L’objection de conscience des maires et la CEDH

Cet article, rédigé à la demande de l’Association pour la liberté de la conscience en France, présente en synthèse l’état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’objection de conscience et la façon dont cette cour pourrait l’appliquer au cas des maires objecteurs. Une présentation plus complète a été publiée sous le titre « L’objection de conscience des maires et la CEDH » dans la Revue Lamy Droit Civil, n°108, octobre 2013, pp. 37-42, (extrait).

Le Conseil constitutionnel va entendre ce 8 octobre 2013 une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le Collectif des Maires pour l’Enfance à l’appui d’une requête en annulation devant le Conseil d’Etat dirigée contre la circulaire du 13 juin 2013 du ministre de l’intérieur relative aux « conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil ». Cette circulaire décrit les sanctions – civiles, administratives et pénales- dont devraient être punis les élus municipaux  objecteurs de conscience. Plus de 20 000 élus municipaux français, dont de nombreux maires, se sont déclarés opposés à la célébration de mariage entre personnes de même sexe.

Les membres du Conseil constitutionnel devront déterminer si l’absence de disposition législative garantissant la liberté de conscience des officiers d’état-civil est conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’aura cependant pas le dernier mot, non seulement parce que le recours sera tranché par le Conseil d’Etat, mais plus encore parce que la procédure pourrait être portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ainsi, un éventuel refus par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat de garantir la liberté de conscience des officiers d’état-civil pourra être porté à la Cour de Strasbourg.

La CEDH a déjà eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur des cas d’objection de conscience. Il en ressort que les maires objecteurs peuvent se prévaloir de la protection offerte par l’article 9 de la Convention garantissant la liberté de conscience. Selon le courant dominant de sa jurisprudence, cette protection oblige l’Etat à instituer un mécanisme permettant de concilier les droits et intérêts concurrents en cause, et non pas seulement à justifier la prévalence des droits des uns. La sensibilité politique de la matière pourrait cependant inciter la Cour à accorder aux autorités nationales une large marge d’appréciation.

Dans l’affaire Eweida et autres c/ Royaume-Uni (CEDH, 15 janv. 2013, 48420/1010), la Cour de Strasbourg a jugé que le refus de célébrer l’union civile de couples de personnes de même sexe constitue la manifestation de convictions et bénéficie de la protection accordée par la Convention à la liberté de conscience et de religion (§ 103). La conviction de la requérante étant couverte par l’article 9, il en résulte que « l’État a l’obligation positive, au titre de l’article 9, d’assurer le respect de ce droit » (§ 108).

Le respect de ce droit exige que l’ingérence commise dans la liberté de conscience et de religion des objecteurs poursuive un but légitime et qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique au respect des droits et intérêts concurrents garantis par la Convention. Dans le cas d’espèce, la Cour a considéré que ces restrictions poursuivaient le but légitime d’assurer le bon fonctionnement du service et de respecter la politique interne de promotion de l’égalité et de lutte contre la discrimination (§ 105 et 109). Quant à la proportionnalité des sanctions infligées, c’est-à-dire leur nécessité dans une société démocratique, la Cour n’a pas approfondi son examen, estimant que les autorités bénéficient d’une ample marge d’appréciation pour mettre en balance les droits concurrents (§ 106 et 109). La Cour a conclu que le Royaume-Uni n’a pas outrepassé, en l’espèce, sa marge d’appréciation. La sensibilité politique de l’affaire a certainement poussé la Cour à la prudence en invoquant la marge d’appréciation ce qui ne lui a pas permis de décrire le contenu de cette obligation positive de l’Etat visant à assurer le respect effectif de la liberté de conscience.

C’est dans d’autres affaires relatives à l’objection de conscience au service militaire (Bayatyan c/ Arménie 7 juill. 2001, 23459/03) et à l’avortement que la Cour a décrit le contenu des obligations positives de l’Etat.

Dans cet arrêt Bayatyan, la Cour a estimé que le respect de la liberté de religion et de conscience des objecteurs implique l’obligation positive pour l’État d’organiser le système, de sorte que celui-ci puisse tenir compte des droits des objecteurs. L’absence d’un tel système établit par elle-même le caractère disproportionné de la sanction infligée. Pour la Cour, seule l’attitude visant à concilier les droits concurrents, plutôt qu’à les opposer, est « de nature à assurer le pluralisme dans la cohésion et la stabilité et à promouvoir l’harmonie religieuse et la tolérance au sein de la société » (§ 126).

