À salaire minimum, chômage maximum

En cette fin d’année dernière, retour en force du salaire minimum : en France, le traditionnel débat sur « le coup de pouce » donné au SMIC refait surface. En Allemagne, qui n’avait pas de salaire minimum étatique, Angela Merkel a dû céder du terrain, car la création d’un salaire minimum a été la condition posée par les sociaux-démocrates pour une grande coalition. Dans tous les cas, c’est oublier que le marché du travail est un marché et que le salaire est un prix : instaurer un prix bloqué, c’est introduire des déséquilibres. Et sur le marché du travail, le déséquilibre s’appelle chômage.

Le salaire est un prix

Pour la plupart des Français, l’existence d’un salaire minimum légal semble aller de soi. Le SMIC existe chez nous depuis 1970 (sous Chaban-Delmas), date à laquelle il avait remplacé le SMIG qui, lui, remontait à 1950. Tout cela s’inscrit dans la logique d’un État jacobin et colbertiste, qui décide de tout au niveau politique central. D’autre part, on nous a bien expliqué que le SMIC était une question de « justice sociale ». Qui pourrait s’y opposer ?

N’en déplaise aux inconditionnels de la justice sociale (que personne n’a jamais réussi à définir), il existe bien un marché du travail , c’est-à-dire la rencontre d’une demande de travail (par les entrepreneurs) et une offre de travail (par les employés). S’il y a une offre et une demande, il y a un prix et ce prix c’est le salaire, ou le coût salarial, incluant salaire et charges sociales. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais sur un marché, il n’existe pas d’autre indicateur de rareté ou d’abondance que le prix, ici le salaire. Bien évidemment la qualification du travail entre en ligne de jeu, mais elle est intégrée dans l’offre et la demande d’un certain type de travail, donc dans le prix.

Un faux prix du travail égale chômage

Un salaire minimum fixé par l’État est assimilable à un faux prix, au sens de Jacques Rueff, c’est-à-dire à un prix différent de celui que le marché aurait donné spontanément. En effet, si le SMIC est fixé au niveau qu’aurait donné le marché, il ne sert à rien. S’il est fixé au-dessus, c’est un faux prix. Tout prix entraîne des réactions : avec un prix fixé à un niveau supérieur à celui du marché, l’offre augmente et la demande diminue : il y a donc plus de travailleurs prêts à s’embaucher à ce niveau de salaire élevé et moins d’entreprises capables d’embaucher à ce niveau-là. Plus de demandes et moins d’offres d’emplois : c’est le chômage assuré. Le simple raisonnement est confirmé par l’observation des faits : le SMIC crée du chômage.

Où est alors la « justice » ? Les travailleurs semblent mieux payés, mais à ce niveau de salaire ils ne trouvent pas d’emplois. Le salaire est élevé, mais l’emploi est rare.

Le chômage des moins qualifiés

Il est d’autant plus rare que la qualification des salariés est faible. En effet, le SMIC a un double effet catastrophique : il écrase l’éventail des salaires et il exclut les emplois modestes appelés encore « petits boulots ».

L’éventail des salaires est d’autant plus écrasé que le SMIC est à un niveau plus proche du salaire médian. Avec un SMIC élevé, une entreprise qui a le choix entre surpayer un travailleur A non ou peu qualifié et embaucher pour quelques euros de plus un travailleur B très qualifié va opter pour B. Comparativement le travail qualifié est devenu moins cher.

Mais pourquoi A ? Parce que la qualification est faible. Gary Becker, prix Nobel d’économie, explique le volume élevé du chômage européen par la moindre qualification des travailleurs. Un SMIC élevé les dissuade de se qualifier : le coût d’une formation ou d’une adaptation leur paraît élevé par rapport au maigre supplément de salaire que cela leur rapporterait (surtout avec une fiscalité progressive).

