Vouloir relancer la natalité en interdisant l’avortement est un leurre et l’exemple polonais en est l’illustration la plus flagrante en Europe. En Pologne, depuis la loi anti-avortement de 1993, l’avortement n’est autorisé que dans 3 cas : lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme enceinte (tant que le fœtus serait incapable de survivre de manière naturelle hors du corps de sa mère), si les examens prénataux ou d’autres symptômes médicaux montrent qu’il existe une forte probabilité de déficience grave et incurable du fœtus ou de maladie incurable mettant sa vie en danger (tant que le fœtus serait incapable de survivre de manière naturelle hors du corps de sa mère), et s’il existe une présomption forte que la grossesse est le fruit d’un acte interdit par la loi (viol, inceste…) (jusqu’à la 12e semaine de grossesse). Bien entendu les féministes vous diront que les Polonaises se font avorter de toute façon, soit de manière illégale dans les cabinets de gynécologues-obstétriciens peu scrupuleux, avides de gains et/ou peut-être un peu psychopathes sur les bords, soit dans des cliniques étrangères (ukrainiennes, hollandaises ou autres) qui proposent volontiers leurs services aux Polonaises pour les mêmes raisons. Les sanctions trop légères sont en effet le talon d’Achille de la loi polonaise et il ne fait aucun doute que les Polonaises qui veulent vraiment se faire avorter et qui ont un peu d’argent peuvent le faire. Toutefois, il ne fait aucun doute non plus que l’avortement est réprouvé par une part croissante de la population aussi bien féminine que masculine (75 % des Polonais et Polonaises sont aujourd’hui opposé à toute forme d’avortement « à la demande ») et qu’à l’époque où l’IVG était légale et encore relativement acceptée socialement, dans les années qui ont suivi la chute du communisme, il y avait déjà beaucoup moins d’avortements en Pologne que dans des pays comme la Grande-Bretagne ou la France, avec en outre une forte chute d’une année sur l’autre : 59 417 IVG en 1990, 30 878 en 1991 et 11 640 en 1992, contre 130-140 000 par an dans les années 80. Car en Pologne les associations pro-vie mais aussi l’Église font depuis les débuts de la démocratisation du pays très activement campagne contre l’avortement, en le dénonçant mais aussi, pour l’Église, en venant en aide aux femmes qui se retrouvent seules avec une grossesse mais qui refusent de tuer l’enfant qu’elles portent. Par ailleurs, outre la possibilité d’accouchement sous X, des parents polonais qui souhaiteraient abandonner leur enfant sans formalités dans les semaines qui suivent l’accouchement peuvent le faire sans aucune formalité grâce aux « boîtes à bébé » comme celle-ci à Varsovie.
À en croire ceux qui lient hausse de l’avortement et baisse de la natalité, la Pologne devrait donc être un des pays avec la plus forte natalité en Europe. Or c’est tout le contraire qui est vrai. Avec un taux de fécondité de 1,3 enfant par femme, la Pologne est un des pays du monde où l’on fait le moins d’enfants. La déprime démographique qui a suivi la démocratisation du pays et sa transformation en société de consommation à l’occidentale entre dans sa troisième décennie. En 2012, le nombre de Polonais en âge de travailler a diminué pour la première fois depuis la Deuxième guerre mondiale. En 2013, il y a eu en Pologne plus de décès que de naissances. Il y a aujourd’hui sur les bords de la Vistule à peu près deux fois moins de naissances que lors du dernier baby-boom de 1982-84 où environ 700 000 bébés naissaient chaque année (et où l’avortement était autorisé, banalisé et massif comme en France aujourd’hui). Ainsi, les démographes prévoient que la Pologne, qui compte aujourd’hui environ 38,5 millions d’habitants, pourrait en compter 6 à 8 millions de moins d’ici une quarantaine d’années.
Mais les études montrent aussi que si les Polonais font peu d’enfants, ce n’est pas parce qu’ils sont devenus des adeptes de la famille à enfant unique. Il semblerait que les raisons de cet état de choses soient avant tout économiques.
