Sans attendre les élections parlementaires polonaises qui auront lieu en 2015, certains médias européens et américains réagissent déjà à la montée dans les sondages du parti chrétien-démocrate conservateur Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczynski en procédant aux premières attaques préventives. Avec plus de 40% des intentions de votes dans plusieurs enquêtes d’opinion successives, la majorité absolue en 2015 paraît désormais à portée de main du PiS, ce qui lui permettrait de gouverner seul, une première en Pologne depuis la chute du communisme et une situation rare pour un pays où les élections se jouent à la proportionnelle. Le PiS devance désormais la Plateforme civique (PO) du premier ministre Donald Tusk de 11 à 13 points de pourcentage selon les sondages.
J’avais déjà comparé, dans un article publié sur Nouvelles de France en mars 2012 et intitulé « Pour votre liberté et pour la nôtre », les attaques médiatiques contre le Hongrois Viktor Orbán et contre les Polonais Lech et Jarosław Kaczyński, respectivement président de la République de 2005 à 2010 et premier ministre en 2006-2007. Si en 2005-2007 le PiS avait dû former une coalition avec deux partis populistes faute de disposer d’une majorité absolue au parlement, Jarosław Kaczyński table aujourd’hui sur une victoire sans appel en 2015. Faute d’une majorité absolue pour le PiS, la Pologne aura sans doute droit à une coalition entre les libéraux du PO et les sociaux-démocrates du SLD (ex-Parti communiste).
À l’instar de la gauche hongroise, la gauche polonaise commence donc déjà à sonner l’alarme dans les médias occidentaux. Ainsi, Adam Michnik, rédacteur en chef du journal Gazeta Wyborcza, qui est à l’origine de la majeure partie des informations sur la Pologne reprises par les médias français, a récemment donné une interview dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Une interview intitulée « Les bâtards du communisme » où Adam Michnik compare Viktor Orbán à Hitler et où il brandit la menace d’un Jarosław Kaczyński autoritaire et fascisant. D’après Michnik, pour Orbán et Kaczyński la démocratie n’est qu’une façade. « Si Orbán se maintient en Hongrie et si Kaczyński gagne chez nous, ce sera très dangereux. Ils ont tous deux une vision autoritaire de l’État, la démocratie n’est qu’une façade. » Et Michnik d’appeler à des sanctions contre la Hongrie comme il appellera à des sanctions contre son propre pays si ce n’est pas son camp qui gagne les prochaines élections.
Le New York Times s’est lui aussi fendu le 8 août dernier d’un article alarmant sur le possible retour de Kaczyński dans lequel il explique la montée du PiS par une poussée des « populismes nationalistes », cette expression s’accompagnant d’un hyperlien vers un article sur les coups portés contre la démocratie par le gouvernement hongrois. Le possible retour de Kaczyński au pouvoir, cette fois sans avoir à composer avec des partenaires encombrants, ferait donc, d’après le New York Times, trembler les capitales européennes et laisserait présager un isolement du pays, une détérioration de ses relations avec l’Allemagne et une dégradation de sa situation économique. Visiblement, le New York Times semble ignorer que le gouvernement conservateur de Viktor Orbán s’en sort nettement mieux sur le plan économique que le gouvernement « libéral » du Polonais Donald Tusk qui vient d’accroître en cours d’année son déficit budgétaire pour 2013 d’un bon tiers. Le journal américain reprend aussi la traduction déformée d’une phrase tirée d’un livre de Jarosław Kaczyński sur les ambitions impériales de l’Allemagne, alors que dans l’original en polonais le leader de l’opposition ne parle pas d’impérialisme allemand (qui se dit « imperializm ») mais de son statut de puissance (« mocarstwowość »). Cette manipulation linguistique a été utilisée dans le passé par d’autres médias, comme par exemple le journal français Le Figaro. Bien entendu, le New York Times n’a eu aucun mal à trouver des politiciens et des journalistes polonais de gauche qui préviennent déjà l’étranger que Kaczyński est mû par un désir de vengeance après la mort de son frère dans le crash de Smolensk et que, s’il gagne les élections, son conservatisme et son nationalisme vont stopper net le développement de la Pologne. Pourtant, c’est sous la coalition dirigée par le PiS en 2005-2007 que la Pologne a connu sa plus forte croissance des deux dernières décennies avec des taux avoisinant les 7 % contre moins de 1 % aujourd’hui. Ce sont aussi les « libéraux » du PO qui accroissent la pression fiscale d’année en année sur les citoyens tout en creusant les déficits alors que le PiS avait réussi à réduire un peu à la fois les impôts et le déficit budgétaire. Il est vrai que le PiS bénéficiait d’une bien meilleure conjoncture, mais le Fidesz et ses alliés chrétiens-démocrates, au programme proche de celui du PiS, réussissent le même tour de force en période de crise économique européenne (voir l’article : « La Hongrie dit adieu au FMI »).
D’ailleurs pour l’hebdomadaire britannique The Economist l’impopularité grandissante du gouvernement de Donald Tusk n’est due qu’à l’usure et à la crise économique mondiale. Dans un article sur les problèmes du gouvernement Tusk publié le 27 juillet dernier, The Economist fait remarquer à ses lecteurs que le gouvernement et le parti du premier ministre polonais ont pourtant su éviter les scandales à la corruption, une affirmation qui étonnera beaucoup les personnes vivant en Pologne mais qui n’étonnera pas les lecteurs avertis habitués à la manière dont le prestigieux hebdomadaire traite l’information.
Ceci n’est probablement qu’un avant-goût de ce qui nous attend avec la montée du PiS. Les Varsoviens viennent de demander un référendum pour raccourcir le mandat du maire PO de la capitale polonaise et demander de nouvelles élections. Ce référendum aura lieu en octobre. Toutes les élections partielles de ces derniers temps et toutes les élections municipales demandées dans des référendums locaux confirment la déroute du parti de Donald Tusk dont l’image est ternie par ses mauvais résultats économiques, les affaires de corruption et de clientélisme et sa gestion scandaleuse de l’enquête qui a suivi la catastrophe de Smolensk d’avril 2010. La situation du gouvernement polonais ressemble de plus en plus à celle de la coalition des socialistes et des libéraux qui a précédé la victoire écrasante du Fidesz aux élections législatives hongroises de 2010 (voir à ce propos l’article : « La Hongrie de Viktor Orbán pour exemple »). Jarosław Kaczyński a fait ouvertement le pari du scénario hongrois après la défaite de son parti aux élections législatives polonaises de 2011. Il y a deux ans ses adversaires politiques se moquaient de lui. Les premières attaques préventives orchestrées par de grands titres de presse étrangers (dont les critiques sont bien entendu relayées en Pologne par les médias qui soutiennent Donald Tusk) semblent indiquer que les adversaires de Kaczyński commencent désormais à prendre ce scénario très au sérieux.
Commémorations à Varsovie trois ans après la tragédie de Smolensk : des personnes brandissent des drapeaux polonais et hongroisDu même auteur :
> Pologne : la tragédie de Smolensk et le scénario hongrois (interview exclusive avec Antoni Macierewicz, député du PiS et président de la commission parlementaire qui enquête sur la catastrophe de Smolensk)
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