Tribune libre de Jean-Yves Naudet*
Euro-bonds : obligations émises par l’Europe, entière et solidaire. Avec les euro-bonds, François Hollande a voulu jouer les héros et mettre fin miraculeusement à la crise de la dette et sauver l’Europe, l’euro, la croissance, et tout le reste. Oui mais Angela Merkel n’a pas cédé au charme de ce James Bond, et n’a pas voulu des euro-bonds qu’il cherchait à placer.
Derrière ces jeux diplomatiques qui opposent France et Allemagne se cache un débat de fond : faut-il mutualiser les dettes en Europe, faut-il ajouter de nouvelles dettes, communautaires cette fois, à l’océan de dettes nationales déjà existant ? Faut-il, au nom d’une illusoire relance, s’endetter encore, cette fois tous ensemble ? Rigueur ou laxisme, responsabilité ou irresponsabilité : tel est l’enjeu des euro-bonds.
Mutualiser les dettes, donc les risques
Nous en avons parlé il y a trois semaines : voulant « tout mettre sur la table » lors du premier sommet européen informel, le nouveau Président français a mis en avant les euro-obligations ou euro-bonds. Il s’agit d’émissions d’obligations, donc d’emprunts, réalisés non par un seul pays (comme les dettes « souveraines »), mais par l’ensemble de la zone euro. C’est la zone euro en tant que telle qui emprunterait sur les marchés. François Hollande n’est pas seul à proposer cette « recette miracle », destinée en apparence à résoudre la crise de la zone euro.
Il s’agit de mutualiser les dettes, donc les risques. S’agissant d’emprunts à échéances moyennes et longues, les pays les plus endettés et les plus fragilisés soit ne trouvent plus de préteurs, persuadés de ne jamais être remboursés (cas de la Grèce), soit trouvent des préteurs qui exigent une prime de risque, c’est à dire demandent un taux d’intérêt plus élevé, (cas de l’Espagne, du Portugal ou de l’Italie). La France elle-même, moins crédible que l’Allemagne, emprunte à des taux plus élevés que celle-ci : la différence de taux (le « spread ») mesure la différence de solvabilité et donc de confiance de la part des préteurs.
La volonté de créer des euro-bonds signifie qu’on veut gommer les réalités économiques, celles des finances publiques, si diverses d’un pays à l’autre. C’est un essai pour contourner la loi des marchés financiers, qui n’ont pas besoin des agences de notation pour savoir quelle est la solidité financière des différents États. En « mutualisant les dettes », on cherche à redonner confiance aux prêteurs en gommant les diversités de situation.
Les cigales ruinent les fourmis
C’est la mutualisation des cigales et des fourmis. Les cigales, qui ont chanté tout l’été pendant que les autres faisaient des économies pour redresser leurs finances, ce sont les PIIGS comme on dit en anglais (Portugal, Ireland, Italy, Greece, Spain). Mais les cigales sont de plus en plus nombreuses et les fourmis de moins en moins. Déjà, les plans massifs d’aide à la Grèce ont endetté un peu plus tout le monde. D’autres pays, la France en tête, sont en situation fragile, avec des déficits publics encore très élevés (supérieurs à 5%), une dette qui approche 90% du PIB et des perspectives de redressement bien hasardeuses.
Le principe de la mutualisation pose un problème moral : Faut-il que les fourmis, qui n’ont cessé de faire des efforts (ce n’est pas un coup de baguette magique qui a fait tomber le déficit budgétaire allemand à 1% du PIB) soutiennent les cigales ? La presse allemande n’en finit pas de critiquer les « pays du Club-Med » et les Grecs, qui « ont dansé le sirtaki » pendant que les Allemands travaillaient. C’est un système dangereux, qui consiste à affaiblir les forts. La mutualisation des dettes, consistant à verser de l’argent emprunté par les uns dans le tonneau des Danaïdes des autres, va finir par ruiner tout le monde.
