La journée noire du 10 août… 1792

Bison futé a annoncé une journée noire sur les routes de France, ce 10 août. Voilà une couleur qui convient bien à cette date. Il y a quelques semaines, la fête nationale du 14 juillet commémorait, non la journée sanglante de 1789, mais la fête de la Fédération qui, un an plus tard, réconciliait les Français dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, alors que l’essentiel des réformes qui apparaissent aujourd’hui comme le bilan positif de la Révolution était accompli. « L’essentiel a été dit le 4 août » affirme François Furet qui souligne par là que la révolution libérale avait brisé les monopoles, aboli les privilèges, et mis de l’ordre dans le maquis des règlements et du droit. On aurait pu et dû en rester là, avec simplement la tension provoquée par le gigantesque transfert de propriété qui résulte de la vente des « biens nationaux », auparavant propriété du clergé et du domaine royal. Celle-ci a été le contraire d’une nationalisation, puisque les biens appartenant aux deux grandes institutions que sont l’État et l’Église ont été vendus à des particuliers. Ceux-ci en feront parfois bon usage sur le plan économique. Le développement de l’industrie cotonnière dans notre pays lui devra beaucoup. Jusqu’à la Restauration, et au-delà, avec l’affaire de l’indemnisation des émigrés, dont les biens auront également été saisis et vendus, la coalition des acheteurs sera le plus sûr rempart contre un retour de l’Ancien Régime.

Le 10 août 1792 est le jour où la Révolution française montre hélas sa nature spécifique et consacre un échec que notre discours officiel et notre enseignement cherchent désespérément à cacher ou à oublier en prétendant qu’elle est « un bloc ». Deux siècles et quelques années plus tard, après une douzaine de régimes, et la volonté chez certains d’instaurer une sixième république, le bilan est négatif. Si l’on considère la Révolution comme un bloc, on doit se souvenir qu’elle a inspiré par son sens et par ses pires méthodes, la révolution bolchévique qui s’en voyait le prolongement prolétarien et trouvait dans la Terreur le modèle de son action. Le génocide vendéen annonce l’Holodomor ukrainien sous Staline. De manière plus sourde, l’une des particularités de la gauche française est sa haute teneur en poison idéologique si on la compare aux autres gauches européennes, plus pragmatiques. Il y encore chez nous cette idée issue de la révolution jacobine de changer la société et pour cela de façonner l’esprit des hommes qui la composent. C’est ainsi que Mme Belkacem et M. Peillon rêvent à haute voix de changer les mentalités, y compris en imposant l’idéologie du « genre » à l’enseignement libre » au mépris de son caractère propre reconnu par la loi. Un gouvernement doit assurer le bien public. Il n’a pas à intervenir dans la pensée et peser sur les consciences, sauf à être totalitaire dans la pure tradition du 10 août 1792. Les Américains ont fait leur révolution quelques années avant nous, avec le soutien de l’Armée royale. Les Britanniques en ont fait deux, la seconde, un siècle avant la nôtre. Ils n’ont plus changé de régime depuis et aucun de leurs gouvernements ne se croit en charge de décider de la pensée des citoyens.

Le 10 août 1792, c’est l’illustration la plus magistrale de ce qu’écrit encore François Furet : « la période qui va de mai-juin 1789 au 9 thermidor 1794 n’est pas caractérisée par le conflit entre la Révolution et la Contre-révolution, mais par la lutte entre les représentants des Assemblées et les militants des clubs. » Au travers des « journées » et des émeutes, les Jacobins vont imposer la domination d’une « société de pensée » à un pays dont on a détruit la capacité de résistance en faisant disparaître son organisation en « corps ». C’est donc une minorité agissante qui va l’emporter sur les instances censées représenter la majorité. Cela aura trois conséquences négatives. D’abord, ce premier rendez-vous manqué avec la démocratie représentative pèsera sur la suite de notre histoire. Ensuite, ce recours à la violence où à la force, au « coup » d’État ou non, sera assez constant jusqu’à un certain 13 mai 1958, malgré la longue parenthèse entre la Commune et la Première guerre mondiale, où les héritiers des Jacobins prennent le pouvoir et le conservent en ne manquant pas de s’attaquer à la liberté religieuse. Enfin, subsistera, de manière plus ou moins avouée à gauche, l’idée que la légitimité procède du « progrès », de ce sens de l’histoire qu’a incarné la Révolution par son glissement à gauche jusqu’à la terreur.

