Esclavage : quelle responsabilité pour l’Église catholique et les souverains européens ? (1/3)

Il vient tout juste d’être commémorée l’abolition de l’esclavage par la France en 1848. Plutôt que de rendre hommage à l’action généreuse et morale de notre pays, ces commémorations ont viré à l’auto-flagellation et l’auto-détestation. Les associations communautaristes noires de France (censées ne pas exister dans une France républicaine ne reconnaissant pas les communautés), telles que le CRAN et la Brigade anti-négrophobie, en ont profité pour conspuer et insulter encore la France tout en réclamant le principe très concret d’un dédommagement financier pour les descendants d’esclaves. En mars dernier, le CRAN s’était fait remarquer en défilant Place Saint-Pierre à Rome pour exiger le pardon de l’Église catholique pour son implication dans l’esclavage. Outre la puérilité de leurs attitudes qui se complaisent dans l’aigreur et la haine recuite et anachronique, ces associations propagent une vision totalement biaisée, voire mensongère, de l’histoire et notamment de ce sujet douloureux qu’est l’esclavage. Si ce commerce ignoble fut bien pratiqué par les Occidentaux chrétiens, il convient aussi de rappeler que ces derniers furent les premiers à initier des débats concernant sa légitimité, à le réformer et, finalement, à l’abolir (I). Concernant le rôle de l’Église catholique dans ces douloureux évènements, il conviendra également de rappeler son rôle prépondérant dans l’ouverture des consciences européennes à l’aspect éthique de l’esclavage (II). Enfin, il sera utile de réaffirmer l’existence d’autres esclavages pratiqués par les non-Européens, notamment les musulmans, bien plus durables dans le temps et jamais remis en cause au sein de ces sociétés (III). Tel sera l’objet de notre étude qui, sans nier l’existence d’un esclavage pratiqué à grande échelle par les Européens chrétiens, démontrera l’inanité des opérations de repentance et culpabilisation menées à outrance contre les seuls blancs et chrétiens.

I. La pratique de l’esclavage par l’Occident et la réaction des souverains aux XVIe-XVIIIe siècles

Il convient avant tout de rappeler le contexte historique de la traite des noirs telle que pratiquée par les Occidentaux. Celle-ci démarre dans le courant du XVe siècle à l’initiative des Portugais, alors en pleine ascension commerciale et coloniale. Dès le début du siècle, ils s’emparent de Ceuta (1415), colonisent Madère (1418-1425) et dépassent le Cap Bojador au sud des Canaries. Puis, dans un second temps, ils reconnaissent les côtes du Sénégal et du Sierra Leone, atteignent le Cap de Bonne Espérance en 1487, Aden en 1524 tandis que Madagascar est découvert en 1500. On estime que c’est en 1441 que furent razziés à leur initiative les premiers captifs d’Afrique noire au Rio de Ouro. Au départ, il s’agit essentiellement pour les Portugais de se procurer une monnaie d’échange pour obtenir des produits de luxe comme l’or, l’argent ou des denrées exotiques. Suite à la chute de Grenade en 1492 et à la découverte du continent américain par Christophe Colomb la même année, l’Espagne se lance elle aussi dans la colonisation et l’asservissement de populations, d’abord les Indiens d’Amérique, puis les Africains déportés comme esclaves. Face à ce trafic naissant, comment réagirent les souverains chrétiens de ces pays ? En fait, leur attitude sera très variable suivant les circonstances.

