Inquisitio contre Métronome : Quelle histoire voulons-nous ? (1/2)

Tribune libre de Pierre Mayrant

Le CVUH : Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire. Un bien vaste programme. L’intitulé nous rappelle les heures de gloire de l’URSS. Le regard policier de ce comité associé au Parti de Gauche s’est récemment penché sur le cas Métronome, le fameux livre d’histoire de Paris, écrit par l’acteur Lorànt Deutsch et adapté en série documentaire sur France 5, dont le succès fut pour le moins inattendu. Le jugement, sans concession, dénonce un parti pris idéologique anti-républicain, royaliste et catholique. Chose étonnante : la condamnation un peu tardive se situe au même moment que la diffusion à grande audience de la série Inquisitio sur France 2.

Sur cette dernière, la vigilance fut moindre. Après tout, il ne s’agit que d’une œuvre fictive, et, apparemment, pour le CVUH, l’idéologie qu’elle véhicule semble être moins nocive que celle de M. Deutsch, d’autant plus que la critique est portée par un historien médiéviste, William Blanc – qui aurait d’ailleurs eu tout intérêt à décortiquer les monstruosités historiques d’Inquisitio, puisqu’il est expert en la matière.

Nous pourrions nous arrêter là sur cette querelle entre réactionnaires et progressistes : Il y a des pour, il y a des contre et le débat s’amplifie toujours là où l’oeuvre rencontre le succès et devient populaire. Mais à lire les articles de chacun, ce sont des manières d’entendre l’histoire qui resurgissent et qu’il convient d’analyser de plus près.

Dirigeons-nous dans un premier temps sur l’article « Métronome : un succès historique ? » de William Blanc, doctorant en histoire médiévale sous la direction de Laurent Ferrer. L’intitulé de sa thèse en préparation sous-entend déjà à quelle école historique il appartient : Problèmes de l’économie de transhumance en Provence au XVsiècle : les intermédiaires, entre nourriguiers et loueurs d’estives. Ce titre un peu ronflant rappelle l’École des Annales. Plus exactement, le thésard s’inscrit dans la mouvance de La Nouvelle Histoire qui ajoute à la démarche scientifique d’origine des emprunts au structuralisme et au marxisme. Aucune critique à cet égard : l’école dont La Nouvelle Histoire est l’héritière a révolutionné l’historiographie contemporaine et il faut s’en réjouir. Sauf que… cette école a ouvert la voie à de nombreux partis pris : lutter contre la notion de fait historique qui s’imposerait toute seule à l’historien, faire barrage à l’histoire politique évènementielle qui masque le vrai jeu de l’histoire et se focaliser sur les deux seules directions valables aujourd’hui : l’économique et le social. Ces méthodes dites scientifiques ne doivent pas cacher une direction bien plus idéologique qu’elles n’y paraissent, selon l’historien regretté Hervé Couteau-Bégarie :« S’il n’y a pas de contenu idéologique dans une série démographique, il y en a dans le fait de préférer la démographie historique à l’histoire politique. »

William Blanc n’attaque donc pas directement les erreurs historiques (qu’il ne détaille pas outre-mesure) ; partant du présupposé que l’histoire est une science dure portée par une seule tendance, la sienne, il dénonce la direction idéologique que Lorànt Deutsch aurait décidée de prendre pour aborder son histoire de Paris – sans avoir conscience, ou en niant tout simplement sa propre orientation : « L’ouvrage est devenu un vrai phénomène social et même historiographique qu’il convient d’analyser, ne serait-ce que parce qu’il remet en cause, sur un ton très badin, les fondements mêmes de la discipline historique. » Je préciserais « sa » discipline historique, car les écoles historiques sont légion, qui diffèrent largement de celle de M. Blanc.

Toutefois, William Blanc n’est pas cohérent dans sa critique  : une fois Lorànt Deutsch est accusé d’exalter la figure du héros historique (« Autant de convictions, en fin de compte, qui le poussent à remettre au goût du jour un récit héroïque poussiéreux et figé, dédaigneux des débats et des avancées de la recherche historique« ), une autre fois, c’est le peuple qui n’est pas assez individualisé (« Face à eux, un peuple informe, jamais individualisé (sauf par quelques rares tribuns toujours issus des classes aisées), s’opposant toujours sans que l’on sache trop pourquoi au « progrès » impulsé par les monarques« ).  William Blanc ne voudrait voir comme simple acteur de l’histoire que la masse régie par les structures économiques et sociales dont le progrès la mènerait, à coup de révolutions, vers le troisième âge marxiste. Il reproche en réalité à Lorànt Deutsch de s’inscrire dans l’école positiviste de la IIIe République, plus hégélienne, qui considère que l’individu est acteur de l’histoire, que le rôle d’un seul peut être déterminant dans la marche du Progrès. En réalité, le véritable souci du CVUH, loin de procéder à « une nécessaire vigilance sur les instrumentalisations et détournements de l’histoire à des fins politiques« , est, en plus de faire le buzz, de défendre son petit pré-carré universitaire.

