Chers lecteurs, chères lectrices, le 25 juillet dernier, la Corée du Sud commémorait l’armistice de Panmunjeom qui a marqué la fin de la Guerre de Corée et la séparation du pays à hauteur du 38e parallèle. Séoul honorait aussi la mémoire des soldats de l’ONU tombés au “pays du Matin calme” sous le commandement des Généraux Douglas MacArthur et Matthew B. Ridgway (le second ayant d’ailleurs commandé la 82nd Airborne Division qui fut larguée à Sainte-Mère-Église le 6 juin 1944). Véritable confrontation armée (indirecte) entre l’URSS et le Bloc occidental, la Guerre de Corée a vu le déploiement d’une coalition réunissant soldats américains (les plus nombreux), Sud-Coréens mais aussi Britanniques, Australiens, Canadiens, Néo-Zélandais, Sud-Africains, Belges, Hollandais, Danois, Norvégiens, Sud-Américains, Turcs, Thaïlandais et bien sûr, Français. Bien entendu, en France cette histoire est largement méconnue. Aucun hommage officiel, aucune émission n’en a fait état. Seuls quelques monuments au morts (celui de Besançon, notamment) et ainsi qu’un jardin du IVe arrondissement de Paris, rappellent l’histoire de ces volontaires français engagés dans une aventure contre le totalitarisme communiste.
Soixante ans après la Guerre de Corée, c’est avec quelque retard que je vous propose donc de leur rendre hommage avec ce résumé de leur histoire.
Lorsque la Guerre de Corée éclate en juin 1950, la France de la IVe République rechigne à y envoyer un contingent sous mandat de l’ONU. D’importantes forces sont déjà déployées dans les rizières d’Indochine. En outre, si depuis 1947, le gouvernement a rompu avec le PCF, la majorité l’opinion publique ne voit guère l’intérêt d’envoyer des soldats dans un pays d’Asie dont on ne connaît strictement rien. Le Gouvernement MRP de Georges Bidault (centre-droit) décide d’abord d’expédier symbolique la frégate La Grandière, avant d’autoriser la levée d’un bataillon exclusivement composé de volontaires. À noter que deux d’entre-eux se nomment Jean Lartéguy et Alfred Sirven.
Or, un monument de la Légion étrangère fait des pieds et des mains pour prendre le commandement de cette unité. Il s’agit du Général de Corps d’Armée Raoul Magrin-Verneret dit Ralph Monclar (1892-1964). Entré très jeune dans la Légion, ce vétéran des tranchées de la Grande Guerre est un ancien commandant de la 13e DBLE à Narvik et en Éthiopie contre les Italiens. Derrière ses aspects de baroudeur et de meneur d’homme hors-pair, Monclar est aussi un homme modeste et cultivé qui parle sept langues et l’auteur d’un Catéchisme de Combat. Si l’état-major juge Monclar trop vieux, le vieux guerrier obtient tout de même l’autorisation de se faire rétrograder au grade de Lieutenant-Colonel pour prendre le commandement du nouveau Bataillon Français de l’ONU.
Aussitôt, proclamée la levée, plusieurs centaines de volontaires affluent. Qui sont-ils ? En très grande majorité d’anciens FFL vétérans de la Seconde Guerre mondiale, des hommes d’active, d’anciens maquisards, quelques Légionnaires ayant acquis la nationalité française et des hommes provenant de la Marine. Selon une légende plus ou moins fondée, on trouve même d’anciens Waffen-SS français (de la 33. SS « Charlemagne »), engagés sur serment de ne pas avoir pris les armes contre d’autres Français pendant le second conflit mondial. Quoiqu’il en soit, à côté d’aventuriers rêvant d’exotisme guerrier et d’autres admiratifs de l’Armée américaine qui a libéré la France, la majorité des volontaires partage un anti-communisme virulent. Ils disent vouloir battre « pour libérer un pays que nous ne connaissons même pas, à l’instar des jeunes Américains venus combattre pour nous pendant les deux guerres mondiales. »
Après une première sélection, 1 017 hommes sont retenus, rassemblés d’abord au camp d’Auvours dans la Sarthe et envoyés à l’entraînement dans le Midi.
L’une des principales forces du Bataillon Français vient de ses soldats qui sont en fait d’anciens sous-officiers expérimentés. Monclar entraîne intensivement son bataillon et lui inculque un esprit de corps qui renforce discipline et cohésion. Après s’être formé au combat, le BF ONU embarque pour la Corée à Marseille le 25 octobre 1950, sur le Skaugum.
Les hommes de Monclar débarquent en Corée, à Pusan, au début de l’hiver. Ils perfectionnent leur entraînement, tout en s’acclimatant à ce rude pays. Monclar est affecté ensuite au 23rd US Infantry Regiment de la 2nd Infantry Division « Indian Head » du Major-General Robert B. McLure (cette division a participé à la Bataille de Normandie). Là, victime du mépris affiché par les états-majors américains pour les Français, le BFONU est baladé d’unité en unité et de cantonnement en cantonnement sans combattre. Toutefois, Monclar conservera de très bonnes relations avec le Colonel Paul Freeman, commandant du 23rd Infantry.
