Récit réaliste du 14 juillet

Voici le récit réaliste (âmes sensibles s’abstenir) du “Combat du 14 juillet”, extrait des Causeries du Dimanche (publiées rue Bayard en 1922) :

“A la Bastille! criait-on. Cette action héroïque de la prise de la Bastille, choisie par la Révolution comme son épopée, célébrée avec tant de tapage (…) est une des dérisions les plus remarquables de l’histoire.

Les papiers du temps racontent que, dès que l’émeute se fut portée du côté de la for­teresse, toutes les élégantes de Paris, aussi curieuses qu’aujourd’hui, s’y portèrent en foule; la place des Vosges (alors place Royale) était pleine de leurs carrosses. Les poissardes ne manquaient pas non plus.

Cette rivière de curieux était considérée du haut de la forteresse par 32 Suisses et 82 invalides, qui. avec M. de Launay, commandant, et les officiers, formaient les 120 hommes de la garnison: il leur semblait, dirent-ils, que Paris tout entier débordait vers eux. C’était vrai.

Les émeutiers, assemblés dès 10 heures du matin. fusillent les murs hauts de 40 pieds, épais de 30 pieds, et cet exercice héroïque semble les amuser d’autant plus qu’on ne répond pas.

Enfin le hasard amène un accident qui fut acclamé comme une victoire : un pauvre invalide, en sentinelle sur une tour, est blessé.

Une députation se présente. Le gouverneur fait baisser les ponts-levis, et la reçoit avec honneur, l’invite à déjeuner. Les héros acceptent. Ils se plaignent des canons qui menacent le peuple, le gouverneur fait retirer de suite les canons des embrasures; ils se plaignent de l’attitude de la garnison qui menace le peuple, le gouverneur fait jurer devant les députés aux 114 Suisses et invalides de ne pas tirer sur le peuple s’ils ne sont pas directement atta­qués. Les députés se plaignent enfin des moyens extraordinaires de défense de la forteresse, le gouverneur leur offre de visiter toute la Bastille.

Les parlementaires sortent enfin, et l’on attaque le premier pont; pas une amorce n’est brûlée contre eux; ils l’abaissent, mais quand ils sont au second pont, le gouverneur les fait prévenir qu’il va faire feu. Cela les scandalise.

Les hommes armés qui assiégeaient la Bastille dans ces conditions très exceptionnelles étaient 800. Mais il faut dire qu’ils n’eurent tant d’audace quen raison de la présence au milieu d’eux des gardes françaises.

Ces gardes, qui formaient une partie très galante de l’armée, et où l’on s’engageait pour ce honteux motif, venaient beaucoup au Palais Royal, rendez-vous assez immonde. Cette situation exceptionnelle rendait ces soldats propres à toutes les misères. (…) le peuple les faisait boire, et ils étaient de la partie de plaisir et de gloire du 14 juillet 1789.

Cependant on ne prend point une solide for­teresse avec des cris et des vociférations. On délibéra si on ne pourrait point calciner les pierres avec une huile savante au phosphore. Ceci est imaginé par un brasseur, qui ne connaissait pas encore le pétrole. Un autre propose de brûler une jeune fille, qu’on assurait être la fille du gouverneur, pour obliger ce dernier à se rendre ; or, cette pauvre enfant, qui n’avait pas du tout ce titre à leur fureur, faillit périr.

Un jeune homme qui a étudié ses auteurs veut construire une catapulte, il a le mo­dèle, etc.

Cependant, profitant de la répugnance qu’a­vait la garnison trop bien garantie « à tirer sans péril sur des corps vivants », les gardes françaises, un pont-levis étant baissé, allument de la paille; alors les Suisses exaspérés, au lieu de se laisser rôtir, font une décharge, et la foule crie à la trahison, elle recule épouvantée

A ce moment, un chasseur du marquis de Conflans, né en Suisse, de parents pauvres, adopté par lui et patriote à la belle figure, qui se distinguait parmi les assaillants débouche avec des gardes françaises; ils avaient trouvé cinq canons ; on les braque sur les embrasures, et l’attaque recommence. Ce Hullin qui va arrêter M. de Launay recevra de la municipalité le titre de vainqueur de la Bastille et une médaille commémorative; comme il est le héros de la grande journée du 14 juillet, (…).

On perd la tête. M. de Launay ne voulant pas, avec cent hommes, lutter contre tout un peuple et contre des soldats, ni livrer la forteresse confiée à son honneur, veut mettre le feu aux poudres et faire sauter le quartier Saint-Antoine. Un officier invalide l’arrête et il en sera cruellement châtié par le peuple; son supplice sera une des horreurs épouvantables de la journée; on lui coupera la main, on le pendra, on le percera, et cette main coupée sera promenée en triomphe au bout d’une pique.

A la demande des officiers invalides, de Launay capitule donc, mais à la condition que la garnison aurait la vie sauve. C’est solennel­lement juré, et le grand pont-levis, que l’émeute n’eût jamais fait tomber, s’abaisse lentement.

La foule, ivre de joie, se précipite dans la sombre forteresse; Hullin et les gardes fran­çaises veulent faire respecter la capitulation, mais la populace déclare qu’il faut tuer, et elle exécute, séance tenante, cinq officiers et plusieurs invalides qui avaient fait la ma­nœuvre du pont.