Le 10 août 1792, préparée par un Comité d’insurrection, soutenue par une Commune insurrectionnelle, l’attaque des Tuileries est menée par les volontaires nationaux, les « fédérés » et les sections parisiennes qui massacreront les défenseurs, les gardes suisses, notamment, lorsque ceux-ci cesseront leur résistance sur l’ordre du Roi. Celui-ci sera suspendu et emprisonné au Temple. Deux ans de cauchemar vont suivre marqués par les règlements de compte entre les factions et les individus, Girondins et Jacobins, Danton et Robespierre, le premier responsable des massacres de Septembre, l’autre de la Grande Terreur. La Convention est sans doute l’époque la plus noire de notre histoire sur le plan intérieur. En revanche, cette république calamiteuse sera sauvée par l’élan de la Nation et par ses victoires militaires. Valmy n’a pas été une grande bataille, mais c’est un grand événement qui a deux faces : d’abord, c’est la réaction d’une Nation à laquelle l’étranger veut dicter sa loi. Le stupide manifeste du duc de Brunswick promettant de livrer Paris à une exécution militaire avait été le détonateur du 10 août. Valmy est la réponse de la France au roi de Prusse. Mais, ensuite, la guerre a changé de sens. Sous l’Ancien Régime, les guerres n’étaient que des moyens d’accroître les territoires soumis aux monarques. Les mariages ou les alliances étaient d’autres moyens. Désormais, la guerre va prendre un tour idéologique. Les révolutionnaires haïssaient l’Autriche, dont la monarchie française s’était rapprochée par le mariage de Louis XVI avec Marie-Antoinette. Ils avaient de la sympathie pour la Prusse et surtout pour l’Angleterre, pourtant nos véritables ennemis. Ces pays vont certes combattre la contagion révolutionnaire, mais ils vont surtout continuer leur politique ancienne, comme en  témoignent les partages de la Pologne en 1793 et 1795. Les Français vont au contraire inaugurer des guerres idéologiques appuyées sur la conscription générale. Le 10 août marque donc une rupture, désastreuse pour notre pays et sans doute aussi pour l’Europe.

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37 Comments

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  • jack30 , 11 août 2013 @ 14 h 03 min

    Autres temps, autres hommes, autres moeurs, autres réalités ! Laissons à l’histoire son histoire et tournons nous vers l’avenir…
    Quelle que soit la société, les changements ont causé de grands chambardements, accompagnés de massacres, crimes et parfois de progrès social… C’est du moins le cas de la France… On ne peut faire d’omelettes sans casser des oeufs, de même, un changement de société se fait souvent dans la douleur !!! C’était ainsi il y a deux cents ans et la mentalité des hommes de l’époque, n’a rien à voir avec la nôtre et notre ressenti personnel des évènements du passé !!!
    Alors, d’accord pour relater les évènements historiques du passé, mais restons neutres, nous n’y étions pas pour juger !!!

