Tribune libre de Côme de Prévigny* pour Nouvelles de France.
Au cours de l’automne, un grand débat national a été ouvert en France : quelle place publique, les catholiques doivent-ils occuper dans la société, notamment dans la culture ? Ce débat était nécessaire tant le long endormissement des élites chrétiennes devenait flagrant, aux dires mêmes de leurs détracteurs. Et ce ne sont pas les fleurs, ni le baiser d’un prince charmant qui ont provoqué ce providentiel réveil, mais le courage des jeunes générations qui ont tout simplement contraint et forcé leurs aînés à s’exprimer. Si elles ne s’étaient pas courageusement agenouillées devant les théâtres, nul n’aurait dialogué au sein de la société. Si elles n’avaient pas pacifiquement brandi une banderole sur scène, le débat national aurait une fois de plus été ajourné.
Bilan d’un automne
Qu’est-ce qui a donc tant marqué l’esprit des Français ? Le contenu de spectacles nauséabonds ? Bien sûr que non. Ce sont les 59 rassemblements devant les théâtres, où, au final, des dizaines de milliers de chrétiens se sont relayés pour témoigner de leur foi. Si, lors des premiers rendez-vous, les autorités civiles déboussolées ont fait embarquer dans des fourgons des centaines de jeunes catholiques, prêtant ainsi le flanc à une critique qui pouvait alors qualifier de violentes ces foules priantes, ces mêmes autorités ont été contraintes de laisser le spectacle initial se manifester : celui de la prière et de la sérénité. Les esprits honnêtes l’auront-ils remarqué ?
Pendant ce temps, alors que les cardinaux et évêques espagnols manifestent dans les rues de Madrid, suivis par des millions de catholiques ibériques pour défendre la vie, un journaliste de Canal Plus se confiait à un confrère sur l’idée qu’il se faisait de la hiérarchie de l’Église de notre pays : « Avec la Conférence des évêques de France, on a l’impression d’avoir affaire à des technocrates de la religion, à des ENArques de la foi qui ne croient pas ce qu’ils affirment ». La réaction courageuse des titulaires des sièges de Vannes, Fréjus-Toulon, Bayonne, du Puy-en-Velay et d’Avignon en ressort, par comparaison, d’autant plus louable et honorable.
Ce qui a également marqué les esprits des Français, ce sont aussi nos interventions, au cours d’une cinquantaine d’émissions télévisées et radiophoniques que nous nous sommes partagés, sans compter les entretiens dans les journaux. Nous allions au bureau ou nous en ressortions, avec nos blouses de travail respectives. Les micros qu’on nous tendait paraissaient destinés aux représentants légitimes du catholicisme qui les abandonnaient au profit d’un laisser-faire, d’un laisser dire. En conscience, il nous a paru que nous ne pouvions pas déserter le Calvaire, et laisser conspuer nos saints mystères. Je peux le dire : à chaque fois, les journalistes sont tombés des nues en nous voyant. Nous n’avions ni blousons de cuir, ni barres de fer. Lors du rendez-vous à Radio Notre-Dame, l’un des responsables de l’antenne a d’ailleurs commis un sérieux impair en mettant en garde avant l’émission sa collègue, sans s’apercevoir que nous étions déjà devant lui, incapable de considérer que derrière nos mines, nous n’étions pas les dangereux activistes qu’il redoutait tant.
La famille État doit protéger ses enfants
Mais les feux des médias ne sont pas une fin en soi. Dans des situations critiques, il nous a même paru prudent de renoncer à certaines propositions excentriques. Dès lors, il nous faut continuer à défendre l’autel et la croix, seuls objets de notre engagement et de nos choix. Dans les siècles passés, les papes n’hésitaient pas à décerner aux plus valeureux souverains, protecteurs de la croix, le titre de « défenseur de la foi », signe qu’elle a bel et bien besoin que nous soyons ses défenseurs fermes et fervents contre les attaques répétées à son encontre depuis deux mille ans.
