement, comme l’a fait remarquer le « panda », un immense talent. Si l’on donne de l’essence à un âne, il y a peu de chance qu’il se mette à courir aussi vite qu’une formule 1. De même, avec ou sans dopage, Armstrong n’aurait pas été Armstrong si il n’avait pas été un coureur hors norme.
Jan Ullrich quadruple vainqueur ?
Christian Prudhomme voudrait un palmarès en blanc pendant les années Armstrong. On peut légitiment s’interroger sur cette décision. Pourquoi Schleck et Pereiro ont-ils supplanté Contador et Landis au palmarès de l’épreuve et alors que ceux qui sont arrivés en seconde position derrière le coureur américain en seraient privés ? Pourquoi créer un précédent ? La raison est que ceux qui sont arrivés second derrière Armstrong ne sont pas insoupçonnables non plus.
Le premier d’entre eux, Alex Zülle était un « revenant » de l’affaire Festina. Un an avant de terminer second de l’épreuve en 1999, il avait avoué s’être dopé. Beloki, Basso et Klöden sont également cité dans des affaires de dopage et ont, pour certains, été suspendu quelques temps. Mais le grand gagnant dans cette affaire pourrait être le coureur allemand Jan Ullrich. En 1997, à 23 ans, il est l’un des plus jeunes vainqueurs du Tour de tous les temps. Certain le voyaient devenir le plus grand coureur du Tour. « Le plus fort c’est lui et pour combien de temps ? » déclarait alors le journaliste Patrick Chêne. Développant une puissance phénoménale (lors de l’étape d’Andorre-Arcalis, qui le vit prendre le maillot jaune en 1997, sa puissance aurait atteint les 474 watts sur la dernière ascension), ne se mettant pratiquement jamais “en danseuse”, le coureur allemand était perçu par certains spécialistes comme ayant un potentiel supérieur à celui de Lance Amstrong. Walter Godefroot, alors manager de l’équipe Telekom déclarait à son propos : « Pour qu’il réussisse, il faudrait allier son talent au professionnalisme de Zabel, on obtiendrait alors un Merckx…». Mais en 2006, il fut pris dans les méandres de l’affaire Puerto et contraint de mettre un terme à sa carrière. Le déclassement d’Armstrong transformerait Ullrich en quadruple vainqueur : difficile à imaginer pour les organisateurs de l’épreuve.
Si le palmarès était révisé, il ne pourrait être insoupçonnable, c’est la raison primordiale qui pousse le directeur du Tour à ne pas aller jusqu’au bout sa démarche mais de là à laisser sept Tours de France avec un palmarès en blanc…
2 Comments
Comments are closed.