C’est également un système irréaliste, car la fragilisation progressive de la France, déjà surendettée, confrontée à l’absence de volonté réelle de réduire les dépenses publiques, fait que le poids de la dette européenne reposerait pratiquement sur la seule Allemagne. L’idée suivant laquelle « l’Allemagne paiera » nous a déjà joué des tours douloureux après la guerre de 14-18; c’est aujourd’hui encore une idée aussi dangereuse qu’irréaliste.
Les partisans des euro-bonds
Evidemment cette idée des euro-bonds est populaire dans les pays endettés, trop heureux de reporter la charge sur les autres, et d’emprunter moins cher grâce à la caution des plus solvables. Mais les euro-bonds ont aussi, dans certains pays comme la France, une autre carte à faire valoir : ils serviraient aussi à financer la fameuse relance. Or, tout le monde souhaite la croissance : qui serait contre ? François Hollande a obtenu un succès sémantique avec ses odes à la croissance, mais qu’y a-t-il de concret derrière cette incantation « cosmétique » ? Peu nombreux sont ceux qui estiment que cette croissance pourrait venir de dépenses publiques nouvelles, financées par ces fameux euro-bonds.
D’autres enfin voient dans les euro-bonds un nouveau pas vers la construction d’une Europe politique et économique « intégrée » qui ferait marcher tout le monde au même pas, harmonisant tout et développant un budget central européen. C’est la logique ultime de cette bombe à retardement posée par Jacques Delors en créant l’euro : une seule monnaie et bientôt une seule politique. La « subsidiarité » invoquée par Jacques Delors est à l’inverse de ce que signifie ce concept : l’Europe fait tout et laisse des bribes aux Etats membres. Les euro-bonds s‘inscrivent dans une dynamique centralisatrice et dirigiste.
On ne confie pas sa carte de crédit à n’importe qui
L’Allemagne ne veut pas entendre parler de ces euro-bonds, qui, à ses yeux, enverraient un mauvais signal aux pays endettés : plus besoin de faire des efforts ! Le Président de la Bundesbank explique : « On ne confie pas sa carte de crédit à quelqu’un si on n’a pas la possibilité de contrôler ses dépenses ». Si l’Allemagne devient la seule caution des euro-bonds, elle devra très vite payer des taux d’intérêt plus élevés pour ses propres emprunts. Mais il y a l’économie, mais aussi la diplomatie. La chancelière n’a pas voulu faire perdre la face au Président français. Elle a montré un intérêt poli, pour les « project bonds », de nature fort différente de celle des euro-bonds, car ici il ne s’agit plus d’emprunter pour mutualiser les dettes, mais pour réaliser des dépenses communes d’infrastructure.
Mais est-ce mieux ? C’est un retour aux « grands travaux » du New Deal et de Roosevelt. Le terme d’investissement est trompeur : il ne s’agit pas d’investissements productifs, mais publics. Sur le fond, il est stupéfiant d’envisager de guérir la crise de la dette par de nouvelles dettes : qu’elles soient européennes ne change rien au problème. On peut se demander ce que les Allemands pourraient faire dans cette galère.
Heureusement, rien de sérieux n’a été décidé ni à Berlin ni à Bruxelles. Il a été question d’une phase d’expérimentation sur trois ans portant sur… 236 millions, chiffre infime par rapport aux 800 milliards que les pays de la zone euro vont emprunter en 2012. Même avec un effet de levier, ce n’est pas en construisant une ligne TGV en Espagne ou à travers les Alpes qu’on fera repartir la croissance en Europe : il s’agissait avant tout de donner l’impression qu’on avait écouté le Président français.
Les euro-bonds, ce n’est sûrement pas 007, devenu sauveur de l’Europe, c’est plutôt 000. Ce triple zéro est mérité pour des gouvernements européens qui feraient mieux d’abandonner la ligne Delors pour revenir à la ligne Thatcher.
*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.
Lire aussi :
> L’Allemagne ne paiera pas, par Philippe Simonnot