Ecole positiviste et Nouvelle Histoire sont deux écoles historiques contradictoires, mais basées toutes les deux sur la même notion de progrès. Elles sous tendent, une vision idéologique identique de l’histoire, au coeur de laquelle je ne suis pas sûr que Lorànt Deutsch s’inscrive. En cela, malgré ces divergences de taille, La Nouvelle Histoire reste l’héritière du positivisme historique. William Blanc, s’il savait exactement ce que signifiait « idéologie », n’aurait sans doute pas écrit cet article ou se serait uniquement attelé à la soi-disant vision historique réactionnaire de l’acteur. Il peut bien sûr se détacher de celle-ci qu’il juge trop partisane, mais ne peut la qualifier d’idéologique car elle ne se présente pas comme une science rationnelle et irréfutable n’impose aucune forme d’idéal messianique.

Malheureusement, là, William Blanc procède aux pires confusions qui engagent encore plus sa crédibilité de critique historique : « Pour le reste, le lecteur attentif redécouvre un récit héroïque comme pouvait le proposer Le Tour de la France par deux enfants. Les rois et les saints catholiques en sont les héros et le moteur. » Le Tour de France par deux enfants (d’Augustine Fouillée, alias G. Bruno) est l’un des livres pédagogiques les plus anticléricaux de la IIIe République. Si tel avait été Métronome, à l’instar d’Inquisitio, je doute une fois de plus que cet article eût été publié, je crois même que c’est Deutsch lui-même qui aurait écrit un article sur le site du CVUH pour présenter son ouvrage.

Tout cela révèle l’incapacité de ce comité de salut public de l’histoire marxiste à prendre conscience que des individualités aient pu faire l’histoire sans avoir été déterminées auparavant par des structures économiques et sociales, et, surtout, que ces individualités aient pu être rois, ou saints, ou catholiques. On comprend ainsi la meilleure empathie de ce comité de vigilance pour la sainte Catherine de Sienne d’Inquisitio, transformée en mystique écervelée, plutôt que pour les saints deMétronome. Je m’en reporte aux propos du professeur de thèse de William Blanc, Laurent Feller – bien que n’ayant rien à voir apparemment avec ce comité -,  qui précise dans une interview pour le site L’histoire pour tous : « L’Eglise catholique est restée une structure d’oppression très longtemps ». En une phrase, tout est dit d’une école qui présente sa formule comme scientifique et toutes les pensées divergentes à la sienne comme idéologiques.

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8 Comments

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  • Sylvia , 20 juillet 2012 @ 21 h 40 min

    Cher Monsieur,

    Pourquoi personnalisez-vous ce débat complexe sur les usages de l’histoire, sur le procédé scientifique, sur la peopolisation des débats ? Il ne s’agit pas d’une lutte entre Deutsch et Blanc ! Blanc met en cause une méthode (et il n’est pas le seul : le CVUH est, comme son nom l’indique, un comité, le texte a été validé par un comité de lecture – de même que celui qui l’accompagne, signé d’un doctorant en science politique).
    Qu’appelez-vous “petit pré-carré universitaire” ?
    Quels sont vos arguments pour trouver une filiation marxiste au CVUH ?
    Hormis vos assertions gratuites, proposez-vous des arguments, ou défendez-vous à travers Deutsch vos préférences politiques ?
    A quel moment parlez vous du contenu de Métronome ?

  • Marie Genko , 21 juillet 2012 @ 8 h 26 min

    Cet article est passionnant!

    Passionnnant le fait qu’en France il y ait encore et toujours de gens d’immense talent comme Lorant Deutsch pour faire revivre la Vérité qui a été vécue par le peuple de France durant des siècles!

    La question que pose cet article de Pierre Meyrant est comment faire disparaître le matraquage anti catholique, et par conséquent anti chrétien, que véhicule les médias et les historiens contemporains!

    Puisse le Ciel nous accorder de nombreux Lorant Deutsch et puisse l’Eglise Catholique tirer la leçon des erreurs humaines qui défigurent l’enseignement du Christ au sein de toutes les confession chrétiennnes.
    Afin que le christianisme retrouve son premier élan missionnaire et civilisateur, tous les chrétiens doivent reconnaître les erreurs, qui ont été les leurs et s’unir dans une seule et même foi.