Dès le deuxième voyage de Christophe Colomb en 1493, la reine Isabelle de Castille prescrivit à ce dernier de traiter les indiens amorosante, soit avec bienveillance. Lorsqu’en 1495, il ramena environ quatre cents Indiens réduits en esclavage, elle s’y opposa énergiquement et promulgua une cédille exigeant leur libération immédiate et leur retour dans leur pays. Elle réagit de même lorsque Colomb récidiva en 1499. Elle n’hésita pas à destituer Colomb de ses fonctions de vice-roi sur les terres découvertes. En 1501, elle donna au nouveau gouverneur des Antilles, Nicolas de Ovando, des instructions pour protéger les indiens et faire respecter les termes de leur évangélisation. On constate donc que dès le début de la conquête, les autorités royales imposent leur volonté de protéger les populations indigènes d’Amérique contre les abus des colons qui sont nombreux. L’empereur Charles Quint ira également dans ce sens lorsqu’il renouvellera en 1530 l’interdit d’Isabelle la Catholique de réduire les Indiens en esclavage. Ces mesures rencontrèrent d’ailleurs de fortes résistances de la part des colons et de certaines autorités locales qui détenaient des leviers de pouvoir et n’hésitèrent pas à faire pression sur la couronne. En 1534, Charles Quint dut reculer et abroger partiellement son interdit. Certains vice-roi soutinrent la politique de protection des Indiens de la couronne comme Antonio de Mendoza, vice-roi du Mexique en 1535. En 1542, les fameuses « Leyas Nuevas » (lois nouvelles) interdirent l’esclavage des Indiens et réclamèrent la libération de tous les esclaves sur le continent américain. Il y eut de vives oppositions à ces lois et même des affrontements armés, notamment au Pérou, celui animé en 1546 par Gonzalo Pizarro, frère de Francisco qui découvrit et conquit l’empire Inca. La longueur des distances et les difficultés des communications expliquent que les décisions royales aient pu être tant disputées. En 1549, Charles Quint abolira l’encomienda, système de travail forcé des Indiens. Du reste, contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’indépendance des pays d’Amérique latine vit s’aggraver le sort des Indiens, dépossédés des quelques terres et des protections dont ils bénéficiaient grâce à la couronne. Cependant, l’esclavage des Indiens n’existait pas partout. Ainsi, il demeura inconnu au Pérou et peu pratiqué au Mexique où il n’y eut que trois mille esclaves sur plusieurs millions d’habitants.

Malheureusement, les souverains ibériques furent beaucoup moins impliqués dans la défense des esclaves africains. Ferdinand le Catholique fut le premier, en 1510, à donner l’autorisation de déporter des esclaves noirs vers l’Amérique à grande échelle. La disparition des populations amérindiennes des Caraibes et des Antilles allait vite entraîner une intensification de ce trafic. En 1519, répondant à une requête des colons espagnols, Charles Quint autorise le commerce d’esclaves en Afrique à destination de l’Amérique. Il y eut cependant des rois pour condamner clairement l’esclavage, notamment Sébastien Ier du Portugal en 1570. Il y eut également quelques personnalités laïques comme le capitaine portugais Fernao de Oliveira dans son livre Arte da Guerra de mar en 1534.

La pratique de l’esclavage se perpétue au XVIIe siècle et s’étend à d’autres puissances coloniales européennes, notamment la France. En 1642, Louis XIII l’autorise dans les Antilles. Très vite, se fait ressentir la nécessité de légiférer. Promulguée par Louis XIV en 1685, l’ordonnance élaborée par Colbert peu avant sa mort et qui porte le nom de Code noir constitue la principale législation au sujet de l’esclavage. Actuellement considéré comme choquant puisqu’il institutionnalise et légitime l’esclavage dans la société coloniale française, il constitue cependant un relatif progrès dans le contexte de son époque car il établit des règles à respecter de la part des maîtres : respect du repos dominical, nourriture décente, soins aux infirmes, limites dans le tarif des peines applicables. Surtout, l’esclave a la possibilité d’attaquer son maitre en justice en cas de non respect de ses obligations. Mais l’éloignement entre les colonies et la métropole rend difficile l’application de ces règles qui sont souvent bafouées.

Au XVIIIe siècle, l’esclavage se poursuit et atteint même son apogée. Après 1715, il constitue la principale source de travail de la culture des produits tropicaux (coton, café, sucre) et fait la fortune d’armateurs, notamment ceux de Nantes, Bordeaux, La Rochelle et Le Havre. En 1724, le Code noir est révisé dans un sens plus restrictif pour les conditions d’affranchissement. Selon Serge Daget, six millions de noirs seront déportés d’Afrique aux Amériques dont 2,5 millions par les Anglais, 1,7 million par les Portugais, 1,1 million par les Français et 800 000 par les Hollandais.

