Dans quelques jours, les électeurs européens vont désigner leurs représentants au Parlement de l’Union. Pendant les cinq années qui suivront, des apparatchiks de partis et des ex-élus à recycler siégeront dans une Assemblée lointaine au pouvoir incertain. Ils alterneront les débats stériles et les approbations des décisions prises par la Commission. Grande innovation, le Président de celle-ci sera élu. Le choix n’est guère ouvert : soit un Allemand socialiste, soit un Luxembourgeois centriste, tous deux battus dans leurs pays réciproques. Dans les deux cas, la politique de l’implosion permanente d’un continent qui existe de moins en moins au fur et à mesure qu’il s’élargit et accroît ses institutions sera poursuivie. Soit, le Président de la Commission sera un représentant de la seule grande nation à avoir bénéficié de l’Europe et de l’Euro, soit ce sera celui d’un Etat artificiel, l’un des plus riches du monde en raison de son passé récent de paradis fiscal et de son activité bancaire.
Beaucoup de penseurs utopiques et d’écrivains lyriques ont rêvé de l’Europe. En 1945, après la troisième guerre franco-allemande et la deuxième guerre mondiale, l’Europe de l’Ouest devait se reconstruire. Elle qui avait dominé le monde allait perdre ses empires. La menace soviétique, l’affaiblissement d’une Allemagne diminuée et divisée, la nécessité de la protection américaine déterminaient les Européens à s’entendre. Dans l’ambiance de l’époque, on a donc revêtu de lyrisme ce qui relevait de la nécessité. En 2014, les slogans qui tentent vainement de séduire les Européens déçus sonnent faux. L’Europe faisait rêver. Aujourd’hui, elle se contente de mentir. Comme notre pays a été le véritable bâtisseur de l’Europe en tendant la main à « l’ennemi héréditaire », écrasé, occupé, déshonoré par le nazisme, l’ampleur de la déception y explique la taille des mensonges.
L’un des bobards les plus utilisés par les politiciens est : « l’Europe, c’est la paix ». On ne peut trouver meilleur exemple d’inversion entre la cause et l’effet. La construction européenne a pris son essor pendant une guerre, qui pour froide qu’elle était, appelait l’Ouest à rassembler ses forces contre le communisme. Si l’Europe de la Défense a échoué, la prospérité économique du Marché Commun qui avait bien d’autres raisons que son existence, a pu offrir un exemple de réussite qui a miné la confiance toute relative des populations dans le modèle socialiste imposé à l’Est. Mais, ce succès était le résultat de la paix et non sa cause. Et la paix en Europe n’avait d’autre raison que la dissuasion américaine, britannique, française et notamment la certitude que les Etats-Unis et leurs alliés de l’Alliance Atlantique et de l’Otan réagiraient à toute agression. L’opinion allemande a parfois flotté sur le sujet. Au début des années 70, le chancelier socialiste Willy Brandt a pratiqué une « ostpolititik » d’ouverture à l’Est, favorable à l’Allemagne, appuyée par l’URSS, mais qui affaiblissait l’Occident. C’est après que l’URSS a, entre 1975 et 1980, acquis une suprématie mondiale heureusement brisée par le Président Reagan. L’Europe n’y a eu aucune part. En Allemagne, une fois encore, les pacifistes clamaient : »plutôt rouges que morts » pour s’opposer au déploiement des euromissiles. L’effondrement de l’URSS a été provoqué par la course aux armements et par son engagement en Afghanistan. L’attraction exercée par l’Europe de l’Ouest sur les populations soumises aux soviétiques a sans doute joué un rôle, mais qui n’a pas été décisif. C’est en son centre que le système à bout de force s’est effondré.
Récemment, notre illustre Président n’a pas hésité à déclarer que « sortir de l’Europe, c’était sortir de l’Histoire ». Cette formule appartient aux poncifs qui ne résistent pas à un minimum de réflexion lucide. D’abord, elle repose sur l’idée que l’Histoire a un sens inéluctable. On peut au contraire penser que l’Histoire connaît des cycles, que la constitution des Empires alterne avec leur éclatement. Mais si l’on croit que le progrès technique et le développement des moyens de communication, faibles avant le XIX e siècle, entraînent inéluctablement une marche vers l’unité, on peut évidemment craindre que celle-ci efface les identités et les différences. Sont présents dans l’Histoire les acteurs de celle-ci, c’est-à-dire ceux qui peuvent encore prendre des décisions en fonction de leurs intérêts propres et en vertu de leur pouvoir souverain. En entrant dans une Europe Fédérale, la France sort évidemment de l’Histoire. Lorsqu’en raison de la politique suicidaire de Napoléon III, militant des unions nationales, l’Allemagne est parvenue à son unité, les Etats médiatisés, comme la Bavière, si différente de la Prusse, sont sorties de l’Histoire, et par la petite porte. Tous les malheurs de notre pays viennent de la préférence que nos dirigeants ont marquée pour de grandes idées creuses par rapport au Bien Commun de la Nation dont ils ont la charge. La France est un Etat-Nation, l’un des plus anciens et des plus constants. C’est pour cela que sa place dans l’Histoire a été considérable. Entrer dans l’Europe, c’est sortir de l’Histoire, comme un affluent cesse d’exister quand il se jette dans le fleuve. On peut rêver d’une autre politique pour notre pays que celle qui consiste à suivre le courant.
A suivre…
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