I Forconi : après les ‘Bonnets rouges’ en France, une partie de l’Italie se soulève à son tour

Retour sur la révolte fiscale qui secoue l’Italie depuis quelques jours. Derrière un ras-le-bol aux fondements ô combien légitimes, se cachent en réalité des motivations incertaines… et beaucoup de démagogie.

L’Italia s’è desta. Après les Bonnets rouges bretons, ce sont les Forconi (les « fourches » en français), mouvement né en Sicile il y a un an et demi autour de quelques agriculteurs et de transporteurs, qui sonnent la révolte à travers l’ensemble de la péninsule pour protester en premier lieu contre la fiscalité confiscatoire. Car la réalité de l’autre côté des Alpes n’est pas plus rose que de ce côté-ci : chaque mois, ce sont des milliers d’entreprises qui mettent la clé sous la porte à cause d’une pression fiscale devenue de plus en plus étouffante, notamment depuis 2011 et l’arrivée du gouvernement Monti, remplacé depuis lors par un gouvernement de coalition.

Comme les Bonnets rouges, les Forconi se sont faits connaître en janvier 2012 pour protester contre les coûts élevés du carburant (beaucoup plus taxé en Italie qu’en France) et l’ensemble des taxes et des réglementations qui pesaient sur les entreprises agricoles. Si les motivations étaient légèrement différentes, le fond reste le même, d’autant plus que la Sicile, région isolée et sinistrée par le manque d’infrastructures, l’incurie de l’État, et la corruption généralisée, fait face à des problèmes bien plus graves que la Bretagne.

Mais le 9 septembre dernier, plusieurs organisations ont décidé de généraliser la révolte à l’ensemble de la péninsule. Des syndicats, des petits patrons, des étudiants, des chômeurs, des employés se sont attaqués, parfois avec violence, aux banques, aux commerces, et surtout, aux symboles de ce matraquage fiscal, et en premier lieu aux agences Equitalia, l’équivalent italien du Trésor Public.

Les Forconi réclament la démission du Gouvernement, leur objectif premier, à laquelle se mêle l’urgente réduction des impôts sur les entreprises et de la réglementation du travail (en Italie, le coût du travail est encore plus élevé qu’en France), le retour au protectionnisme économique, les réductions sur le prix du carburant, l’octroi d’aides diverses, notamment aux entrepreneurs en difficulté, etc… Mais surtout, les manifestants veulent rompre avec l’Union européenne, en réclament le retour à plus de souveraineté nationale, et la rupture avec les mesures fiscales impopulaires et irréalistes imposées par les technocrates de la Commission de Bruxelles. Des revendications dans lesquelles se sont même également reconnues certains policiers, pourtant chargés de veiller au maintien de l’ordre lors des manifestations du 9 décembre…

Bien qu’irréalistes et démagogiques pour certaines d’entre elles, voire même contreproductives et contradictoires au regard des points sensibles qu’elles soulèvent, – ainsi, le fameux ‘plus d’aides publiques mais moins de taxes’ des Bonnets rouges se retrouve également en bonne place dans les revendications des manifestants – elles révèlent au grand jour les maux dont souffrent depuis trop longtemps l’économie et la société italienne : instabilité politique chronique (qui ne sera certainement pas réglée par la démission du gouvernement), politiciens incompétents, État inefficace et dispendieux, manque de compétitivité, corruption endémique, sans oublier l’excès de réglementations et de bureaucratie qui paralyse le légendaire esprit d’entreprise des Italiens.

Ce manque de cohérence et de réalisme des manifestants est pointé du doigt par certains, comme le chroniqueur politique Magdi Cristo Allam, qui dénonce un mouvement anarchique sans ligne politique, sans programme politique réaliste et clair, mêlant ainsi des syndicalistes et des patrons, des sympathisants du Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo, des supporters de football, des militants d’extrême gauche, des anarchistes, des militants d’extrême droite de Forza Nuova, et tant d’autres. Les récents événements, notamment à Turin, où d’importants dégâts matériels regrettables sont à signaler, mais aussi à Bologne, où des manifestants se sont battus entre eux, renforcent cette impression d’une révolte anarchique aux contours flous, aux motivations en apparence très claires, mais aux véritables objectifs parfois très incertains et contradictoires. D’après M. Allam, il n’est pas certain que la légitimité de ce mouvement de protestation, véritable canard sans tête, et objet de récupérations politiques nombreuses, notamment de la part de l’humoriste populiste Beppe Grillo, soit moins contestable que celle issue des urnes.