De même, en matière d’avortement, la Cour a jugé « que les États sont tenus d’organiser leur système de santé de manière à garantir que l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans le contexte de leurs fonctions n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont droit en vertu de la législation applicable » (CEDH, 26 mai 2011, aff. 27617/08, R. R. c/ Pologne, § 206 ; CEDH, 30 oct. 2012, aff. 57375/08, P. et S. c/ Pologne, § 106). La Cour a ainsi refusé de faire prévaloir le droit de la mère sur celui du médecin, ou inversement, mais a imposé à l’État la responsabilité de créer un mécanisme conciliant ces droits concurrents.

On peut déduire de ces arrêts que la Cour exige une conciliation des droits et non la simple justification de leur opposition. Cela résulte de sa philosophie politique : le modèle de référence de la Cour est la démocratie et non la République ; plus encore, il s’agit d’une démocratie pluraliste et individualiste, et la Cour se méfie des conceptions générales que l’État peut vouloir imposer aux individus, en particulier en matière de valeurs. Cette approche conciliante est répandue, ainsi l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a récemment appelé les États « à garantir le droit à une objection de conscience bien définie en rapport avec des questions sensibles du point de vue éthique (…) à condition que les droits des autres de ne pas être victimes de discrimination soient respectés et que l’accès à des services légaux soit garanti » (Résolution APCE 1928 (2013), 24 avr. 2013, art. 9.10).

S’agissant des maires objecteurs, si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat refusent de garantir effectivement leur liberté de conscience, il sera difficile au Gouvernement français de soutenir devant la Cour de Strasbourg qu’il a été conciliant. Comme le note M. Tukov, la loi Taubira et la circulaire ont au contraire « resserré l’étau » sur la conscience des maires en refusant tout mécanisme permettant de concilier leur liberté avec les droits des personnes désirant se marier. Si l’affaire est portée à Strasbourg, le gouvernement aura la difficile tache de prouver qu’il lui était raisonnablement impossible d’instituer un tel mécanisme… alors même que le préfet peut « procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial » aux actes prescrits par la loi au maire en tant qu’agent de l’État, ce qui est le cas de la célébration des mariages (Art. L. 2122-34 du Code général des collectivités territoriales).

Enfin, une autre question pourrait être soulevée devant la Cour de Strasbourg : celle de l’impartialité du Conseil constitutionnel garanti à l’article 6 de la Convention. En effet, d’une part plusieurs de ses membres, et non des moindres, ont exprimé publiquement leur adhésion politique au mariage entre personnes de même sexe, et d’autre part, le Conseil constitutionnel en formation plénière a déjà eu à statuer sur la loi avant sa promulgation. Or, le fait que les mêmes « juges » statuent plusieurs fois sur la même affaire suffit pour la Cour de Strasbourg à mettre en doute l’impartialité objective de la juridiction en cause. Il est vrai que les procédures devant le Conseil constitutionnel sont d’une nature particulière, cependant, l’invocation de cette particularité pourrait ne pas suffire à justifier la non-application de l’article 6 de la Convention à la procédure de QPC, car les juridictions ordinaires sont tenues de respecter les décisions du Conseil constitutionnel.

Finalement, il ressort de la jurisprudence de Strasbourg qu’un recours des maires objecteurs à la CEDH aurait des chances réelles d’obtenir gain de cause. Cependant, il faut garder à l’esprit que la Cour de Strasbourg -comme le Conseil constitutionnel- n’est pas plus une juridiction ordinaire. Ses jugements, qui sont toujours d’espèce, dépendent largement de facteurs politiques et de l’aléa de la composition de la chambre amenée à statuer, lorsqu’ils portent sur des matières idéologiques hautement controversées.

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52 Comments

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  • eric-p , 10 octobre 2013 @ 22 h 52 min

    Vous vous êtes entrainé pour répéter les mêmes inepties sur ce forum ou quoi ?

