L’honneur des imbéciles

Tribune libre de Jacques de Guillebon* pour Nouvelles de France

Ça commence à suffire. Je refuse, et je suis loin d’être le seul, et nous sommes très nombreux, qu’une poignée de défenseurs autoproclamés de l’honneur du Christ prenne en otage ma foi et ma confession. Ce spectacle lamentable de jeunes gens dépourvus de libre-arbitre autant qu’incapables de la moindre réflexion esthétique, qui défilent, grognent et insultent, en sus d’être lassant, ridiculise généralement l’intelligence catholique que vingt siècles ont construite.

Je lis dans Nouvelles de France un admirable imbécile se réclamant de la « frange conservatrice » du monde catholique glorifier en ces termes la mort ignominieuse du Christ sur la Croix pour l’opposer à la merde de Castellucci : « Quand on voit un homme transpercé par une arme – une lance ou un revolver – on fronce les sourcils de douleur car on a attenté à sa vie. Quand on voit un homme couvert de sécrétions – salivaires, biliaires ou fécales – on se gausse car il se détériore lui-même ». On ne saurait trop conseiller à ce grand théologien d’inviter maintenant Jean-Luc Romero à participer à ses manifestations, et tous ceux qui sont certains comme lui qu’une vie dans laquelle on se chie dessus ne mérite pas d’être vécue.

Notre histrion, après avoir comparé sans rire une scène de théâtre au jubé des églises croit savoir qu’il lutte contre les « nouveaux iconoclastes ». Une fois encore, je conseille à ce porte-parole de la pensée catholique conservatrice de reconsulter ses notes sur l’histoire des hérésies. Il saura alors que la querelle des images est née justement de cathares de son acabit que leur contact trop prolongé avec l’islam avait convaincus du risque de profanation de la divinité par la représentation. Le soutien apporté à son entreprise par divers groupuscules islamistes ou antisionistes est dans ces circonstances parfaitement fortuit.

Ces moutons déguisés en loups vont hurler toute la sainte journée à la christianophobie, au blasphème et au sacrilège, comme s’ils appartenaient à la première religion monothéiste venue. Par leurs moyens, leurs méthodes et particulièrement par leur discours, ils détruisent précisément ce qu’ils entendent défendre : la spécificité du Salut apporté par le Christ, l’entier génie du christianisme.

Ils parlent de sacré et de profanation, mais ils ne savent pas que le sacré a été entièrement reformulé par la révolution chrétienne ; mais ils ne savent pas que notre temple qui a été reconstruit en trois jours n’est pas celui des nations ni celui des Juifs ; mais ils ne savent pas qu’il n’y a de sacré que le corps et le sang réels du Christ ; mais ils ne savent pas que le clochard qu’ils viennent d’enjamber dans la rue sans le voir, qui végète dans sa pourriture, est exactement l’image du Christ, mille fois plus loin que la reproduction théâtrale d’un Salvator Mundi d’Antonello de Messine : mais ils ne savent pas combien de gouttes de sang du Christ ont été versées pour eux, pour chacune de leurs saloperies, et qu’il est en agonie jusqu’à la fin du monde.

Et ils ne disent pas surtout ce qui fait le fond de leur mobilisation, qui est cette jouissance de se réinventer comme peuple par la grâce d’un bouc-émissaire bienvenu qu’ils lynchent de concert. Et ils ne disent pas surtout que comme leurs nouveaux amis musulmans, ils lient tout ça dans une bonne gerbe politique, nationale-catholique dont l’histoire, de l’Espagne à l’Argentine, du Chili au Portugal nous a montré les fruits mirifiques, des fruits douteux comme le fond de la couche du père de la pièce de Castellucci.

Où est-elle votre beauté ? Quelle est la dernière grande pièce que votre frange conservatrice du catholicisme ait donnée au monde ?

Pour preuve, j’en veux les propos consternants de l’avocat de l’Agrif que j’ouïs à la télévision : « Nous nous battons contre le racisme anti-catholique ». Je ne savais que le jour où un saint prêtre, versant sur mon front les eaux baptismales, m’avait fait fils de Dieu, il m’avait aussi fait entrer dans une race nouvelle qui, après les noirs, les juifs, les roms et les aborigènes, aurait droit aussi à son tour à des lois mémorielles et à une réparation de la part du monde. Je ne savais pas que j’étais entré dans les classifications de la modernité où c’est la guerre de tous contre tous pour la reconnaissance.