Le Bataillon tire ses premiers coups de feu en janvier 1951 à l’est de Séoul. À ce moment, l’Armée populaire de libération de la Chine communiste est venue prêter main-forte à la NKPA de Kim Il-Sung en traversant le Yalou par vagues, repoussant toutes les forces de l’ONU à hauteur de Séoul.
En janvier 1951, les Français combattent alors par un temps glacial dans les rizières et les monts de Wonju, repoussant tous les assauts des Chinois maoïstes.
Les hommes de Monclar se distinguent en contre-attaquant les Chinois à la baïonnette, ce qui fait dire au General Ridgway (qui a remplacé McArthur rappelé par Truman après avoir proposé d’utiliser l’arme nucléaire contre Pékin) : « Les français nous ont montré que les baïonnettes n’ont pas été inventées pour ouvrir des boîtes de ration mais pour nous battre ! » Et l’un des officiers français de galvaniser ses hommes au cri de « Mort aux cons, il y aura du boulot ! ».
Après les sanglants combats victorieux de Wonju, Monclar dit à ses hommes : « Vous êtes condamnés aux travaux forcés de la Gloire, vous devez continuer à être à la hauteur de votre réputation au cours des batailles à venir. »
À la fin du mois de janvier, les Français participent à la poursuite des forces communistes vers le nord. Dans cette opération, les Français combattent durement sur les hauteurs du carrefour de Chipyong-ni, toujours dans un froid particulièrement mordant (jusqu’à -30°C). Ils doivent aussi repousser les assauts nocturnes des Chinois à la grenade, au poignard et à la baïonnette. La position des Français devient précaire et le dernier assaut des Chinois, qui aurait pu être fatal, est arrêté grâce à l’intervention d’avions F4 Corsair. Les 12-13 janvier, les Français s’enterrent au-dessus de Chipyong-ni et reçoivent du ravitaillement mais les Chinois attaquent encore et chacun de leurs assauts est repoussé. Finalement, le village de Chipyong-ni tombe aux mains des Français au prix de quarante tués et plus de 200 blessés le 16 février, après plus d’un mois de combat.
Ce fait d’arme vaut au BFONU la Presidential Citation Unit décernée par le Président Harry S. Truman.
Au début de mars, le BFONU ouvre la route de Honchon et Chuchon à la 2nd Division et franchir le 38e Parallèle le 6 avril 1951. En Octobre 1951, Monclar et ses hommes s’emparent de la Cote 851, puis du piton baptisé Crèvecoeur (Heartbreaker Ridge – Cote 931). 200 Français sont encore blessés. Après ce nouveau fait d’armes, les Français se placent en position défensive à Gumhwa pour y affronter les rigueurs de l’hiver 1951-1952, avant d’être placé au repos. Le Bataillon a encore gagné une Presidential Citation Unit, ainsi qu’une Citation Présidentielle de la République de Corée.
Après une période d’accalmie dans la vallée de Yok-Chon-Chon, toutefois troublée par des pluies diluviennes, le combat reprend pour les Français en plein été 1952 dans le fameux « Triangle de fer » White-Horse – T-Bone – Arrow Head, au nord-ouest de Chorwon. Placés alors sous le commandement du Lieutenant-Colonel François Boreill, leur mission est de bloquer une nouvelle grande offensive chinoise. Les hommes de Monclar vont être pilonnés pendant près d’une journée par 25 000 obus en tout genre sur leurs positions. À ce bombardement quasi-titanesque succèdent les charges sanglantes de l’APL. La Section de Pionniers, à cours de munitions, doit se battre à coups de pelles et la section lourde désobéit aux ordres de rester en position défensive pour se porter au soutien du 29e Régiment Sud-Coréen en très mauvaise posture après la prise de White Horse par les Communistes. Cet acte vaudra à son chef, l’Ordre du Mérite Militaire Hrawang avec étoile d’argent, la plus haute distinction dans l’Armée Sud-Coréenne. Le Bataillon Français a mis hors de combat près de 1 500 Chinois et Nord-Coréens et a gagné sa troisième Presidential Citation Unit, sa seconde Citation Présidentielle Coréenne, ainsi qu’une Citation à l’Ordre de l’Armée française.
Après ces durs combats, les Français commandés alors par le Lieutenant-Colonel de Germigny mais toujours placés sous le commandement de la 2nd US Division, sont successivement placés en position défensive à Songgok et Chumgasan (janvier-juin 1953) où ils se contentent de patrouiller dans le secteur ennemi et à repousser des attaques.
Après la signature de l’armistice de Pan-Mun-Jon, les Français embarquent pour l’Indochine où ils combattront contre le Viet-Minh dans la région de Saïgon. 287 d’entre eux ont payé de leur vie la défense de la Corée du Sud et près de 1 350 ont été blessés.
Sources :
– BERGOT Erwann : Bataillon de Corée. Les volontaires français 1950-1953, éd. Presses de la Cité
– KADARI Yannis (Dir) : Corée. Les volontaires français de l’ONU : Ligne de Front, N°18, Août 2009, éd. Caraktère
– HAMBURGER Kenneth : Le rôle du « bataillon de Corée » dans la guerre de Corée, 2007, http://www.rha.revues.org
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