Serait ce pour imiter nos maîtres ? Voici que le ministère de la Défense a décidé de se doter d’un nouveau siège, sur le site de Balard dans le 15ème arrondissement de Paris. Il en a dévoilé mercredi dernier le résultat de la compétition architecturale.
Ce bâtiment, que les journalistes ont baptisé « pentagone » en référence à son modèle américain, sera destiné à regrouper autour du ministre et de son cabinet, les états-majors des trois armées et les services centraux du ministère, notamment la Direction générale de l’armement (DGA) et les services du secrétariat général pour l’administration. Tous ces services sont actuellement répartis sur douze sites différents. Ce sont donc 9 300 personnes qui seront ainsi répartis sur les 420 000 m² de la nouvelle implantation sur une empreinte au sol de 16,5 hectares.
Se présentant avec une façade blanche à strates horizontales alternant transparence et opacité, des bâtiments sur pilotis répartis autour de patios, une vaste toiture en pans métalliques inclinés, le projet architectural du futur bâtiment qui abritera le ministère de la Défense est le fruit du travail de trois agences d’architectes : Nicolas Michelin pour la partie centrale du site et le bâtiment principal du ministère, Jean-Michel Wilmotte pour les quatre espaces de bureaux sur la corne Ouest, et enfin, Pierre Bolze de l’Atelier pour la rénovation des bâtiments de l’ancienne cité de l’Air. Le bâtiment cherche à rappeler l’hexagone, avec une cour centrale à six côtés pour les bâtiments qui accueilleront le ministre de la Défense et les hautes autorités militaires. Dessous, se trouvera le centre opérationnel ultrasécurisé. Une “enceinte stratifiée” occupera 5 hectares. Cet ensemble de bâtiments se veut écologique. Sa toiture solaire (7 000 m²) et son plan en cour-jardin, lui permettront de fonctionner de façon autonome dix mois par an. La circulation d’air se fera à partir des jardins, rafraîchis par les plantes, par des entrées sur les fenêtres des bureaux et une extraction par des cheminées aérauliques situées en toiture.
Les bâtiments seront hauts de 31 mètres, conformément au Plan local d’urbanisme de Paris. En revanche, certaines cheminées dépasseront d’environ une dizaine de mètres, ce qui est susceptible de déclencher des critiques.
C’est le groupe Bouygues qui a été choisi pour mener ce projet à bien. Il s’agira du plus gros chantier mené dans la capitale depuis plus de 15 ans.
A l’occasion de cette présentation, le ministre a déclaré que cette opération est « un élément clé de la réforme du ministère et un projet emblématique de la nouvelle politique immobilière de l’état ». Sur le plan financier, il a annoncé un coût total s’élevant à 3,5 milliards d’euros répartis entre 2014 et 2041. Ainsi, pendant 27 ans, la redevance annuelle moyenne est évaluée à 130 millions d’euros hors taxe. Elle comprend notamment les coûts de construction, les frais financiers, l’entretien et la maintenance des bâtiments, les réseaux informatiques, les services divers comme le jardinage, la restauration, le nettoyage et le gardiennage. Il affirme enfin que la cession d’actifs immobiliers devenus inutiles et les économies de fonctionnement générés par la centralisation des services permettront de dégager « une recette exceptionnelle de 600 millions d’euros ».
Le chantier doit débuter en 2012 et le déménagement du ministère dans le bâtiment central est prévu fin 2014.
Ce projet semble soutenu par l’ensemble des officiers et des États Majors qui y voient le moyen d’améliorer la communication entre eux et donnent en exemple, certes, les USA, mais aussi la Grande Bretagne et Israël.
Cependant, plusieurs questions subsistent.
Sur le coût, tout d’abord. Dans le coût estimé que nous a présenté le ministre, ne figure pas le coût de la démolition, déjà effectuée, aux frais uniques de l’État. Ne figurent pas non plus les frais financiers engendrés par d’éventuels emprunts auxquels l’État risque de se voir contraint. Le coût tel que présenté mercredi est déjà supérieur de 700 millions d’euros à celui qui avait été communiqué aux commissions parlementaires en 2009. Ne risquons nous pas de voir ce budget se gonfler encore ? Le mode de financement (Partenariat Public-Privé (PPP)) est vivement critiqué à la Cour des Comptes (qui remettra un rapport dans les prochains mois sur le sujet) car choisi sans réelle étude comparative avec d’autres modes de financement. Enfin, et ce n’est pas le moindre des soucis de ce dossier, l’État semble avoir quelque peu surévalué les actifs immobiliers cessibles. Son échec dans la tentative de vente du siège du ministère récemment est là pour le prouver. C’est le gros morceau à céder, or les ministères n’ont pas accepté l’offre de la filiale immo de la Caisse des Dépôts et Consignations qui en proposait…. 520 millions d’euros, contre une « estimation » France Domaines de 740 ! J’ai déjà évoqué dans un autre article paru sur Nouvelles de France ce problème de l’estimation du patrimoine immobilier de l’État, à propos du rapport du rapport de la Cour des Comptes. Et encore, il s’agit d’un splendide bâtiment situé boulevard St Germain à Paris ! Que dire des autres actifs moins prestigieux et répartis sur l’ensemble du territoire ? Rien ne permet d’affirmer que les cessions rapporteront ce qui est budgeté.
Sur la philosophie qui préside à ce projet, nous sommes dans l’américanisation complète. Un « Pentagone français », voilà qui fait riche et moderne. C’est un petit peu la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. C’est aussi une reprise en main par le ministère. En effet, traditionnellement, en France, l’armée est compétence du Président qui a l’habitude de traiter directement avec l’État Major, le ministère se trouvant régulièrement chargé des problèmes d’intendance. En regroupement en seul et même lieu le Ministre et l’État Major, ce dernier se trouve directement sous la coupe du premier. C’est peut être la fin, ou du moins la tentative de fin, du « domaine réservé ».
Sur la vulnérabilité, enfin. Si notre armée disperse ses réserves de carburant, répartit entre plusieurs dizaines de sites ses munitions, si n’importe quelle base aérienne éclate le parking de ses appareils, est-ce vraiment sage de regrouper toutes nos têtes pensantes étoilées et les décisionnaires politiques sur un seul et même site ? En cas de conflit, nous voyons comment agit l’armée française en Lybie, il y a toujours recherche à détruire la tête. Un Pentagone hexagonal en plein Paris, est ce l’emplacement idéal ? Et si nous avions (encore) une guerre de retard dans notre organisation du commandement ?
Enfin, ne soyons pas bégueule, la France se dote d’un outil de commandement moderne. Moderne et français. Car les récentes créations, comme l’État major de Corps de Réaction Rapide (CRR) se se sont toujours faite dans le cadre de l’OTAN. Il ne manque plus que quelques moyens matériels supplémentaires et autonomes (ce serait bien de se passer complètement de l’Otan pour le guidage de nos drones à long rayon d’action), deux ou trois rallonges budgétaires pour l’entraînement des hommes et nous pourrons enfin nous dire que l’armée redevient moderne. Flûte ! Voilà que certains maires parlent d’appeler la troupe dans les cités ! Bon, les drones, les israéliens nous ont montré comment s’en servir dans ce contexte, mais autrement, c’est de la « bif » de base, qu’il faut. Et pour cela, pas besoin de Pentagone, même hexagonal !