Monsieur A, entrepreneur, a besoin de capitaux pour développer XXX Inc, la petite entreprise qu’il a fondée. Il se résout donc à procéder à une augmentation de capital de 100 actions qu’il pense pouvoir placer à 1 euro l’une. Si tout se passe bien, il lèvera ainsi 100 euros et restera, avec ses 101 actions, l’actionnaire majoritaire de son entreprise.
Deux fonds d’investissement, le fonds X et le fonds Y, manifestent leur intérêt. L’un comme l’autre sont dotés d’un capital de 100 euros et sont à la recherche d’investissements pour le compte de leurs clients. Après moult discussions, le fonds X décide d’acquérir 20 parts tandis que le fonds Y souscrira aux 80 parts restantes.
Monsieur A a donc procédé à son augmentation de capital qui a gonflé les fonds propres de son entreprise de 100 euros. À l’actif du fonds X, nous avons donc 20 actions XXX Inc d’une valeur unitaire et de 1 euro et 80 euros de trésorerie. À l’actif du fonds Y, nous avons 80 actions à 1 euro l’une et 20 euros de trésorerie. À ce stade, la valeur de marché (la capitalisation boursière) de XXX Inc est donc de 201 euros dont 101 qui restent en possession de Monsieur A et 100 de flottant.
Les affaires se portent bien et le gérant du fonds X commence à avoir des regrets : « mais quel idiot je suis, se dit-il en son for intérieur, pourquoi n’ai-je acheté que 20 titres ? » Il aimerait donc augmenter sa participation. Du point de vue de Monsieur A, une nouvelle augmentation qui viendrait diluer sa part du capital est exclue ; reste donc une seule solution : racheter une partie des actions acquises par le fonds Y.
Seulement voilà : le gérant du fonds Y est loin d’être idiot et lui aussi se rend bien compte que XXX Inc est une petite pépite très prometteuse. Il veut bien céder quelques actions mais pas à 1 euro : maintenant, répond-t-il à son homologue du fonds X, ça va être un peu plus cher.
Après d’âpres négociations, un accord est en vue : le fonds Y accepte de céder 20 actions au fonds X pour la modique somme de 1,5 euro l’unité – soit 30 euros pour l’ensemble. On se serre la main, la transaction a bien lieu.
Du jeu à somme positive
À l’actif du fonds X, nous avons donc maintenant 50 euros de trésorerie (80-30) et 40 actions XXX Inc (20+20) d’une valeur unitaire de 1,5 euro – c’est le dernier prix connu – soit un actif total de 110 euros. Symétriquement, à l’actif du fonds Y, on trouve 50 euros de trésorerie (20+30) et 60 actions (80-20) également valorisées à 1,5 euro l’une ; soit un actif total de 140 euros.
Monsieur A, de son côté, apprend avec plaisir que, sur la base du prix auquel s’est effectuée cette transaction, son entreprise vaut désormais 301,5 euros (201 actions de 1,5 euro l’une) – c’est-à-dire que sa capitalisation boursière vient d’augmenter de 50%.
Tout le monde a gagné. Monsieur A, parce qu’il a bien géré son entreprise, vient de voir la valeur de son patrimoine augmenter de 50%. Le gérant du fonds X – et donc ses clients – ont vu leur capital s’accroître de 10% tandis que son homologue du fonds Y, qui a eu le nez creux, réalise une performance de 40%. Vous aurez beau chercher un perdant dans l’affaire, c’est peine perdue : il n’y en a pas. Cet échange a été bénéfique pour tout le monde.
Bien sûr, si la transaction avait eu lieu à un prix inférieur à 1 euro, la conclusion aurait été exactement inverse : tout le monde aurait perdu. C’est-à-dire qu’en fonction de l’évolution du prix, tout le monde perd ou tout le monde gagne ensemble.
Maintenant, considérons quelques aspects plus techniques des choses.
De la formation des prix
Avant que la transaction entre les fonds X et Y ait lieu, la position de trésorerie consolidée des deux fonds était de 100 euros (80 euros et 20 euros respectivement). Après la transaction, elle est restée identique : 30 des euros du fonds X sont passés dans la trésorerie du Y et les deux fonds se sont retrouvés avec 50 euros chacun. En d’autres termes, le nombre d’euros investis dans le marché n’a pas changé d’un iota ; pas plus que le nombre d’actions négociables – le flottant – : il y en a toujours 100.