Dans ce contexte, bien peu parmi les autorités civiles et les élites songent à combattre l’esclavage en tant que tel. Si certains philosophes des Lumières critiquent cette pratique (surtout Montesquieu avec L’esprit des lois), pratiquement aucun ne réclame son abolition et certains en profitent même occasionnellement en plaçant de l’argent dans les colonies (Voltaire). Ce n’est qu’en 1788 que l’on voit la constitution de la première organisation ouvertement abolitionniste, La Société des amis des nègres de Brissot, tandis que Condorcet publie la même année ses Réflexions sur l’esclavage des nègres. En 1790, à l’Assemblée constituante, cette société réclame l’abolition mais le nouveau régime révolutionnaire n’est guère pressé de franchir le pas. Il ne le fera qu’en février 1794, afin de rallier les noirs à la cause révolutionnaire en vue de la guerre contre l’Angleterre.

Cette abolition est de courte durée. En mai 1802, Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, rétablit l’esclavage dans les îles. Cette mesure provoque notamment l’insurrection de Haïti, que la France perdra. Si ce fait est très connu, beaucoup moins l’est le fait que le même Napoléon promulgua une interdiction de la traite lors de son bref retour des Cent-Jours en 1815. Les deux mesures furent prises pour des raisons d’intérêt stratégique (rallier les planteurs blancs pour la première, rassurer l’Angleterre pour la seconde), mais le mouvement est lancé.

La restauration confirme l’interdiction de la traite et pourchasse les contrebandiers avec l’Angleterre (celle-ci a interdit la traite en 1807). Au congrès de Vienne de juin 1815, les puissances européennes ont réaffirmé leur volonté de combattre les traites négrières. La marche de l’abolition commence. La monarchie de Juillet va l’affermir. En mars 1831, Louis-Philippe promulgue un champ de sanction plus efficace contre les négriers. En 1832, la taxe frappant les affranchissements est supprimée. En 1833, la marque physique des esclaves est interdite. En 1840, ils reçoivent un état-civil. En 1843, l’île Mayotte devient française et l’esclavage y est aussitôt aboli. En 1845 et en 1846, de nouvelles ordonnances prévoient l’abolition de l’esclavage, sans fixer de calendrier. Mais le régime est pris de court par la Seconde République. Celle-ci décide l’abolition de l’esclavage en mars 1848 par l’action de Victor Schœlcher. L’Angleterre l’avait déjà fait en 1833. Suivront le Portugal, les Pays-Bas, les États-Unis, l’Espagne et le Danemark.

On peut donc constater que, même si l’institution n’est pas remise en cause en tant que telle à l’époque, un débat se fait déjà jour quant à son application et sa moralité parmi les souverains chrétiens. Et surtout, que c’est l’Occident qui l’a aboli spontanément et a combattu la traite. Le débat sur l’esclavage est aussi très souvent lancé par les autorités religieuses…

Suite mardi 4 juin à 13h30 sur Nouvelles de France !

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76 Comments

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  • 0 / 10
  • limone , 4 juin 2013 @ 13 h 05 min

    alors là ,oui c’est du coq à l’âne , car je ne comprends pas ce que cela vient faire là !!dommage

  • geromino51 , 4 juin 2013 @ 13 h 57 min

    merci à Eurydice, quelle belle culture !

    brièvement, faire le procès de l’esclavage, quel que soit le les lieux, les territoires, les continents, les hommes, c’est contribuer à réécrire l’histoire de l’humain comme de l’in-humain ! Plonger dans le passé, c’est ramener à notre conscience tout le mal qui a pu se répandre sur notre planète comme une maladie honteuse et dévastatrice. Mais aujourd’hui, et pour ce qui nous préocuppe au quotidien, sommes-nous pas les nouveaux esclaves des politiques ! Sous quels autres auspices pouvons-nous vivre quand on se rend compte que la démocratie est un leurre qui ne profite qu’à ceux qui nous gouvernent.

  • françois preval , 4 juin 2013 @ 14 h 06 min

    @ heb,

    C’est toujours étonnant de voir l’aplomb et l’assurance des petits idéologues incultes si sûrs d’eux et donneurs de leçons!