Ceux qui se sont autoproclamés les leaders du christianisme en France n’ont pas apprécié – et on le comprend aisément – la fulgurante ascension de Civitas. Christine Boutin qui croit pouvoir recueillir les voix chrétiennes a pris le wagon de la critique médiatique pour caricaturer le jeune institut. Et les journalistes catholiques eux-mêmes, à l’instar d’Isabelle de Gaulmyn, de La Croix, n’ont fait qu’exprimer une aigre animosité à l’endroit de ce mouvement pour eux trop encombrant. Plus intéressante – et ce n’est pas la première fois – est l’analyse de Jean-Marie Guénois. Reconnaissant les bienfaits du mouvement, il exprime cependant une circonspection à l’égard de ce qui n’est à ses yeux qu’un feu de paille : Civitas. « Son audience n’existe et n’existera que par rapport à l’objet de ses protestations, ces spectacles ou d’autres scandales à venir. Et non par ses propositions totalement irrecevables dans le cadre de la laïcité française et formellement rejetées par l’Eglise catholique. »
Ce qu’il dénonce, disons-le tout nettement, c’est le fait que Civitas s’engage à restaurer une France chrétienne. Idéaliste voie pour un grand nombre de nos compatriotes qui ont déserté les champs de la catholicité au profit de ceux de la réconfortante laïcité. L’anticléricalisme a exilé la religion dans les sacristies où leurs affectataires semblent s’en satisfaire. Les accommodements consentis avec le monde ne peuvent plus, à leurs yeux, nous permettre de redemander qu’on pende le crucifix dans les écoles ou que l’on quémande à nos députés d’invoquer publiquement le nom de Dieu. En France, on ne peut chanter : Dieu sauve le président ! On ne peut graver sur nos pièces et imprimer sur nos billets : In God We Trust…
Ces esprits oublient que le Christ a dit à Pilate que toute autorité venait de Dieu. L’État est une société naturelle, créée par lui, au même titre que la famille. Un chef, comme un père, doit considérer le bien de ses protégés, non pas en contraignant par la force, mais en garantissant un maximum de chances à ceux qui lui sont confiés. S’il pense devoir appliquer pour principe objectif la liberté religieuse, comprise comme la licence de toutes les fantaisies mystiques, alors il faut aussi que le père pratique sa religion en privé, qu’il n’impose aucun sacrement à ses enfants, qu’il n’expose aucun crucifix dans les chambrées et qu’il maintienne en toute discussion la neutralité. Pourquoi ce qui est applicable à la petite famille, celle qui nous tient par le sang, ne serait pas applicable à la grande, celle qui nous tient par la nationalité ? Toutes deux ne sont-elles pas régies par le bien commun ?
La sécularisation, lit de l’antichristianisme
Dimanche dernier, le cardinal Raymond Burke, préfet du tribunal suprême de la Signature apostolique, envisageait en toute lucidité le temps où, l’Église catholique « alors même qu’elle dispensera son propre enseignement » sera accusée « d’engager une action illégale, par exemple en prêchant sur la sexualité humaine. Si les catholiques ne se lèvent pas pour la morale naturelle, la sécularisation aura raison d’elle et elle nous détruira ».
Beaucoup de nos contemporains, y compris des catholiques, voient dans la laïcité, un équilibre idéal et stable, au sein duquel les options philosophiques peuvent vivre en pleine harmonie. Ils ne voient pas que, depuis cent ans, cet état de laïcisme fait sombrer nos églises du soutien à l’abandon, fait détruire notre enseignement de l’entretien vers la destruction. Ils ne voient plus que cette sécularisation fait le lit de l’antichristianisme, qui invite désormais les « laïques » comme ils s’appellent, à singer nos rites les plus sacrés et à anticiper, dans tous les pays où les chrétiens sont en minorité, ce qui est l’antichambre de la persécution.
Aujourd’hui, il est permis de s’en prendre au Christ dans l’art subventionné. Et il y aura toujours des esprits qui considéreront que sainte Véronique, parce ce qu’elle s’est approchée témérairement du Christ montant vers le Golgotha, a fait preuve de provocation. Ils n’auront de cesse d’appeler les premiers Chrétiens dévorés par les lions à plus d’esprit d’échange, en les invitant à dialoguer avec le prêteur romain plutôt qu’à véhiculer une image du christianisme qui pourrait faire peur. Mais leur invitation, loin d’ouvrir un débat national, ne se soldera que par un marché de dupes où le témoignage de la Foi sera étouffé. Ces esprits-là ne sont hélas pas de ceux qui passent à la postérité.
Alors, combien même nous serions incompris et considérés comme des extra-terrestres, nous maintiendrons les principes qui consistent à affirmer que Dieu est auteur de toute société naturelle et, n’en déplaise à ceux qui ont peur de l’image véhiculée, nous maintiendrons le droit de Dieu à régner sur les sociétés comme sur les familles. Que les esprits n’aient crainte, la Grande Bretagne, avec tous ses défauts, est séculairement et officiellement anglicane sans que l’obscurantisme ait pour autant envahi l’esprit de nos meilleurs ennemis !
Ceci étant dit, nous persévéreront dans nos exigences à l’égard des autorités civiles, en veillant à ce qu’elles ne se méprennent pas, de manière très concrète, sur leur finalité. Les fêtes chrétiennes, la défense de la vie, la nature du mariage, la sanctification du dimanche, l’enseignement libre sont des réalités qui seraient protégés par un État soucieux de proclamer le fait objectif de l’existence de Dieu, mais qui sont dénaturées par un État sombrant dans le nihilisme. Malgré ce nihilisme dont certains de nos frères croient pouvoir s’accommoder, nous continuerons à défendre ces héritages que nous ont confiés nos pères et qui ne doivent pas disparaître à cause d’un lâche silence ou d’une hypocrite complaisance. Autant dire que nous ne nous satisferons pas d’un hiver ni d’un printemps purement laïcs.
*Côme Prévigny est agrégé de l’Université et membre de l’Institut Civitas.