Pourtant, la valeur de marché de XXX Inc est passée de 201 euros à 301,5 euro (+50%), le patrimoine personnel de Monsieur A a augmenté de 50,5 euros, l’actif du fonds X a augmenté de 10 euros et celui du fonds Y a gonflé de 40 euros (soit, au total, 100,5 euros – ce qui correspond à l’augmentation de la capitalisation boursière de XXX Inc).
Ces 100,5 euros viennent intégralement de l’augmentation de la valeur de l’entreprise et nous n’avons pas eu besoin d’investir un euro de plus dans le marché pour que cette valeur progresse de 50%. Cet exemple va nous permettre de répondre à une question importante qui amène un certain nombre de commentateurs à dire des âneries : comment les prix montent-ils ?
Vous avez peut-être déjà entendu dire que les prix montent quand il y a plus d’achats que de ventes. C’est bien sûr parfaitement stupide puisque ce qui est une vente pour le fonds Y était un achat pour le fonds X : dès lors, mesurées en nombre d’unités, il y a toujours et forcément autant d’opérations d’achats que de ventes. C’est élémentaire. De la même manière, le nombre de transactions n’a pas non plus d’importance : le fonds X aurait pu acheter 20 fois 1 action plutôt que 1 fois 20 actions ; ce n’est pas pour autant qu’il aurait payé les actions plus cher.
On entend aussi très souvent que les prix montent quand il y a plus d’acheteurs potentiels (ou d’ordres d’achat) que de vendeurs potentiels (ou d’ordres de vente). C’est également faux. Pour qu’un ordre d’achat ou de vente ait une influence sur le prix, il faut qu’il y ait une transaction effective – et donc un nouveau prix – et comme nous venons de le voir, il y a toujours autant de d’achats que de ventes. Vous aurez beau être cinq mille à proposer à votre voisin de racheter sa maison pour un euro symbolique, ça ne lui fera pas baisser son prix pour autant.
Si les prix montent, c’est parce que les vendeurs pensent qu’ils peuvent vendre à un prix supérieur au dernier cours connu (i.e. la dernière transaction) et parce qu’ils ont raison : en effet, il se trouve des acheteurs – comme le fonds X – qui acceptent de payer plus cher. Symétriquement, les prix baissent quand les vendeurs sont prêts à brader leurs titres et quand il existe des acheteurs prêts à les leur racheter pourvu qu’ils baissent leurs prix de vente. C’est aussi simple que ça : les prix fluctuent en fonction de ce que les gens pensent que ça vaut.
De celui qui sait qu’il ne sait pas
Dès lors, sans que les actionnaires des fonds X et Y ne rajoutent un centime au pot, le cours de l’actions XXX Inc peut monter jusqu’à 100 euros. Démonstration : le fonds X décide d’acquérir une action supplémentaire et est prêt à la payer 50 euros (toute sa trésorerie) ; puis, le fonds Y (qui dispose maintenant de 100 euros de trésorerie) rachète cette action à 100 euros. Dans cette hypothèse peu probable mais techniquement possible, il y aurait toujours 100 euros de trésorerie (dans les caisses du fonds X), la société XXX Inc vaudrait 10 000 euros mais son cours aurait atteint un plafond égal à la quantité totale de trésorerie disponible.
Ce que cet exemple illustre, c’est les cours peuvent tout à fait monter dans des proportions spectaculaires sans que personne n’investisse un euro de plus dans le marché. C’est possible parce que le prix d’une action – donc la capitalisation boursière de l’entreprise ou celle d’un indice boursier – c’est le prix de la dernière transaction connue.
Bien sûr, lorsque le fonds X achète ses 20 actions à 1,5 euro, vous pouvez penser qu’il se trompe, qu’il paye un prix trop élevé ; vous avez le droit d’estimer que XXX Inc ne vaut pas vraiment 301,5 euros. Mais gardez bien à l’esprit que la valeur d’une entreprise dépend exclusivement de sa capacité à générer des profits dans le futur et que le futur, ni vous, ni le gérant du fonds X ne le connait. Il a son estimation, ses scénarios ; vous avez les vôtres et si ça se trouve, c’est lui qui finira par avoir raison (il va gagner beaucoup d’argent et pas vous).
Soyez humbles. Partez toujours du principe qu’il y a quelqu’un, de par le vaste monde, qui en sait plus que vous et que sur des marchés où, tous les jours, des centaines de milliers d’investisseurs éduqués et formidablement bien informés prennent des décisions d’investissement, celui qui dit que « le marché est irrationnel » a bien des chances de se tromper.
> le blog de Georges Kaplan (Guillaume Nicoulaud)
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