De Launay, en sortant, reçoit un coup d’épée dans l’épaule droite; rue Saint-Antoine, « tout le monde lui arrachait les cheveux et lui don­nait des coups ». Sous l’arcade Saint-Jean il était déjà « très blessé ». Autour de lui, les uns disaient : « Il faut lui couper le cou », les autres : « Il faut le pendre », les autres : « Il faut l’attacher à la queue d’un cheval. » Alors, désespéré, et voulant abréger son supplice, il crie: « Qu’on me donne la mort! » et, en se débattant, lance un coup de pied dans le bas-ventre d’un des hommes qui le tenaient. A l’instant il est percé de baïonnettes, on le traîne dans le ruisseau, on frappe sur le cadavre, en criant : « C’est un galeux et un monstre qui nous a trahis; la nation demande sa tète pour la montrer au public. » Et l’on invite l’homme qui a reçu le coup de pied à la couper lui-même. Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est allé à la Bastille pour voir ce qui s’y passait, juge que, puisque tel est l’avis général, l’action est « patriotique » et croit même « mériter une médaille en détrui­sant un monstre ». Avec un sabre qu’on lui prête il frappe sur le cou nu; mais le sabre mal affilé ne coupant point, il tire de sa poche un petit couteau à manche noir, et « comme en sa qualité de cuisinier il sait travailler les viandes », il achève heureusement l’opération. Puis, mettant la tête au bout d’une fourche à trois branches, et accompagné de plus de 200 personnes armées, « sans compter la populace », il se met en marche, et, rue Saint-Honoré, il fait attacher à la tête deux inscrip­tions pour bien indiquer à qui elle était. — La gaieté vient; après avoir défilé dans le Palais-Royal, le cortège arrive sur le Pont-Neuf; devant la statue de Henri IV, on incline trois fois la tête, en lui disant : « Salue ton maître. » C’est la plaisanterie finale; il y en a dans tout triomphe, et, sous le boucher, on voit apparaître le gamin … » (Taine)

L’Assemblée écouta le récit de cette cam­pagne glorieuse, exigea du roi le retrait de l’armée sous Paris pour donner satisfaction aux héros du 14 juillet; le roi céda (…)

Le lendemain 15 juillet (il n’y a pas de fête sans lendemain), le cuisinier qui a coupé la tète à M. de Launay apportait au Palais-Royal le cœur enlevé d’un homme massacré sans motif dans la rue, un soldat tenait la tête; le peuple réclame ces trophées, et pendant que le cuisinier soupe, on promène le cœur san­glant sur un bouquet d’oeillets blancs.”

Merci à EVR.

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62 Comments

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  • 0 / 10
  • Sympathisant , 15 juillet 2013 @ 9 h 06 min

    Al Qaeda n’a rien inventé, à l’évidence !
    Le très ludique décollement au canif fait donc partie de l’héritage de la Révolution Française.

    Une piste pour l'”Education” Nationale ?
    Pour les cours de travaux pratiques ?
    Nous allons enfin retrouver nos racines !

    Les jeux populaires de la Socialie vont prendre un peu de couleur, enfin.
    Il ne faut pas perdre le rythme, Manuel. Le gaz, c’est étouffant; les défilés avec des cathos au bout d’une pique, cela a une toute autre allure !

  • bingo , 15 juillet 2013 @ 9 h 57 min

    Le changement n’est pas forcément synonyme de progrès…………

  • Arwehr , 15 juillet 2013 @ 11 h 18 min

    Breton n’a pas la tête dure… Il a tout compris! La valse de ces parasites ne commencera qu’avec des instruments de musique contondants ou bien effilés…

  • Alain Cavaillé , 15 juillet 2013 @ 11 h 29 min

    Personnellement, cette révolution de 1789 et ensuite surtout “la Terreur”
    ME FONT HORREUR.
    C’est déjà visiblement le fait d’une gauche caviar dévoyée et empestée par “les lumières franc-maçonnes” relayées par nos penseurs et autres philosophes autoproclamés du XVIII°. Bien sûr, tout ceci sur fond de fin de règne qui n’a rien vu venir et d’un malheureux roi qui aurait mieux fait de passer la main.
    Depuis ce fameux 14 Juillet, la France est un pays coupé en deux, un pays qui a commis et connu des horreurs inimaginables et surtout INEXPIABLES.
    Voyez du reste comment agit en ce moment la gauche : cet acharnement à se donner une légitimité en changeant tout mais surtout N’IMPORTE QUOI, cela au nom de la Raie Publique…Le contexte est très ressemblant, donc troublant et surtout inquiétant.

  • Rey1 , 15 juillet 2013 @ 11 h 36 min

    J’ai effectivement effectué une erreur, mais ce qui est sur c’est qu’en 1791 ou 1789 nous avions les mêmes fauteur de troubles

  • Diex Aïe ! , 15 juillet 2013 @ 12 h 50 min

    Contredire l’histoire du 14 juillet imposée par la république, c’est du révisionnisme!!! Tiens, ça me rappel une autre farce racontée à partir de 1945… quelle hypocrisie de la part de certains commentateurs…

  • monhugo , 15 juillet 2013 @ 12 h 51 min

    Le même genre de fauteurs de trouble. “La Montagne” correspondra à la partie haute de l’Assemblée. Les Montagnards, comme St-Just ou Robespierre, conventionnels, s’illustreront de la sinistre façon que l’on sait sous la Terreur, tout particulièrement.

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