D’autre part, le SMIC établit une barrière à l’entrée sur le marché du travail, surtout pour les jeunes et le personnel féminin. Un jeune qui veut amorcer une carrière serait sans doute prêt à accepter un faible salaire, en rapport avec sa faible productivité de départ. Il pourrait ensuite espérer une meilleure rémunération parce qu’il aurait acquis expérience et qualification. Mais cela lui est interdit en France, on préfère l’aumône d’un « emploi aidé » : le contribuable paiera ce que l’entreprise ne pourra pas donner. Mais sur quoi va-t-on déboucher à terme ?

Les niveaux de SMIC

Si le salaire minimum pouvait être fixé arbitrairement à n’importe quel niveau, on ne voit pas pourquoi il y aurait des divergences entre les SMIC européens. 1 502 euros bruts en France, mais 1 874 au Luxembourg, 1 190 en Angleterre, 753 en Espagne, 566 au Portugal, 369 en Pologne, 285 en Lettonie, 179 en Roumanie ou 159 en Bulgarie, etc.. Pourquoi les Bulgares ou les Roumains ne fixent-ils pas leur salaire minimum à 1 000 ou 1 500 ? Parce que la plupart de ces pays, même s’ils ont adopté un salaire minimum, savent qu’un niveau sans aucun rapport avec la réalité économique et la productivité des travailleurs ferait exploser le chômage. C’est pour cela que dans de nombreux pays, le SMIC est fixé à un niveau très bas, comme une « voiture balais » pour limiter au maximum les effets pervers.

La France et ses « coups de pouce »

En France non seulement on tient au SMIC, mais encore on croit que sa fixation est un problème politique, dépendant de la « générosité » du gouvernement. Le SMIC ne dépend pas de l’état du marché du travail, mais d’une règle administrative : son augmentation correspond « au minimum à l’inflation constatée l’année précédente sur la base de l’évolution de l’indice des prix à la consommation pour les ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé, hors tabac, plus 50 % de l’augmentation du pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier (SHBO) ». Formule magique !

Mais la générosité du gouvernement peut s’exercer grâce à des « coups de pouce » dont le montant et l’opportunité dépendent d’un groupe d’experts. L’actuel gouvernement a changé la composition du groupe d’experts, avec des experts plus « sociaux ». Résultat ? Ils ont recommandé de ne pas donner de coup de pouce ! « Il serait peu raisonnable de prendre le risque d’aggraver encore une situation difficile notamment pour les demandeurs d’emplois au niveau du SMIC ». Car « le SMIC est aujourd’hui très nettement au-dessus des niveaux constatés dans les autres pays de l’OCDE ». Si les experts « de gauche » le disent, ce doit être vrai… Autant dire clairement que le SMIC français crée du chômage.

Et l’Allemagne ?

Voilà pourquoi certains pays ont refusé l’idée d’un salaire minimum. L’Allemagne considérait que le salaire devait être libre ou librement négocié par les partenaires sociaux, branche par branche, pour tenir compte des réalités. Mais les sociaux-démocrates (SPD) avaient fait du salaire minimum le point central de leur campagne électorale et la condition d’une grande coalition avec la CDU/CSU d’Angela Merkel. Celle-ci a dû céder, avec un manque d’enthousiasme visible : « Nous allons décider des choses que, au vu de mon programme, je ne considère pas comme justes, parmi elles un salaire minimum généralisé ». C’est la politique qui a primé, la peur d’une Allemagne non gouvernable : les salariés allemands en paieront le prix par un chômage plus élevé. Mais le niveau du SMIC horaire sera inférieur d’environ un euro au nôtre et certaines catégories y échapperont : les effets pervers seront moindres qu’en France.

> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS

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14 Comments

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  • eljojo , 3 janvier 2014 @ 13 h 04 min

    Je crains que votre position soit erronée, car la course à la compétitivité salariale est sans fin, et nous ne serons jamais au niveau des chinois.

    D’autant que si tout le monde baisse ses salaires, la compétitivité relative reste la même, alors que le pouvoir d’achat diminue.

    Non, la cause du problème, c’est que nous profitons des bas coûts des pays en développement, et nous en payons le prix sur notre propre production.