    Chaque fois que quelqu’un ne tient pas un discours conforme à votre “grille de lecture idéologique”, c’est forcément un homme du FN !
    On croirait entendre le répondeur automatique du PS !

    Eh bien non cher monsieur, je ne suis pas du FN et je me méfie même de certains de ses militants (un certain nombre de membres de la GLNF).Le FN n’est pas forcément aussi anti-système.
    Qu’il soit un Parti bourgeois est assez discutable, hein !
    Personnellement je le classe surtout comme
    un parti opportuniste mais ce n’est qu’un avis.

    Vous auriez dû vous rendre à LMPT;
    vous vous seriez rendu compte que les horizons politiques des contestataires dépassent largement ce qu’un individu à la vision politique plutôt étriquée comme vous semble imaginer.

    Je n’ai pas besoin d’adhérer au FN pour tenir mes propos. Une analyse objective de la situation politique montre qu’il y a un mélange des genres (sans jeu de mots ) entre les
    2-3 partis dominants.
    Le discours de JMLP était légèrement différent en ce sens qu’il parlait
    de “la bande des 4” (allusion amusante à la situation politique chinoise de 1976).

  • eric-p , 10 octobre 2013 @ 23 h 38 min

    Mais le mariage n’est pas un service public cher monsieur.

    C’est un acte qui permet de confirmer (ou pas !) la validité
    d’une union entre deux personnes.
    Le mariage n’est pas une kermesse !

    Ce que propose l’Etat propose aujourd’hui, c’est le mélange des genres: Organiser des parodies de mariage avec des travestis, des draguequeens,lesbiennes, travlos,
    et autre animaux exotiques.

    Si on vous suivait dans votre logique, il faudrait réaliser un mariage “vraiment pour tous”:

    1-Mariage entre ascendants
    (On a vu le cas d’un homme cherchant à épouser sa belle-mère, ce que François Hollande
    A CATÉGORIQUEMENT REFUSÉ D’ACCORDER
    ALORS QU’IL EN AVAIT LA POSSIBILITÉ.

    2-mariage entre frères et soeurs ou entre 2 frères tant qu’on y est !
    Paraît que ça existe et ils font même des petits !
    Pourquoi le PS ne fait-il pas plus preuve de tolérance envers ces citoyens honteusement mises à l’index par la société ?
    Oui, dites-moi pourquoi le PS exerce-t-il encore
    cette honteuse discrimination devant les revendications incessantes (Le cas
    d’Elisabeth et Eric ne vous rappelle-t-il rien ?)
    de ces oubliés de la classe politique ?

    Le PS manque-t-il de courage ou bien a-t-il des restes de scrupules issus de quelques restes de
    la culture catholique ?

    3-Et puis il y a le mariage à 3 sur lequel on attend toujours les explications du PS pas très chaud sur le sujet mais qui devrait changer d’avis grâce au lobbying efficace du LGBT (on appelle les trios des “polyamoureux” dans la sémantique gay !)
    On sait d’avance ce que vous allez nous dire dans quelques années:
    LA- SOCIÉTÉ-A-ÉVOLUÉ: Légalisons les mariages à 3 puisque de très sérieuses études de psychologues du PS montrent qu’en gros
    “TOUT-VA_BIEN” …et profitons-en pour régularisez les harems !!!!

    4-Légalisons aussi les mariages avec les animaux !Ça fera plaisir à BB !

    5-Enfin, dernière revendication: Le mariage
    Newage évoqué par Alain Soral.
    Un énergumène avait reconnu avoir eu une histoire d’amour avec son aspirateur !

    Vous voulez l’égalité du mariage…vraiment pour tous ? Eh bien bonne chance !

    À la limite, je suis disposé à suivre vos conseils
    mais je dirai à mes amis catholiques d’aller se marier à l’étranger puisque ce mariage n’est plus reconnu depuis la révolution française.

    On fera le bilan du mariage républicain dans quelques années et l’état des familles…ou plutôt ce qu’il en reste !
    On peut d’ailleurs le faire dès aujourd’hui:
    Il n’est pas brillant à voir ce que deviennent certains rejetons de membres du gouvernement
    voire de la première maîtresse de France !

