Tribune libre d’Aristide Leucate*
Alors que la loi Taubira sur le « mariage » homosexuel est en passe d’être adoptée, avant une saisine plus que certaine du Conseil constitutionnel aux fins de contrôle de conformité/compatibilité de la loi à la Constitution, il est temps de dresser un bilan d’étape. Il est plus que contrasté, voire relativement peu satisfaisant. À moins que, l’Histoire étant riche d’imprévus par définition, la grande manifestation nationale du 26 mai prochain emporte tout sur son passage, y compris le gouvernement actuel. Précisons qu’il y aura aussi, entre-temps, le 1er mai et ses traditionnels cortèges sociaux ainsi qu’une autre manifestation le 5 mai où les partisans de Mélenchon croiseront les opposants au « mariage » des paires. Tous ces rendez-vous sont porteurs de potentialités d’un grand renversement.
Il n’empêche que l’on peut sérieusement se mettre à en douter, sans pour autant verser dans le désespoir politique, une sottise absolue. En ligne de mire, l’UMP. Ce très lointain (moins par sa distance historique que par sa volte-face idéologique et sa soumission au politiquement correct) héritier du « gaullisme » n’est visiblement pas à la hauteur des enjeux. Certes, on notera la présence active, sans désemparer, de députés comme Mariton, Le Fur, Meunier, Jacob, Gosselin ou Poisson, et une poignée d’autres, au sein des diverses manifestations et rassemblements populaires pacifiques de ces dernières semaines. Ils ne constituent, hélas, qu’un pâle écran de fumée masquant à peine les grandes manœuvres politiciennes qui préludent aux élections municipales de l’an prochain où la « droite » espère rafler la mise (comme en 1983). Ces francs-tireurs, certains très sincères dans le combat qu’ils mènent pour un modèle familial, certes très malmené par la pratique banalisée des divorces et des recompositions nombreuses, mais reposant sur le donné socio-anthropologique universel de l’union d’un homme et d’une femme, sont habilement manipulés par les cadres de leur parti. Ils rentrent, en effet, dans la stratégie « copéiste » de récupération électoraliste du mouvement, la « Manif pour tous », justement dénoncée par Marion Maréchal-Le Pen. La grande majorité des cadres de l’UMP instrumentalisent un mouvement populaire qu’ils réduisent abusivement, mais à dessein, au soulèvement d’un improbable peuple de « droite ». Pourtant, on ne sache pas, par exemple, que les musulmans qui rejoignent les rangs des manifestants, soient particulièrement de/à « droite »… (ces derniers ont, d’ailleurs, dans leur immense majorité, voté pour François Hollande). Cette stratégie à courte vue est attestée par les propos échangés lors du dernier bureau politique de l’UMP (17 avril). Hormis l’ancien frontiste, Guillaume Peltier, qui s’est prononcé en faveur de l’abrogation pure et simple de la future loi Taubira, une fois l’UMP revenue aux affaires, Copé militait, lui, pour l’« union civile » des invertis, tandis que Fillon proposait non moins audacieusement, de « réécrire le texte sur la question de l’adoption, la PMA », la palme du lâche renoncement revenant à l’ancien ministre de l’Education au « genre », Luc Chatel, déclarant qu’il n’était « pas favorable à l’idée de revenir sur ce texte une fois au pouvoir ».
