Ce 24 mars, le « copil » de la Manif pour Tous a décidé de frapper un grand coup. Frigide l’annonce dans les médias et Albé le déclare en préfecture : puisque le pouvoir se déshonore, nous irons triompher sur les Champs Elysées, en trois cortèges qui convergeront d’abord vers l’Etoile pour déboucher ensuite sur l’avenue. Gus dirige le cortège Sud qui doit partir de la place Vauban. S’appuyant sur l’expérience de « DRO » il m’affecte un groupe de plus de 150 volontaires « accueil » en jaune et « sécurité » en rouge. Je dois m’occuper de la zone de départ, et me tenir ensuite en réserve. J’étudie attentivement la zone, partage et attribue les missions. Notre rôle sera statique, pendant tout le temps que durera l’écoulement de la foule des présents, et pourra évoluer ensuite. Mais dans les jours précédents, coup de Jarnac : En dépit de la maîtrise que nous avions démontrée le 13 janvier, la préfecture nous refuse les Champs Elysées. Le pouvoir utilise les médias pour faire monter la pression sur les organisateurs : il y aurait une menace d’infiltration de groupuscules, une radicalisation du mouvement. Un fonctionnaire aussi obscur qu’inconnu affirme dans la presse, définitif, que nous n’avons « pas la culture des manifestations ». Sous entendu, nous ne sommes pas crédibles, des amateurs, des boy-scouts. Eux, à la préfecture, ils savent ce que c’est que les manifestations. Ils causent avec les syndicats qui ne représentent qu’eux même et se sont approprié la rue depuis 2 générations. En France, même les manifs se sont fonctionnarisés, et sont réservées à certaines catégories de gens. La sécurité ne peut pas être assurée sur les Champs nous dit-on. Depuis plusieurs jours, des mots d’ordres circulent et sont relayés sur les réseaux : le 24 mars sera le printemps français. On ira sur les champs de gré ou de force. Il y aura un sit-in devant le palais de la présidence. Le gâteau de la Manif pour Tous est devenu très gros. D’un côté, le pouvoir crie au loup. De l’autre certains veulent leur part, voire se taper la cerise.
En quelques heures de travail acharné, les cadres réorganisent tout le dispositif. La manifestation sera « statique » et s’installera au pied de l’arc de triomphe, sur l’avenue de la Grande Armée. Le symbole est fort, et la tentation de faire sauter les barrages comme des bouchons de champagne pour déferler joyeusement sur les champs est dans tous les esprits.
Dans ce nouveau dispositif, une autre mission est attribuée à Gus ; nous allons être « cantonnés » sur l’avenu Foch. En fonction de l’affluence nous sommes susceptibles de recueillir la foule qui refluerait de la grande armée ou tenterait d’accéder aux Champs Elysées par les avenues adjacentes. Nous sommes un peu la variable d’ajustement de la manif, sa réserve générale. Gus me confie le secteur Poincaré. A notre arrivée, quelques barrières sont présentes en haut de l’avenue Foch. Des gendarmes mobiles aussi. Une compagnie CRS est stationnée en bas de l’avenue au débouché de la porte Dauphine, commandée par le commissaire Vincent. Ils sont persuadés que nous remplirons tout juste l’avenue de la Grande Armée et se moquent un peu de nous en voyant ces volontaires positionnés tout au long de l’avenue Foch. Je prends position sur mon secteur qui va de la place Victor Hugo au carrefour Poincaré/Foch. Le secteur est sensible : partout des ambassades, des résidences de luxe, la sortie du parking Foch et les contre allées, où des types manucurés roulent a vive allure dans des bolides de luxe, en se foutant bien que les gays se marient, ou pas.
L’avenue de la grande armée est pleine dès le début de la manifestation. Nous craignons un mouvement de foule : les familles sont à touche-touche. La pression monte. Place Victor Hugo les gens affluent et certains manifestants commencent à vouloir passer malgré le barrage que nous avons mis place. Je dois garder libre cet axe le plus longtemps possible car sinon je risque d’avoir un flux arrivant simultanément de Dauphine et de Victor Hugo qui se heurterait à un reflux de la grande armée pleine à craquer et à une circulation que la préfecture n’a toujours pas coupée. Cela rendrait la situation intenable pour Gus et tout le canton Foch. La compagnie de CRS a fait mouvement sur le haut de l’avenue Foch et s’est installée en interdiction rue de Tilsitt, renforçant les barrages et fermant les passages entre Grande Armée, Foch et Carnot. Je reçois l’ordre radio d’ouvrir le haut de Malakoff, mais je mets plusieurs minutes à comprendre que dans le feu de l’action il y a une confusion, dans l’idée de manœuvre du PC Canton il s’agit de Poincaré. Sur la place Victor Hugo les manifestants s’accumulent ou remontent l’avenue Victor Hugo vers l’Etoile. A 15h nous libérons le passage. Les manifestants envahissent toute l’avenue. Mais la pression continue à monter et les personnes qui s’impatientaient place Victor Hugo de ne pouvoir accéder sont maintenant face aux barrages des CRS de Vincent. Avenue de la grande armée, un groupe a bousculé les volontaires et les gendarmes pour se frayer un chemin vers l’Etoile. Enzo rattrape le coup, forme un cordon et prend l’affaire en mains. Avenue Foch, d’autres veulent en faire autant et cherchent à enlever les barrières pour déboucher sur le rond point de l’arc de triomphe dont on voit qu’il est envahi. C’est à ce moment là qu’un groupe de fonctionnaires effectue une charge sans sommation, sur des femmes, des enfants, des poussettes et des vieillards et commencent à utiliser les gaz. Impossible de savoir si c’est Vincent qui donne l’ordre ou si c’est une initiative personnelle de quelques uns. Ces fonctionnaires semblent fébriles et agissent de manière désordonnée. Certes, il est un procédé habituel en maintien de l’ordre de reprendre sans sommation le terrain perdu. Mais en principe cela se fait aux ordres, d’une manière coordonnée. Face à une foule véritablement agressive et hostile, jamais ces fonctionnaires n’auraient tenté une pareille sortie, sans casque ni équipement en prenant le risque de se voir happés et sévèrement battus. Cette image de charge gratuite sur des manifestants pacifiques, dans une manifestation déclarée, restera tristement emblématique de la journée du 24 mars.