  • monhugo , 11 août 2013 @ 15 h 02 min

    Il y avait eu une “répétition”. Dès le 20 juin 1792, avec la populace des faubourgs St-Antoine et St-Marceau, Antoine-Joseph Santerre, qui s’est proclamé commandant général de la garde nationale, envahit les Tuileries, défie le roi et le contraint à coiffer le bonnet rouge ! L’idée est de faire pression sur “Monsieur Veto” (le roi disposant d’un droit de veto dans la Constitution du 3 septembre 1791). L’insurrection s’organise au sein du “comité central des Fédérés”, qui se réunit aux Jacobins-St-Honoré. La prise d’assaut des Tuileries, où Louis XVI et sa famille sont véritablement assignés à résidence depuis la fuite à Varennes (21 juin 1791), est préparée.
    Dans la nuit du 9 au 10 août 1792 le tocsin sonne aux clochers parisiens, et au matin une foule de sans-culottes se masse près du palais, menée par Santerre et François-Joseph Westermann (qui s’illustrera plus tard en Vendée). L’accès du Carrousel (une porte est restée ouverte) conduit les émeutiers à l’intérieur des Tuileries, mais les gardes-suisses repoussent facilement les braillards, en les fauchant quasiment à bout portant. Ils semblent décidés à renoncer, quand, vers 10 heures, un groupe de volontaires marseillais réussit à entrer de son côté dans le palais, et les combats reprennent, de plus belle. Le roi, toujours économe du sang de ses peuples, comme de ses fidèles gardes, griffonne un billet à l’intention des 900 Suisses présents aux Tuileries, qui leur ordonne de se retirer dans leurs casernes. Entourés sur la place Louis-XV (aujourd’hui place de la Concorde), un grand nombre est traîné jusqu’à l’Hôtel de Ville, pour y être massacré (certaines poissardes des Halles qui accompagnent les émeutiers poussant le raffinement jusqu’à mutiler les cadavres). Le palais envahi, la populace massacre aveuglément : fidèles du roi, mais aussi gardes nationaux préposés à la sécurité du roi, et encore serviteurs. 600 Suisses massacrés, mais aussi 200 aristocrates, gardes et gens de maison : un “beau” bilan, mais le pire est à venir.
    L’ Assemblée législative en profite pour déclarer la déchéance du roi, qui avait trouvé refuge en son sein, et convoque une “Convention nationale”, pour prendre toutes mesures “pour assurer la souveraineté du peuple, et le règne de la liberté et de l’égalité”. Le roi, la reine, le dauphin (7 ans tout juste), Madame Royale (13 ans) et Madame Elisabeth, sont conduits par Santerre au donjon du Temple pour y être emprisonnés.
    Du 2 au 7 septembre suivants, en pleine période d’élections pour la Convention, Santerre et ses sbires envahissent les prisons parisiennes et y massacrent allègrement. Bilan : plus de 1.300 morts. Les “Septembriseurs” font école, mais de manière nettement plus limitée, et sur plus longtemps, en province : Versailles, Meaux, Orléans, Reims – plus de 150 morts supplémentaires de ce chef.
    Seuls 10 % des électeurs inscrits (suffrage universel masculin) vont aller voter. Il y a surtout des candidats issus de la Montagne. La Convention se réunit le 20 septembre 1792 pour la première fois.
    Les députés girondins seront arrêtés lors des journées d’émeute des 31 mai et 2 juin 1793 – les Montagnards restent seuls maîtres du terrain politique.
    Le 10 Août-1792 et les massacres de Septembre signent la fin de la monarchie. Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793, Marie-Antoinette est exécutée le 16 octobre suivant, Madame Elisabeth le 10 mai 1794 (elle a 30 ans et c’est la personne la plus inoffensive qui soit). L’infortuné Louis XVII meurt à l’âge de 10 ans au Temple, le 8 juin 1795, probablement d’une péritonite tuberculeuse, après avoir été traité d’une manière ignoble. Seule Madame Royale réchappera du Temple, échangée avec les Autrichiens le 19 décembre 1795 (le jour de ses 17 ans) contre 6 prisonniers français.
    Pendant la Terreur (des massacres de Septembre, suivis en mars 1793 par la mise en place du Tribunal révolutionnaire) on va dénombrer environ 500.000 emprisonnements, 100.000 morts, exécutés ou massacrés – même si les premières têtes tranchées remontent à juillet 1789. L’horreur maximum sera entre été 1793 et été 1794. Par ailleurs, la “Guerre de Vendée” (3 guerres successives, en fait) fera, entre 1793 et 1796, plus de 200.000 morts. Le génocide vendéen (populations civiles) commencera à Nantes en 1794, avec l’immonde Carrier (qui, retour de bâton, sera guillotiné le 16 décembre 1794). On commença par fusiller 2.500 prisonniers (hommes, femmes, enfants, raflés et entassés dans des geôles infectes, laissés sans soins et sans nourriture), puis on passa aux noyades dans la Loire, pour économiser les munitions. Encore des milliers de morts. En attendant, les prisonniers étaient gardés dans des véritables camps de concentration, et beaucoup y mouraient tout simplement du typhus, ou de faim.
    En parallèle, ce fut le temps des “Colonnes infernales” de Turreau, qui débuta sa sale besogne le 21 janvier 1794, pour l’achever le 17 mai suivant (destitué, mais continuant sa carrière sous tous les régimes, pour mourir de sa belle mort en 1816, même pas poursuivi sous la Restauration !). Plusieurs dizaines de milliers de civils, enfants compris, de ce chef. Ces “crimes contre l’humanité”, les premiers du genre, on sait bien sûr que nos donneurs de leçons droits-de-l’hommistes, PS comme UMP, ne sont pas du tout décidés à les reconnaître ! Les futurs bourreaux nazis avaient pourtant en l’espèce des devanciers appréciables : massacre aux Lucs-sur-Boulogne (Vendée) le 28 février 1794 de 110 enfants (le plus jeune âgé de 15 jours) par les troupes du général Cordelier – valant bien Oradour-sur-Glane ; fours crématoires du général Amey, où précipiter vivants femmes et enfants ; tanneries et fonderies de peaux et graisses humaines ; quelque chose qui ressemble beaucoup à la “Solution finale” décidé et voté par la Convention. Bilan : au minimum 250.000 Français tués par d’autres Français, mais plus vraisemblablement le double, soit 40 % des populations des territoires concernés (civils et combattants). Une mini “Shoah” que nos politiques ne veulent surtout pas voir, encore moins reconnaître, eux tellement friands pourtant en la matière : voir loi de 2008, la plus récente du genre, sur le génocide arménien. La Révolution de 1789 fut une horreur.
    Cela n’empêche pas qu’existent, à Paris par exemple, des artères célébrant cette époque ignoble, et ses “héros” : rues de la Convention, ou Danton, par exemple. La capitale eut même une place Robespierre, juste après la Seconde guerre mondiale (du côté de la rue St-Honoré), mais elle fut promptement débaptisée, dès 1950. Les cocos tentèrent à nouveau en ce sens à plusieurs reprises, la dernière fois en 2011, mais le Conseil de Paris repoussa à nouveau cette demande – projet “non consensuel” selon Anne Hidalgo. Quant à Turreau, son nom déshonore l’Arc-de-Triomphe, puisqu’il y figure !