J’entends encore sur une radio un solennel imbécile dont la pratique religieuse est sans doute comparable à ma pratique du triathlon décerner des brevets de résistance et de collaboration. Je l’entends injurier des mères de famille qui n’ont d’autre tort que de ne pas partager l’avis de la masse catholique-conservatrice de circonstance. J’entends ces fameux catholiques comme Bernanos les entendait pendant la Guerre d’Espagne clamer que qui n’est pas avec eux est contre eux. Je les entends brandir leur épée comme Pierre pour couper l’oreille de Malchus. Je les entendrai aussi demain renier leur foi dans une salle de marché pour quelques dollars de plus.

Avant que le coq ait chanté trois fois, ces dignes héritiers de Montalembert et de Veuillot qui, conspirant chaque jour pour rétablir la liberté d’expression, comme ils disent, la refusent à un homme de théâtre qui ne leur a rien fait, avant que le coq ait chanté trois fois, ils auront renié Rome sur Vatican II, la liberté de conscience et la destination universelle des biens.

Quand le vrai matin rouge sang de la persécution aura levé, je ne les verrai pas du côté du peuple, de ceux qui souffrent vraiment, des pauvres, ni des barbares : je les verrai comme d’habitude dans le Parti de l’Ordre, celui qui bannit et anathématise, pour garder la race pure. Je les verrai défendre leurs biens comme ils défendent déjà aujourd’hui une image du Christ comme leur propriété.

J’entends des curés parisiens enfants du semi-païen Maurras donner des leçons de beauté : mais dites-moi où est-elle votre beauté ? Quelle est la dernière grande pièce que votre frange conservatrice du catholicisme ait donnée au monde ? Je ne me souviens pas vous avoir vus quand, dans le même Théâtre de la Ville, Olivier Py a recréé le Soulier de Satin. Je ne me souviens pas vous avoir entendu crier à la cathophilie à cette époque.

Mais dites-moi encore, le Christ est-il mort plutôt pour un homme qui se chie dessus ou pour un tableau italien du XIVème siècle ? Mais dites-moi, l’amour infini que le peintre a employé dans son tableau était-il destiné à satisfaire les murs de vos demeures bourgeoises ou à vous faire considérer la souffrance de n’importe lequel de votre prochain comme celle du Sauveur ?

J’entends encore votre mauvaise foi de nantis, de pharisiens, repousser avec hauteur les propos de Romeo Castellucci sur le fond christique de sa pièce : je vous entends repousser le Samaritain, repousser l’officier romain. Qui sait s’il n’y a pas plus de foi chez lui que dans tout Israël ?

Mais tout cela, vous ne voudrez jamais l’entendre parce qu’au fond, cela vous dépiterait qu’il n’y ait pas de christianophobie et que l’on vous traite comme tout le monde.

Alors, vous continuerez de tracer vos petits cercles magiques qui définissent le monde des purs et celui des impurs ; vous continuerez de vous faire passer pour des martyrs à la petite semaine, sans craindre de faire servir à votre cause les véritables souffrances des chrétiens persécutés du bout du monde ; vous continuerez votre entreprise obsidionale car qui, sinon vous, mérite d’être sauvé ? Vous continuerez de défendre un honneur qui n’est pas celui du Christ, qui est seulement l’honneur des imbéciles.

*Jacques de Guillebon est écrivain, essayiste et journaliste.

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70 Comments

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  • Walktsin , 2 novembre 2011 @ 15 h 16 min

    Protégez au très sage gardien la RACE élue de Jésus Christ ! Oui c’est une race nouvelle monsieur !!!