    Puisque vous aimez les chiffres, relisez l’article: c’est en 1794 que la France a aboli une prmeière fois l’esclavage, soit dix ans avant Haiti. Et j’ai bien précisé la part d’intérêt de cette mesure. Mais peut être avez-vous des lacunes en lecture!

    Que ne ferait-on pas pour accabler la France!

    Et sinon, le CRAN paie bien?

  • Gérard Couvert , 4 juin 2013 @ 14 h 15 min

    Faux, le sort des esclaves dans le monde hellénique et le monde romain est assez différent.
    A Rome des Lois vont restreindre les droits des maitres -sauf il est vrai pour les esclaves publics dans les mines entre autres, dont le sort semble épouvantable-.
    D’autres Lois vont aussi restreindre le nombre d’esclaves que l’on pouvait affranchir, preuve que ce nombre provoquait un déséquilibre social.
    Enfin on ne compte pas le nombre d’esclaves ayant “réussis” dans l’Empire et à la fin de la République.

    Sinon ce que j’écrivais de l’esclavage musulman était bien sur dit pour provoquer les réponses postées. Une à été oubliée : le rôle des armées d’esclaves noirs dans les conquêtes ou les mises au pas des peuples soumis ; il en reste un exemple au Maroc avec la “garde noire”.

  • kanjo , 4 juin 2013 @ 14 h 32 min

    il a de nouveau été aboli avant la première guère du Golf, puis de nouveau avant la seconde guère du Golf…
    et il sera de nouveau aboli la prochaine fois que l’Arabie aura besoin de l’Amérique,
    Sur le papier seulement, cela va sans dire

  • gaston , 4 juin 2013 @ 14 h 34 min

    je viens de lire la série de commentaires et je suis obligé d’intervenir pour répondre à Manish…
    Il n’y a dans tout ce que j’ai lu aucune volonté de minimiser la responsabilité des pays occidentaux dans l’esclavage aux “colonies” il y a surtout une mise au point. Je crois qu’il faut toujours chercher un ou des responsables.
    Il y a une comparaison à faire entre les esclavages:
    l’esclavage dans les ex-colonies chrétiennes a permis à des esclaves de survivre dans des conditions abominables parfois, mais ils ont eu la liberté de “se reproduire” et donc d’être suffisamment nombreux aujourd’hui pour s’en prendre aux descendants des “esclavagistes”…pas un seul ne s’en prend à ceux qui les ont vendus aux “blancs”…ces marchands de l’île de Gorée et de toute la côte africaine étaient des noirs ou des musulmans.

    l’esclavage dans les pays musulmans était tout autre d’ailleurs les noirs sont toujours “abd” c’est à dire esclave…et comme les hommes étaient à 99% castrés ils n’ont pu donner de descendants qui pourraient revendiquer…à savoir qu’en 1911 le roi du Maroc avait fait entrer 12000 esclaves noirs en provenance des pays du Sahel ( on trouve ce renseignement dans toutes les archives qui traitent du sujet et SM Hssan II l’avait lui même dit au cours d’un entretien télévisé en 1971…)
    Alors je voudrais qu’un jour le CRAN (immaginez qu’on créée le CRA…B B pour Blanc on serait les pires racistes du monde) je voudrais entendre les représentants du CRAN s’en prendre à TOUS les esclavagistes…ce serait tellement plus JUSTE

  • gaston , 4 juin 2013 @ 14 h 47 min

    attention Manson, l’Afrique n’est pas QUE noire, il y a de tous temps eu des peuples non noirs.
    Les Numides qui occupaient ce qu’aujourd’hui on appelle le Maghreb, étaient blancs de peau et se sont très vite mélangés avec les Carthaginois autres blancs originaires d’Asie mineur ( Liban actuel) et avec les grecs comme avec les romains, les ibères, vandales et autres envahisseurs. Les égyptiens étaient aussi un peuple à peau blanche bien que hâlée par le soleil.
    L’Afrique que l’on dit noire est en fait originairement localisée au sud du Sahara.
    Quant à réserver l’Afrique aux seuls “noirs” serait un acte aussi répréhensible que de réserver l’Europe aux seuls peuples blancs…il ne peut y avoir deux poids et deux mesures si l’on veut rester “honnête”

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