Tribune libre de Christian Vanneste*
En 1992, Francis Fukuyama avait annoncé le règne universel de la démocratie libérale. Jean Baechler avait en 1999 affirmé que la démocratie était le régime naturel de l’espèce humaine et n’hésitait pas à en situer l’origine au paléolithique supérieur. Autrement dit, la démocratie tiendrait sa légitimité par les deux bouts de l’histoire. Cette vision idyllique des relations entre l’Humanité et la démocratie ne résiste pas à la réflexion.
D’abord, l’auteur de La Fin de L’Histoire et Le Dernier Homme fait coïncider l’avènement universel de la démocratie avec la fin des idéologies. Or, qu’est-ce qu’une idéologie, si ce n’est un discours formulant des idées, des valeurs, une vision du monde à partir de présupposés liés à la situation historique, sociale, politique de celui qui le tient, un discours relatif, partiel et partial, quelquefois à l’insu même de son auteur ? L’idéologie n’est pas la science, mais son contraire et c’est d’ailleurs ce qui la rend inséparable de la démocratie dans la mesure même où ce régime repose sur une double liberté : la liberté d’expression, qui garantit le pluralisme et la liberté d’action qui permet aux gouvernants légitimes d’opérer des choix. Les années 90 ont vu l’effondrement du totalitarisme marxiste et cette « idéologie » démocratique est une projection de cette époque et des milieux qui ont imaginé à ce moment que leur victoire était définitive.
“Comme le disait Maritain, la démocratie est avant tout morale et exige, osons le mot, cette Vertu dont parlait Montesquieu !”
Jean Baechler, quant à lui, définissait la démocratie comme “le régime politique où toutes les relations de pouvoir sont enracinées dans ceux qui obéissent et qui acceptent de le faire parce qu’ils jugent de leur intérêt bien compris d’obéir aux ordres énoncés par des individus qu’ils estiment compétents pour conduire à leur terme des entreprises collectives. » Obéissance et compétence sont donc les piliers inséparables de la démocratie… Il aurait fallu dénommer le fronton qui réunit ces colonnes : la confiance ! L’euphorie qui a suivi 1945 à l’Ouest et 1989 à l’Est est aujourd’hui retombée. Ceux qui ont connu les Trente Glorieuses ont subi l’illusion de Chantecler en croyant que les politiciens de l’époque étaient les artisans de la croissance. Non. Ils en étaient les fossoyeurs en dilapidant les acquis de la croissance dans un État-providence et un hédonisme laxiste qui ont, à la fois, étouffé les motivations et asséché les bénéfices de cette époque exceptionnelle. Aujourd’hui, l’inefficacité des politiciens les condamne à un zapping permanent. Abstention, alternance, extrémisme, indignation, contestation : soit par des actions extérieures au jeu politique, soit par un éloignement à l’égard des partis réputés responsables, les citoyens des démocraties européennes n’ont plus confiance et se lassent d’obéir à des dirigeants dont l’incompétence apparaît sans cesse plus clairement. Des élus manifestement épris d’eux-mêmes se complaisent dans un ballet dont ils sont seuls à comprendre la chorégraphie, et sont de moins en moins conscients du fossé qui se creuse avec l’opinion. Cela n’est pas nouveau. La totale ineptie des Chamberlain, des Daladier, incapables de percevoir les enjeux au-delà de l’effet de leurs décisions sur l’opinion publique, souvent circonscrite au climat du milieu parlementaire est la grande responsable de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale.
“J’étais présent, il y a quelques mois, à Beyrouth pour une rencontre organisée par le Parlement européen sur l’avenir des chrétiens du Moyen-Orient. Il n’y avait aucun parlementaire européen français.”
Il est plus que temps d’en finir avec l’illusion de la démocratie universelle. Dans nos sociétés, celle-ci est bien malade, parce qu’on semble avoir oublié que, si la confiance est essentielle pour ce type de régime, alors, comme le disait Maritain, la démocratie est avant tout morale et exige, osons le mot, cette Vertu dont parlait Montesquieu ! Les médias apprécient les malins, commentent la qualité de la pub, se nourrissent des « affaires » mais s’ennuient et baillent devant l’honnêteté ou le courage.
La légèreté des jugements, l’absence de réflexion, la sélection arbitraire de l’importance des faits sont les notes dominantes. Par exemple,on a salué dans certains pays arabes et musulmans les révolutions qui font tomber les dictatures nées du nationalisme arabe, mais sans évaluer le risque d’un totalitarisme religieux. La présence chrétienne est dans certains de ces pays le signe d’un pluralisme, générateur de démocratie. J’étais présent, il y a quelques mois, à Beyrouth pour une rencontre organisée par le Parlement européen sur l’avenir des chrétiens du Moyen-Orient. Il n’y avait aucun parlementaire européen français. Cette absence trahit à la fois l’état de notre démocratie et le contre-sens que beaucoup commettent sur la démocratie dans le monde et sa prétendue domination universelle.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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