  • Pierre Gabarra , 2 novembre 2011 @ 16 h 16 min

    Certains lecteurs qualifient cet article de « très bonne correction fraternelle » et de « réponse éclairée »… Il n’y transparaît pourtant guère, objectivement, de charité fraternelle ni beaucoup de lumière. C’est une bien curieuse « réponse », tout de même, que de critiquer ce que l’on estime être de la violence par un tel débordement d’invectives et de méchancetés. Il n’est pas moins paradoxal d’invoquer l’absence de titre de ses adversaires à défendre l’honneur du Christ et de s’octroyer sans vergogne le redoutable droit de juger de l’authenticité de leur foi ou de préjuger de ce que sera leur fidélité « quand le vrai matin rouge sang de la persécution aura levé ». Faut-il, pour donner corps à la critique de ce que l’on juge être une démesure, verser dans une démesure plus folle encore, où tout s’entrechoque, dans un reflux bruyant de colère et de jugements à l’emporte-pièce ? Je comprends que l’on puisse être en désaccord avec ces manifestations – bien des arguments peuvent étayer une telle réserve – mais j’ai peine à saisir qu’on puisse se croire en droit de l’exprimer en de tels termes.

  • Hugues Pragout , 2 novembre 2011 @ 20 h 46 min

    Cher monsieur,

    Trouvant que les catholiques “traditionnels” (pléonasme : comment peut-on être catholique en rejetant la Tradition, un des trois piliers de l’Eglise avec les Saintes Ecritures et le Magistère) manquent souvent de rondeur, la défense de la Vérité (qui est admirable de leur part) leur faisant malheureusement oublier parfois la charité, je suis abasourdi de lire la violence de vos propos. Etre persuadé de tout comprendre et d’être seul à avoir la foi, tandis que les autres qui pensent différemment (et qui se prennent les coups, au sens propres) sont des demeurés profonds faux catholiques n’est pas une marque de grande nuance.
    De la mesure donc, et ne soyez pas plus ayatollah que ceux que vous vilipendez, chez qui se trouvent nombre de personnes admirables, quand bien même elles seraient parfois maladroites.
    Bien à vous

  • Henri , 2 novembre 2011 @ 21 h 51 min

    Jacques de Guillebon s’indigne que l’on parle d’un antiracisme chrétien , bref qu’on montre qu e les chrétiens en tant que tels sont persécutés, qu’ils soient catholiques, coptes , ou évangélistes;
    Un chrétiens selon sa conception angélique et vindicative ! n’aurait pas droit à être défendu contre une dérision de sa foi, puisqu’il n’est d’’aucune race ‘; Bien sûr être enfant de Dieu est une grande joie qui ne se réduit à aucune race au sens classique
    Mais enfin si je suis enseignant et si je vois si un de mes élèves tourner dérision les musulmans, les catholiques, parce que cette dérision est à la mode, ou les juifs ou à ce qui les tient au cœur, je le remets vertement à sa place et l’oblige à faire repentance, non parce que je suis catholique , mais parce qu’en tant qu’enseignant t je ne puis tolérer une telle atteinte à la paix de la classe au nom tout simplement de mon devoir d’Etat, qui es aussi mon devoir de chrétien .
    Attention seul le Christ peut ne pas répondre à la violence injuste et tendre la joue gauche, pour la renvoyer à l’agresseur, mais nous ne faisons pas d e l’angélisme ( à moins de faire la bête ! ) et la légitime défense est aussi une vertu chrétienne, car laisser la persécution se développer sans interpeller les persécuteurs est de la lâcheté pure et simple. Ce que n’ont pas fait les Carmélites de Compiègne, qui ont bien dit à leurs accusateurs de la révolution. Pourquoi vous nous persécutez pour nous mettre à mort. Parce que vous êtes catholiques aurait répondu Fouquier Tinville ; Si à ce moment de juillet 1794 catholique n’est pas un groupe, une race élue, alors je suis Madame Soleil et votre argumentation hargneuse tombe à plat comme une posture dévoilée.
    Si Jacques de Guillebon pouvait méditer leur sacrifice mieux raconté par Bush et Gertrud von le Fort que par Bernanos qu’il récite à sens unique . Maintenant que le Christ soit en agonie jusqu’à la fin du monde comme dit Bernanos, c’est vrai, mais si cette agonie vient de nos péchés, vous n’êtes pas Jacques de Guillebon chargé de les distribuer ou alors attention au retour de bâton !