  • baldag , 3 janvier 2014 @ 18 h 19 min

    Si la “justice sociale”, chère au PS est juste, alors le SMIC est injuste car il a entraîné la disparition de millions d’emplois en France. Ce sera le même programme pour l’Allemagne encore que, prudente, madame Merckel a accepté cette idée à minima. Du point de vue justice on fait mieux : aider certains en mettant en l’air l’emploi de l’autre, merci bien. Nos syndicats et gens de gauche ont une curieuse idée de la “justice sociale”. Il suffit de regarder la disparité de traitement entre public et privé, oeuvre de CGT et FO, et aussi la disparité de traitement entre les diverses branches de la fonction publique
    Le SMIG devrait être indexé non sur le coup de la vie, mais sur la compétivité des entreprises moyennes.

  • xanpur , 3 janvier 2014 @ 21 h 01 min

    Très joli discours de quelqu’un qui n’est pas, lui, payé au SMIC (loin s’en faut) et qui devrait peut-être se confronter aux réalités du marché du travail avant d’en parler si doctement

  • eljojo , 3 janvier 2014 @ 21 h 43 min

    Le problème de votre stratégie, c’est que nous ne serons jamais compétitifs avec les chinois, et que nous y perdrons donc toujours.

  • Kanjo , 3 janvier 2014 @ 23 h 30 min

    Si, la course aux bas salaires a une fin, car les employeurs ont besoin de personnes solvables à qui vendre leurs produits. Ford disait que son meilleurs investissement avait été d’augmenter les salaires (pour que ses ouvriers achètent chacun une auto). Le problème, avec la mondialisation, c’est que certains pays pratiquent le dumping social, quand ce n’est pas carrément des situations d’esclavage ou assimilées. Le second problème, c’est que certains pays (dont la France), appliquent des prélèvements sociaux exorbitants, ne laissant que peu aux salariés même si les employeurs payent bien.
    Or ils n’est pas normal que, par exemple, les salariés soient les seuls à payer la sécurité sociale si tout le monde en profite, de même les allocations familiales et sociales.
    En fait, il n’y a que l’indemnisation de la perte de salaire en cas de maladie, de chômage ou de retraite qui devrait être payée par les salariés, toutes les autres cotisations devraient être à la charges des contribuables, pas des salariés. ça serait à la fois plus juste et moins gênant pour l’emploi.

  • eljojo , 4 janvier 2014 @ 12 h 58 min

    Je suis bien d’accord avec vous, mais tant que nous ne lutterons pas contre le dumping social asiatique, nos salaires ne seront jamais compétitifs.

  • Matin Calme , 12 février 2014 @ 11 h 08 min

    beaucoup de commentaires assez pitoyables de gens qui ne connaissent pas le SMIC.
    Avec le SMIC vous ne pouvez rien faire. Avec moins, bonjour le bidonville.
    Evidemment, si on part du principe que pour que la france vive heureuse et prospère il faut y créer l’équivallent des favellas brésiliennes ma foi pourquoi pas.
    Pour l’ensemble de mes collaborateurs, entre bac +2 et bac +5 au smic, le logement, la nourriture, les déplacements sont un problème quotidien.

    Si pour ma part je suis au dessus, ce n’est guère plus réjouissant et je suis toujours qu’au revenu médian des français. Avec un bac +5, aucune reconnaissance, et évidemment une consommation réduite à sa plus simple expression.

    Que le Smic ai un effet mécanique sur le chômage n’est même pas avéré. Ou plutôt si. Il est évident que si seuls 1 à 5% de la population a les moyens de s’acheter autre chose que le strict minimum vital, la balance commerciale ne pourra qu’être très positive. Les autres ne faisant que s’acheter à manger et n’ayant pas les moyens d’acheter quoi que ce soit effectivement les importations ne pourront mécaniquement que baisser.
    Pas sûr toutefois que les 95 à 99 % ne soient pas légèrement contrariés d’être traités de sous hommes inutiles et d’être condamnés à regarder vivre les autres.

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