Quoi qu’il en soit, le mouvement des Forconi, inédit par son ampleur, traduit incontestablement un malaise grandissant, une détresse, et désormais un ras-le-bol qui éclate au sein d’une population hier résignée, et aujourd’hui en colère. Un ras-le-bol que les politiciens de la péninsule feraient bien de prendre en compte le plus rapidement possible, s’ils ne veulent pas que la révolte se généralise, au point de devenir dangereusement incontrôlable… Car l’Italie en a vu d’autres.

Related Articles

12 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Gérard Couvert , 13 décembre 2013 @ 14 h 08 min

    Ma remarque concernant le fascisme était justement pour illustrer que les Italiens savent aussi se plier et désirer un état fort et omniprésent au sens ou nous français l’entendons (à part ici qui est un site d’opposants à cette notion).
    En Sicile il Duce est encore assez présent, au point que ses citations peintes sur les murs sont entretenues (dont une en plein centre de Aci Reale) ; c’est normal puisque c’est la seule époque où la mafia est jugulée, ou toutes les terres sont cultivées et les ressources utilisées ; pour cette ile il ne faut jamais oublier que dans les premières années du XXeme elle va perdre le quart de sa population.
    Je me souviens il y a quelques années à Latina avoir parlé avec un vieil homme à qui Mussolini avait remis son arpent de terre et sa ferme et qui en parlait avec des pleurs.

  • joss , 13 décembre 2013 @ 16 h 01 min

    Après la guerre, J’ai aussi rencontré de la famille sicilienne qui portait Mussolini aux nues car il les avait sortis de la misère en donnant du travail , et vous dites distribuant des terres à cultiver….je comprends mieux…..

  • Gérard Couvert , 13 décembre 2013 @ 16 h 11 min

    La rencontre que je citais c’est dans le Mezziongiono mais c’est identique en Sicile, on peut encore voir beaucoup de ces fermes modèles notamment dans la région d’Enna et d’Agrigento, sinon dans la plaine de Catane les ouvrages d’irrigation sont encore utilisés tout comme les pompes éoliennes.

  • johnDeuf , 14 décembre 2013 @ 21 h 55 min

    Un mouvement de protestation naît toujours d’abus. Un tel mouvement n’est pas contestable et n’a pas à avoir une quelconque ligne politique car il n’est pas composé de politiciens.
    Il serait bon d’ailleurs que le mouvement dure et que des chefs d’entreprises et des économistes surgissent de ses rangs pour diriger l’Etat bibendum, le faire maigrir par une suppression totale de l’ensemble des impôts et taxes nocifs à l’économie pour ne conserver que la TVA, seul impôt sur la production ( je précise bien sur la production) neutre pour l’économie. Un taux de pression fiscale de l’ordre de 15 à 20% serait amplement suffisant et permettrait à l’Etat d’engranger un peu plus de recettes fiscales ce qui devrait l’emmener à diminuer au fur et à mesure les taux de TVA. L’Etat gendarme doit se substituer à l’Etat providence et la décentralisation s’opérer en premier lieu par la décentralisation en régions de la plupart des ministères ce qui éviterait des dépenses absurdes comme en France le grand Paris de Sarkozy qui n’est qu’une gabegie financière de plus mais ruineuse pour notre pays.

  • Charles , 15 décembre 2013 @ 19 h 44 min

    En Italie,des Souverainistes refusent l’UERSS.
    La milice Eurosovietique les attaque.

    http://www.youtube.com/watch?v=k9irUEMfPCE#t=109

Comments are closed.