  • Stéphane Forez , 2 novembre 2011 @ 23 h 44 min

    J’ai vingt et un ans et j’ai participé à la quasi totalité des rassemblements devant le théâtre de la Ville.
    Cet article de M. de Guillebon m’atteint douloureusement, me peine profondément. Il me fait mal, inutilement car, tout en retournant le texte dans tous les sens, je ne saisi toujours pas le propos de son auteur. Où veut-il en venir ? Que veut-il démontrer ? Mystère. Il injurie, cela je l’ai bien compris. Il m’injurie moi, ce qui n’ai pas si grave que ça, mais il injurie aussi des copains, des amis admirables qui se sont mobilisés eux-aussi contre ce qu’ils ont ressentis comme une injure contre le Christ (souiller de m**de un tableau le représentant, dans une pièce dont la version originale présente la fameuse scène des grenades, dans une pièce dont Roméo Castellucci, à Avignon, a revendiqué l’aspect blasphématoire).

    M. de Guillebon se meut dans le procès d’intention. Il refuse de voir la sincérité, l’enthousiasme chrétien, la flamme de tous mes amis qui ont participé à ces actions. Non, ce ne sont que des imbéciles.
    Il affirme que nous avons “insulté” des gens. Nous n’avons jamais insulté personne. Certes, nous avons sifflé les spectateurs à la sortie, mais sans méchanceté aucune, je vous en réponds. En revanche, ce que ne semble pas savoir M. de Guillebon, c’est que nous avons prié pour ces mêmes spectateurs et pour M. Castellucci.

    Il faudrait un temps fou pour décortiquer chaque phrase de M. de Guillebon, noter son aspect gratuitement insultant, ses erreurs, ses jugements péremptoires. Il faut noter la suffisance et l’arrogance du ton.

    Je ne partage pas les positions de Mme. Picard, ni celles de l’abbé Grogean concernant la pièce. Mais j’admets sans problème leur sincérité, et la pureté de leur intention. Mais j’admets leurs positions, et je salue la capacité de ces catholiques à débattre avec un sens aigu de la charité fraternelle et dans le respect le plus délicat des ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Je déplore en revanche les injures blessantes dont ces personnes ont été l’objet de la part de certains catholiques.

    Loin d’apaiser ces tensions, M. de Guillebon, que je n’ai pas l’honneur de connaître, et dont j’apprends aujourd’hui le nom, jette gratuitement de l’huile sur le feu, et se giffle lui-même en frappant les catholiques coupables de “définir le monde des purs et celui des impurs”.

    Il est bien difficile, pour le coup, d’admettre la pureté des intentions de ce journaliste catholique. Je prie pour vous, malgré cet article blessant et insultant. Et je déplore que toute cette affaire commence à partir en eau de boudin, entre les insultes de M. de Lesquen et celles de M. de Guillebon (deux personnes que la noblesse du nom devrait préserver de ce genre de débordement). Ce n’est pas du tout ce que nous avons voulu lorsque, armé d’un sincère amour du Christ, nous avons voulu publiquement réparer ce qui nous semble plus que jamais être une profanation et un blasphème de fait (quelque soit l’intention de départ de M. Castellucci).

  • Gabriel Kevorkian , 3 novembre 2011 @ 0 h 25 min

    IV.17 Le Maître dit: «Quand vous rencontrez un homme vertueux, cherchez à l’égaler. Quand vous rencontrez un homme dénué de vertu, examinez vos propres manquements.»

  • Sophie , 3 novembre 2011 @ 13 h 10 min

    Je propose de faire une prochaine pièce où les héros feront pipi et caca sur le compas et l’équerre des Francs-Maçons puisque c’est de l’Art et qu’on a le droit de le faire sur le visage du Christ et qu’on est des fondamentalistes si ça nous choque. Ensuite cette pièce sera conclue par un autre héros christique qui fera pipi et caca sur le drapeau de la France. Puisque la pièce qui conchie le visage du Fils de Dieu est une pièce de théâtre “christique” sur la rédemption, la compassion et l’Amour mais que je ne l’avais pas compris parce que je ne suis pas assez intelligente et pas assez esthète surtout, maintenant j’ai tout compris enfin, je suis sauvée et donc pourquoi ce metteur en scène avec l’aide aussi de M. Ribes, du Théâtre du Rond Point, de la Ville, du 104 et de partout ailleurs ne font pas l’Episode 2 de cette même pièce où ils pourront poursuivre leur propos ? Par exemple ils pourraient aussi tremper le drapeau français dans l’urine et jeter du caca et des grenades sur le visage du buste de Marianne au bonnet phrygien ? Cela va être un super spectacle et on viendra tous les voir en criant à leur génie. A bon entendeur, salut !

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