Éditorial d’Éric Martin, rédacteur en chef
Comme chaque année, la Journée internationale de la femme, fêtée le 8 mars, est l’occasion pour les “féministes égalitaires” de monopoliser la parole dans les grands médias français. Une situation profondément injuste quand on mesure ce que les femmes doivent aux “féministes traditionalistes” (1).
En effet, tandis que la libre-penseuse volage Mary Wollstonecraft (1759-1797) prétendait que la biologie n’est pas une fatalité, Hannah More (1745-1833) cherchait à améliorer concrètement la vie et le statut des femmes. Romancière, poète, pamphlétaire, activiste politique, chrétienne évangélique réformatrice et abolitionniste, elle est aujourd’hui inconnue du grand public. Mitzi Myers, historienne de la littérature à l’University of California, Los Angeles (UCLA), le regrette : « cette croisée de la cause des femmes a obtenu infiniment plus de succès que Wollstonecraft ou que toute autre ». Originaire d’un milieu modeste, More était une amie et une admiratrice d’Edmund Burke. « De la liberté, de l’égalité et des droits de l’homme, le Bon Dieu nous préserve », écrivait-elle. « À son époque, elle était plus connue que Mary Wollstonecraft et ses livres se sont pendant longtemps mieux vendus que ceux de Jane Austen », raconte une biographe. Ses différents tracts ont été diffusés à des millions d’exemplaires et son Traité contre la Révolution française a davantage circulé que Réflexions sur la Révolution de France de Burke ou que Les Droits de l’homme (1791) de Paine. Certains historiens attribuent aux écrits de More le fait que l’Angleterre ait échappé au soulèvement révolutionnaire qui marqua la France.
Hannah More était membre de la Bluestocking society, un groupe d’intellectuels des deux sexes qui se réunissaient pour discuter politique, littérature, sciences et philosophie. Il avait été lancé en 1750 par des femmes des classes moyenne et supérieure qui aspiraient à autre chose qu’aux conversations des élites mondaines et à leurs potins sans intérêt. Difficile de dire si More, dont la cause la plus passionnée était l’éducation des femmes, est une penseuse conservatrice ou réformatrice progressive. Patriote, défenseuse ardente de la monarchie constitutionnelle, elle n’était pas favorable au statu quo. Elle aussi appelait à un changement révolutionnaire, mais sur le plan moral, pas politique. Ainsi, dans ses romans et pamphlets, elle reproche aux membres des classes supérieures leur amoralité, leur hédonisme, leur indifférence envers les pauvres, leur tolérance pour le crime et l’esclavage. Dans les nombreuses écoles du dimanche créées à son initiative, les jeunes pauvres était invités à la sobriété, à l’économie, au labeur et à la religion. Hannah More partageait l’enthousiasme d’Adam Smith pour le marché libre à condition, précisait-elle, que les Anglais développent de bonnes habitudes morales et deviennent vertueux. Une réflexion d’actualité à notre époque où l’immoralité est encouragée partout sauf en économie : comme si un pervers ne l’était pas dans tous les domaines… Ces réflexions lui ont d’ailleurs valu les qualificatifs de « capitaliste chrétienne », de « première victorienne » ou de « Burke pour les débutants » ! C’est aussi la première féministe conservatrice. En effet, contrairement à Wollstonecraft, More croyait que les sexes sont significativement différents pour ce qui concerne leurs propensions, leurs aptitudes et leurs préférences de vie. La biologie et l’expérience (cf. par exemple la difficulté des formations politiques à boucler leurs listes à cause de la parité obligatoire) semblent valider son postulat. More envisageait une société où les vertus des femmes et les grâces qui les caractérisent pourraient être développées, raffinées, et librement exprimées. Mais pour cela, les jeunes femmes anglaises ont, selon elle, besoin de plus de liberté et d’une éducation solide. Selon More, les femmes sont les gardiens naturels de la nation. En bonnes patriotes (« fermes et féminines, pour le plus grand bien de tous »), elles doivent faire bénéficier la société au sens large de leurs dons naturels – ressourcer, organiser, éduquer – qu’elles réservaient jusqu’alors à leur ménage. « Charity », déclare l’un des personnages de fiction de More, « est l’appellation d’une dame ; le soin des pauvres est sa profession ». Concrètement, c’est une invitation lancée aux femmes à s’investir dans les écoles, les hôpitaux, les orphelinats et les écoles. « L’appel d’Hannah More a été entendu : des milliers d’associations de bénévoles sont créées dans les premières décennies du XIXe siècle afin de répondre aux besoins de tous les groupes imaginables de malades », explique Anne Mellor, professeur de littérature à l’UCLA. Son roman, Coelebs, ou le choix d’une épouse (1880), qui valorise un nouveau genre d’épouse, efficace, active et une féminité responsable, est réédité dix fois en neuf mois et 29 fois du vivant d’Hannah more !
Qu’attendons-nous donc, nous autres conservateurs, pour 1) nous réapproprier le qualificatif “féministe” que nous méritons mieux que quiconque et 2) expliquer sa composante “traditionaliste” au grand public ?
(1) Cet éditorial est une synthèse de notre article “Conservateurs donc féministes (1/2)”. Il est paru dans Nouvelles de France n°5 (mars 2012) en vente ici (4 euros).
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