  • monhugo , 11 août 2013 @ 15 h 09 min

    @jack30. Eu égard à votre prose “commentant” ailleurs sur le site, ce commentaire-là n’a rien d’étonnant.

  • MCT , 11 août 2013 @ 16 h 20 min

    Merci pour cette belle et triste leçon d’histoire.

  • patrhaut , 11 août 2013 @ 16 h 49 min

    D’une rare stupidité…rien d’étonnant que jusqu’à présent ce que j’ai lu de vous me donne plutôt envie de vous foutre une bonne baffe !

  • patrhaut , 11 août 2013 @ 16 h 50 min

    je parle de cet étrange phénomène d’abrutissement qu’est jack30

  • scaletrans , 11 août 2013 @ 18 h 37 min

    Non la première partie de la Révolution ne fut pas une simple correction de ce qui fonctionnait mal sous la Monarchie, mais une prise du pouvoir sur des bases elles-mêmes viciées, c’est à dire le triptyque infernal Liberté (d’émettre n’importe quelle opinion), Egalité (entre toutes les opinions, y compris celle de l’imbécile manipulé), Fraternité (obligatoire, afin d’adopter la motion ou la décision déjà préparée en Loge de longue main); le tout avec application de la dynamique de groupes réducteurs comprenant ses noyaux dirigeants.

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