La maison d’édition « Première partie » vient de publier la version française de la biographie du pasteur Bonhoeffer par l’historien américain Éric Metaxas : “Bonhoeffer – pasteur, martyr, prophète, espion”. Le hasard du calendrier fait que cette parution intervient au 70e anniversaire de la tentative de coup d’Etat à laquelle participa le pasteur allemand.
Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) s’employa durant sa courte vie à régénérer une Église luthérienne allemande compromise avec le régime nazi et à aider à la destruction du IIIe Reich. De retour de Londres où il exerça son activité de pasteur de 1933 à 1935, il rejoint l’Église « confessante » du pasteur Niemoeller, créée en 1933 pour s’opposer à la prise de contrôle des Églises luthérienne et calviniste fédérées par les « chrétiens allemands » nazis en une “Église du Reich ». Il fut interdit d’enseigner et constitua alors un séminaire clandestin dissout par la Gestapo en 1937. Il reprit son activité illégalement jusqu’en 1940 lors de l’arrestation de plusieurs de ses participants. En 1938, il prit contact avec des officiers allemands opposés au nazisme, notamment l’amiral Wilhelm Canaris, chef de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand). Grâce à lui, il obtint des papiers qui lui permirent d’être protégé contre la Gestapo, et de se déplacer à l’étranger. Durant l’un de ses voyages à Stockholm, il transmit aux Britanniques des preuves de l’extermination des Juifs par les nazis et une demande d’aide des conspirateurs militaires Hans Oster et Ludwig Beck pour éliminer Hitler. Les Britanniques crurent à l’œuvre d’un agent provocateur et ne bougèrent pas.
Le 5 avril 1943, il fut arrêté sous l’inculpation d’« affaiblissement du potentiel de guerre de l’Allemagne ». En prison, il écrivit de nombreux textes recueillis après guerre dans l’ouvrage Résistance et soumission. Après l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler auquel il collabora, il fut transféré en octobre 1944 dans les prisons de la Gestapo puis dans le camp de concentration de Buchenwald.
Cette tentative de coup d’État, la quatrième depuis 1938, aurait pu réussir sans la chance incroyable (d’aucuns diraient satanique) du Führer. Elle réunissait une grande partie des officiers généraux, ainsi que des personnalités prussiennes conservatrices comme Carl Friedrich Goerdeler, pressenti pour devenir Chancelier, des dirigeants du Centre chrétien démocrate, des syndicalistes sociaux-démocrates comme Julius Leber prévu comme ministre de l’Intérieur. La conjuration comprenait aussi des militants de la « Révolution conservatrice » du Cercle de Kreisau, courant politique injustement méconnu en France, associant un fort anti-capitalisme à une nostalgie des valeurs aristocratiques bafouées par la canaille nazie, et à un profond amour du peuple allemand. L’écrivain Ernt Jünger (« sur les falaises de marbre ») est la seule figure de ce mouvement connue à l’étranger. Le comte Claus von Stauffenberg, cheville ouvrière du complot, catholique bavarois, en faisait partie. L’élite du corps des officiers participa activement ou tacitement à ce projet qui aurait changé le cours de la guerre. Citons le général Ludwig Beck, ancien chef d’état-major général jusqu’en 1938, l’amiral Canaris, chef du renseignement militaire, le maréchal Rommel, chef de l’Afrika-korps, le maréchal von Manstein, vainqueur de la France en 1940, le général Stülpnagel, chef des troupes d’occupation en France, le général Halder, chef d’état-major de l’armée de terre, le général Witzleben, commandant de la zone militaire de Berlin, le comte von Moltke, fils du vainqueur de Napoléon III, le major général von Tresckow, le général Friedrich Olbricht, commandant les troupes de réserve de Berlin. Tous furent exécutés, la plupart pendus à des crocs de boucher avec des cordes de piano pour prolonger l’agonie, ou bien furent contraints au suicide comme Rommel.
Arrêté le soir même du 20 juillet 1944, le comte Stauffenberg fut fusillé séance tenante. On ne saura jamais quel fut le cri du supplicié car les témoins ne s’accordèrent pas : « Vive l’Allemagne éternelle (ewige) » ou bien « Vive la sainte (heilige) Allemagne ». Un cri qu’aurait pu pousser Dietrich Bonhoeffer.
Hitler n’oublia pas le pasteur : le 9 avril 1945, Dietrich Bonhoeffer ainsi que l’amiral Canaris furent condamnés à la pendaison dans le camp de concentration de Flossenbürg. La veille de son exécution, il laissa un message à un officier anglais prisonnier, à l’intention de l’évêque anglican George K.A. Bell : « Dites-lui que pour moi, c’est la fin, mais aussi le commencement. Avec lui, je crois au principe de notre fraternité chrétienne universelle qui est au-dessus de toutes les haines nationales et que notre victoire est certaine. » Il avait aussi écrit: « La bêtise est une ennemie du bien plus dangereuse que la méchanceté. On peut protester contre le mal, le mettre à nu, l’empêcher par la force. Nous sommes impuissants contre la bêtise. »
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