À aucun moment, les dirigeants de l’UMP n’ont su (ou voulu) sublimer cette inutile (et dérisoire (1)) question sociétale en véritable problème social de fond : chômage exponentiel, dette publique abyssale, désindustrialisation constante, rupture du lien social. Par cette absence cynique d’imagination, l’UMP irénique et la plupart de ses cadres acculturés, se condamnent durablement à demeurer la droite la plus c… du monde. Las ! Si Hollande divise assurément le pays par son entêtement imbécile, il en est de même d’une pseudo-droite hémiplégique qui tente piteusement de ramasser sa légitimité, perdue un certain 6 mai 2012 dans les poubelles de l’Histoire, mais tout en restant obstinément sourd à une frange du pays réel qui n’a voté ni pour elle, ni pour la coalition rose-rouge-verte. L’exaspération nous gagne quand on entend ces têtes à claques, répéter en boucle qu’ « ils ne feront pas d’alliance avec l’extrême-droite ». C’est, d’une part, n’avoir rien compris au piège de l’isolation diabolique tendu par Mitterrand en son temps. C’est, d’autre part, être paresseux ou stupide (les deux vont parfois de pair) que de persister à voir le FN de Marine Le Pen, comme le ventre brechtien, toujours fécond, de la Bête immonde. Bref, cette fausse droite, avec laquelle le mouvement souverainiste SIEL de Paul-Marie Coûteau, s’épuise en vain, à nouer des alliances, est littéralement en dessous de tout. Avec une telle opposition, la majorité socialiste n’a pas besoin d’alliés. Le député, Jacques Bompard, prévenait que « tant que l’UMP et le FN n’auront pas compris que face à l’Union des gauches, il faut une Union des droites, ces deux partis s’interdisent toute certitude de victoire et abandonnent à la gauche des milliers de communes, des dizaines de départements et de régions, sans même parler de la présidence de la république ». Vox clamantis in deserto…
Ce « printemps français », ressemble davantage à un slogan qu’à une volonté réelle de « turbuler » le système. Que Frigide Barjot en appelle, maintenant, à présenter des listes « Manif pour tous » aux prochaines municipales, alors qu’elle se désolidarise ouvertement d’une nécessaire tactique de durcissement du ton (initiée, entre autres, par Béatrice Bourges), qu’elle interpelle même le Ministre Valls en vue d’emprisonner des militants identitaires et qu’elle s’aplatie en reptation, cette « dhimmi », devant les Frères musulmans de l’UOIF, etc., est symptomatique d’une incapacité intellectuelle de ces suffragettes au petit pied, ainsi que de leurs épigones, à saisir par les cheveux cette occasion historique unique (avant longtemps) d’un mai 68 à l’envers. Les insurrections transpartisanes qui émaillent notre pays depuis quelques mois, sont comme les petites mèches des dynamites d’une profonde résistance à l’oppression. Elles ne demandent qu’à être allumées. Est-ce se livrer à une apologie du coup de force que d’affirmer cela ? Assurément non, sauf à supposer que le peuple où une section émanant de lui, parvienne à créer les conditions exceptionnelles (au sens de Carl Schmitt) qui feront de lui le souverain, à savoir… ce qu’il a toujours été. Ainsi, cette notion de résistance à l’oppression, devient l’ultima ratio d’un peuple qui n’est plus lui-même dans la mesure où ses représentants lui dénient sa souveraineté, c’est-à-dire, sa capacité à délibérer des affaires de la Cité, est-elle franchement opérationnelle ? La confiscation de la parole démocratique constitue une forfaiture, infraction gravissime dans le champ constitutionnel. Le peuple a alors pour lui ce droit naturel d’opposer une légitimité supérieure à celle du pays légal qui s’écarterait, par trop, et de façon réitérée, de la décence commune. Partant, on rejoint Alain de Benoist qui, sur Boulevard Voltaire, faisait grief à Frigide Barjot « d’avoir fait preuve de légalisme excessif et de n’avoir pas compris qu’une manifestation a d’autant moins à respecter la légalité qu’elle entend lui opposer une légitimité. N’ayons pas peur des mots : une manifestation est un acte de guerre politique. On y est appelé à prendre et à donner des coups. En bref, c’est une épreuve de force. Vouloir éviter cette épreuve de force est une faute grave ». En d’autres termes, en restant, béat, au milieu du gué, c’est l’essence du politique qu’on évapore en esquivant stérilement le conflit.
Il suffirait de relire Georges Sorel et d’adapter, mutatis mutandis, les méthodes de la grève générale des masses conduites par une minorité consciente. Mais encore faut-il que cette minorité ne soit pas composée d’opportunistes. Et qu’elle soit, un tantinet, culturellement armée…
*Aristide Leucate est Docteur en droit, journaliste et essayiste.
1. Que l’on nous comprenne bien. Ce qui est dérisoire n’est pas le « changement de civilisation » induit par la réforme Taubira, mais le remous qu’elle suscite, inversement proportionnel à la léthargie de nos concitoyens devant des bouleversements autrement plus graves, tels que leur substitution progressive par des populations extra-européennes ou l’arraisonnement de leurs libertés par un turbo-capitalisme mondialisé qui les tient en état de dépendance perpétuelle.
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