Peu après ces premiers incidents, je reçois l’ordre radio de me porter vers l’endroit ou se déroulent ces incidents et d’opérer jonction avec le secteur de Franz. Difficile de le localiser, nous remontons la contre allée de l’avenue Foch en courant, je donne l’ordre aux volontaires d’accueil de rester en arrière, et je rassemble les volontaires de sécurité, après avoir demandé à ceux qui avaient des protections de les mettre. Je retrouve Franz qui n’a pas l’effectif suffisant pour former un cordon étanche et protéger la foule des réactions incontrôlées des CRS. Nous regroupons nos gars et formons une ligne devant des fonctionnaires de police très nerveux, prêts à en découdre, qui semblent chercher des cibles dans la foule qui les invective. Un policier envoie du gaz dans le dos d’un bénévole, en passant par-dessus son épaule… Parmi les gens présents, des amis, comme Guillaume, des élus locaux, comme Jean René, des enfants comme ceux d’Etienne et Odile, ont été gazés. Peu à peu nous parvenons à créer un espace de quelques mètres pour tenir les gens à distance des jets de gaz intempestifs des policiers. Nous restons ainsi en place jusqu’à la complète évacuation de l’avenue Foch sans que plus aucun incident ne soit à déplorer. Les gens présents garderont longtemps l’amertume de cette journée du 24 mars, de ces Champs Elysées qui leur tendaient les bras et que le pouvoir leur a refusé. Détail amusant, la préfecture demande d’envoyer des volontaires sur les champs Elysées pour gérer le flot de manifestants qui y ont déferlé malgré l’interdiction. Bien entendu c’est refusé par l’organisation : c’est à la fois le constat d’échec de la préfecture et l’aveu que nous étions en mesure de sécuriser les champs…
Ce jour là je repense aux conditions dans lesquelles Camille, ma fille aînée, scolarisée à Paris et vivant avec nous, est tombée gravement malade dans les derniers jours d’avril 2011. Dès que le terrible diagnostic est prononcé, son parâtre, Valetas vient la chercher par surprise à la sortie du lycée, alors que je l’attends moi-même. Ce véritable rapt lui interdit de dire au revoir à personne, ni de prendre ses affaires. Je parviens à la joindre : elle est déjà dans le train. Nous restons en sanglots au téléphone pendant une heure. L’institut Bergonié à Bordeaux entame le traitement contre mon accord, alors que Camille est mineure et qu’elle est soignée dans le cadre d’un protocole de recherche : l’accord des deux parents est absolument obligatoire. Mon propre oncle, s’est rapproché d’un de ses confrères bordelais, beau-frère de Valetas, et l’affaire a été entendue : petite trahison en famille. Choix stupide, alors qu’elle vivait à deux pas de l’institut Curie qui est la référence mondiale de sa maladie, à deux pas de chez nous et de son lycée, et qu’elle sera opérée à trois reprises à Paris. Dans ces maladies rares et gravissimes, chaque patient devient presque un enjeu pour un service spécialisé.
Il y aura un avant et un après 24 mars. Depuis ce jour la popularité du Président de la République ne dépassera plus jamais les 30%. Dans les médias, se met en place un jeu à trois bandes entre le pouvoir et ceux qui voudraient profiter de l’organisation de ces manifs pour se donner plus d’audience qu’ils n’en ont réellement. Le ton change. Les éléments de langage mis en place par les communicants de la place Beauvau ont trouvé une traduction dans la rue. Comme on vous l’a bien dit braves gens, cette poignée « nauséabonde » de manifestants se radicalise et verse volontiers dans la violence. « Ce qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre histoire » selon la formule consacrée de la propagande. J’avais lancé un groupe Facebook et une page internet « homen-fr.org » entre fin novembre et décembre 2012. Au lendemain de ce jour honteux, un groupe de jeunes lance la dynamique ; les « hommen ». Je suis admiratif de leurs actions, qui sont en cohérence avec ce que nous avions imaginé avec quelques copains. Ils se comportent toujours d’une manière à la fois spectaculaire et non violente. Grâce à eux, j’ai même ma petite notoriété : interview dans les Inrocks, au 19h45 de M6 et invitation à débattre par Gabrielle Cluzel sur Radio Courtoisie avec Robert Ménard, Jean Yves Le Gallou et Eric Martin. Ce mouvement a agacé le pouvoir. Aujourd’hui, le blog que j’avais monté a été piraté et n’existe plus…
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