    Pour ce qui est de la volonté de garder le pouvoir, la volonté de la franc-maçonnerie était évidente même si elle a connu quelques difficultés.
    Ce n’est pas moi qui le dit mais votre cher ministre Vincent Peillon (franc maçon déclaré).

  • Yaki , 11 octobre 2013 @ 7 h 13 min

    J’avais oublié que je m’adressais à des puristes de la langue française.
    Si le mariage en lui-même n’est pas in service public, la cérémonie officiel en est un.
    Par analogie, le permis de conduire n’est pas un service public, mais son examen en est un.

    Concernant les frères et sœurs, des maires de petites communes rurales avaient demandés que le Pacs leur soit ouvert, pour des problèmes de transmission d’héritage. Une pétition avait même circulé, sans effet.
    Il est assez amusant de voir que ces mêmes maires rejettent le mariage homo avec les arguments de mariages incestueux, notamment entre frères et sœurs.

    Que les gens se marient en France ou à l’étranger ne change pas grand chose . Le nombre de cérémonies diminuera, mais le nombre de mariages comptés sera toujours le même?. Cela libèrera du temps pour que nos édiles fassent autre chose.
    Et puis si les gens ne font pas reconnaitre leur mariage en France, ce sera toujours ça de plus pour le paiement des impôts.
    Pour le reste, il y a une part assez fantasmatique.

  • Ahriman , 4 janvier 2014 @ 21 h 30 min

    Que vous le vouliez ou non, les homosexuels ont le droit de mener la vie qu’ils veulent sans que des Maires Chrétiens ne leur disent avec qui ils doivent avoir des relations sexuelles, aller a l’encontre de la décision de vie de certains citoyens, notamment le mariage civil est discriminatoire et liberticide, si des homosexuels veulent vivre en couples et se mariés cela ne vous regarde pas, ce n’est pas votre vie, conformément a l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : “la liberté consiste a pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas a autrui”, en quoi l’homosexualité vous nuit elle ? En quoi cela vous regarde t’il ? Quand au caractère soit disant acquis de l’homosexualité, en quoi serait elle plus acquise que l’hétérosexualité ? pourquoi l’hétérosexualité ne serait elle pas acquise elle aussi ? Pourquoi l’hétérosexualité serait elle plus innée que l’homosexualité ? Il n’y a aucune preuve scientifique du caractère acquis de l’homosexualité, ni aucune preuve que les homosexuels soient plus libertins que les hétéros, ni que touts les homosexuels ne veulent pas se mariés, en tout cas pas plus que les hétéros, et épargnez nous les élucubrations psychanalytiques d’Alain Soral, de Arino ou d’autres qui ne connaissent visiblement pas l’homosexualité, la psychanalyse n’est pas une science, c’est une pseudo-science, contrairement a la neurologie, qui elle repose sur des preuves, quand au soit disant danger que constituerait l’homosexualité, ou sont vos preuves ? L’homosexualité n’est pas plus dangereuse que l’hétérosexualité, les MST, dont le SIDA se transmettant aussi par l’hétérosexualité, d’ailleurs le SIDA vient d’Afrique, ce n’est pas un cancer Gay, vous prétendez que les homosexuels s’imposent a la société, ils sont citoyens de cette société et leur liberté ne vaut pas moins que celle des hétéros, le fait de discriminer des citoyens en raison de leur sexualité adulte est une atteinte a l’unité de la République.

  • Ahriman , 4 janvier 2014 @ 21 h 35 min

    Et arrêtez de dire aux homosexuels comment ils doivent vivres, la majorité des homosexuels ne veulent pas être des marginaux et ne veulent pas devenir hétérosexuels pour se conformer aux dogmes Chrétiens, que vous n’avez pas a imposer aux autres dans une société laïque.

  • Ahriman , 4 janvier 2014 @ 21 h 41 min

    Quand au caractère Libertaire celui-ci est déjà contenu dans la DDHC du 1789, “la liberté consiste a pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas a autrui”, ce qui exclut l’imposition des dogmes d’une religion particulière a l’ensemble de la société et donc a des incroyants.

  • Ahriman , 4 janvier 2014 @ 21 h 43 min

    On est plus a l’époque ou l’Empereur Chrétien Théodose imposait le Christianisme a touts les citoyens de l’Empire Romain, vous pouvez ranger votre sabre et votre goupillon.

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