    .
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  • jean-françois MARY , 21 juillet 2012 @ 12 h 19 min

    En FRANCE aujourd’hui la tendance est : Tout ce que dit ou fait un marxiste est parole d’évangile selon le petit pére des peuples Staline, l’homme des goulags et pére de Polpot

  • Isidore , 21 juillet 2012 @ 23 h 16 min

    Que de bruit pour une omelette au lard !
    La gauche,en voulant faire sa pub fait celle de Lorent Deutsch ! Il ne me serait jamais venu à l’idée d’acheter un bouquin sur l’histoire des stations de métro,sans cette querelle aberrante !
    Je viens de le lire,et c’est passionnant et extrêmement bien fait,d’une part.D’autre part je ne vois pas ce que la gauche y trouve à redire même de son étroit point de vue: à part d’inévitables lacunes,puisque limitée aux noms de stations de métro,ça pourrait très bien être présenté comme un livre illustré sur l’histoire de France comme dans mon enfance sous la troisième république,qui aimait beaucoup ce style.Il a bien fallu que nos instits nous racontent tout depuis Vercingétorix et la suite,le Moyen-Age,etc…Il y a plein de noms dans l’histoire qui comencent par StXXX,et dans la géographie,et les stations de métro en témoignent.Je ne vois pas ce qu’un livre sur l’histoire (de Paris) d’après les noms de stations de métro aurait pu dire d’autre,même de gauche.
    Par ailleurs je n’y relève aucune tendance propagande politicienne,si ce n’est qu’on n’y parle pas,sans doute de Robespierre.Et pour cause,puisqu’il n’y a pas de station Robespierre !
    Enfin,même du point de vue gauche,cela me parait un complètement faux procès !C’est une tempête dans un verre d’eau !

    Alors cvuh,quand on l’étire,je suppose,ça fait … etc..enfin comme vous dites;ah bon !Et c’est un petit comité de lecture,ah ? Et c’est signé par un docteur,ou doctorant en quoi ? en “science politique” ?Parce que la politique serait une science ? depuis quand ?et jusqu’à quand ?
    Enfin,c’est pas sérieux ! C’est bidon ! Un type qui aura voulu se faire de la pub,c’est tout ! Et pour ça,le plus tranquille: s’en prendre à quelqu’un de type plutôt inoffensif,comme ça,on ne risque pas trop !
    Je sens que je ne vais pas tarder à me réunir en comité !

  • Altair , 2 août 2012 @ 9 h 17 min

    Il y aurait idéologie “dans le fait de préférer la démographie historique à l’histoire politique” : la démographie est tout de même un bel outil au service de l’historien. On ne peut pas essayer de tout comprendre (voire d’avoir la prétention de tout expliquer) en se basant unqieuement sur l’histoire politique.

    “Malheureusement, là, William Blanc procède aux pires confusions qui engagent encore plus sa crédibilité de critique historique : « Pour le reste, le lecteur attentif redécouvre un récit héroïque comme pouvait le proposer Le Tour de la France par deux enfants. Les rois et les saints catholiques en sont les héros et le moteur. » Le Tour de France par deux enfants (d’Augustine Fouillée, alias G. Bruno) est l’un des livres pédagogiques les plus anticléricaux de la IIIe République. Si tel avait été Métronome, à l’instar d’Inquisitio, je doute une fois de plus que cet article eût été publié, je crois même que c’est Deutsch lui-même qui aurait écrit un article sur le site du CVUH pour présenter son ouvrage.”

    Bien essayé pour noyer le poisson mais ce que M. Blanc voulait comparer était sans doute la charge symbolique, idéologique et tordue de la représentation de l’Histoire de France guidant les deux ouvrages.
    Enfin, il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre.

  • Altair , 2 août 2012 @ 9 h 22 min

    Vous contestez ce mot de L’Histoire pour tous : « L’Eglise catholique est restée une structure d’oppression très longtemps »

    Je vous conseille un petit tour de randonnée en Vallouise, dans les Cévennes, dans quelques vallées du Jura français, je pense que vous serez surpris de voir que plusieurs siècles après, la mémoire et les consciences ont un dent contre la papauté.

  • SupaTocqueville , 3 août 2012 @ 9 h 34 min

    Quand on invoque la Vérité et le Ciel, on n’est pas loin de la bêtise.
    On ne parle pas matraquage anti-catholique, on demande juste un peu d’honnêteté concernant les parti pris de LD dans son ouvrage, c’est quand même pas compliqué.
    S’il répond de manière aussi aggressive (et basse dans ses attaques ad nominem), c’est sans doute parce qu’il sait au fond que son utilisation extensive de sources orientées ne lui permet pas de se couvrir. Qu’il assume ses convictions et ses amis indentitaires !

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