En effet, outre les sondages qui montrent que les couples polonais aimeraient avoir plus d’enfants mais estiment ne pas en avoir les moyens, on s’aperçoit aujourd’hui que les Polonaises très nombreuses au Royaume-Uni depuis l’adhésion de leur pays à l’Union européenne en 2004 y ont un taux de fécondité de 2,13 enfants par femme (les enfants polonais représentent désormais 3 % de toutes les naissances au Royaume-Uni !). Et pourtant les mamans polonaises pourraient s’y faire avorter autant qu’elles le désirent puisque le Royaume-Uni a un des régimes les plus permissifs, et les plus barbares, d’Europe : l’avortement à la demande y est possible jusqu’à la 24e semaine de grossesse et il est même permis de tuer son enfant s’il n’est pas du bon sexe ! Seulement à la différence de leurs compatriotes restés en Pologne, les couples polonais qui résident au Royaume-Uni y trouvent un travail avec un salaire qui permet de faire vivre, au moins modestement, une famille. Tandis qu’en Pologne, le chômage est élevé (environ 13 % de la population active), les salaires sont souvent si bas que même deux revenus peuvent ne pas suffire pour faire vivre une famille avec plusieurs enfants, et les allocations familiales sont inexistantes. En 2012, d’après les chiffres de l’office polonais de la statistique, un quart des familles avec 4 enfants ou plus vivaient avec un revenu par tête en dessous du minimum vital. D’après le dernier rapport Eurostat, parmi les familles polonaises avec trois enfants ou plus, plus du tiers sont menacées de pauvreté. Pas surprenant donc que les Polonais n’aient pas beaucoup d’enfants et avec le choix entre la contraception naturelle et les moyens de contraception modernes à leur disposition ils peuvent y parvenir sans recourir à l’avortement (même si bien entendu tous ces moyens de contraception ne donnent jamais de garantie absolue, ce qu’on ferait bien de dire plus souvent aux jeunes gens).
Affiche de la campagne hongroise de 2011 contre l’avortementEn Hongrie, autre pays d’Europe centrale à la démographie sinistrée (taux de fécondité tombé à 1,21 par femme en 2011, population d’environ 10 millions d’âmes en baisse depuis le milieu des années 1990), le nombre d’avortements a fortement diminué dans les années 1990 et 2000 (plus de 100 000 avortements par an au milieu des années 1990, un chiffre en baisse régulière depuis, avec 36 118 avortements déclarés en 2012) parallèlement à la baisse de la natalité et ce n’est qu’avec la politique familiale active mise en place par Viktor Orban que le nombre de naissances est reparti à la hausse en 2012. Anecdote qui mérite d’être mentionnée, même si c’est un peu en marge du sujet traité ici, le Fidesz avait lancé en 2011, dans le cadre de sa politique en faveur des naissances, une campagne pour inciter les parents ne souhaitant pas garder leur enfant à le faire adopter. Des affiches avec une photo de fœtus humain portaient l’inscription : « Je peux comprendre que tu n’es pas prête pour moi maintenant, mais réfléchis et permets-moi me faire adopter. Laisse-moi vivre ! ». Comble de l’absurdité, la Commission européenne a demandé le remboursement des fonds européens du programme Progress alloués à cette campagne contre l’avortement et c’est la députée européenne française Sylvie Guillaume, une socialiste, qui a interpellé la commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté Viviane Reding au prétexte que l’utilisation de fonds européens pour financer une campagne contre l’avortement serait contraire aux valeurs de l’UE ! La Commission européenne a donc réagi favorablement en demandant le remboursement de ces fonds à la Hongrie dont l’utilisation, si elle n’était pas contraire aux traités européens, était effectivement en contradiction avec le fait que les institutions européennes subventionnent grassement les avortements dans le Tiers-Monde.
Pour revenir à l’absence de parallèle entre moins d’avortements et plus de naissances, on peut citer aussi d’autres exemples européens.
Ainsi, l’Italie, avec presque autant d’habitants que la France, a deux fois moins d’avortements et un taux de fécondité qui n’est pourtant qu’à environ 1,4 enfant par femme contre 2 enfants par femme en France. En Italie l’IVG semble être un acte beaucoup moins banal qu’en France puisqu’une majorité de gynécologues-obstétriciens refusent désormais de commettre des avortements.
Quant à l’Allemagne, on y fait quelque 100 000 avortements par an pour 80,5 millions d’habitants, soit proportionnellement beaucoup moins qu’en France, ce qui n’empêche pas le taux de fécondité de n’être que de 1,36 enfant par femme.
Le Royaume-Uni et la France sont en réalité les pays d’Europe avec la plus forte natalité tout en étant ceux où l’on se fait le plus souvent avorter (environ 220 000 avortements par an dans chacun des deux pays pour, respectivement, 63,5 et 66,5 millions d’habitants).
D’aucuns rappelleront que cette forte natalité est en bonne partie due aux populations venues d’autres continents. Mais l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne sont aussi des pays à forte immigration extra-européenne. En réalité, s’il y a un lien à faire, c’est entre la banalisation de l’avortement et la fréquence élevée du passage à l’acte, tandis que le nombre élevé d’avortements n’a pas forcément une incidence sur la natalité. Quand l’avortement n’est pas « un droit imprescriptible » comme en France, pour reprendre l’expression mensongère et honteuse de Roselyne Bachelot dans son débat récent avec Jean-Marie Le Méné de la Fondation Lejeune sur Canal+, et quand on ne fait pas croire aux citoyens, avec une propagande dont Goebbels lui-même n’aurait pas à rougir, que l’enfant conçu n’est pas un être humain jusqu’à un délai fixé arbitrairement par le législateur, les gens utilisent mieux les moyens de contraception à leur disposition. Ce qui soit dit en passant montre toute l’hypocrisie des féministes car l’avortement n’est pas non plus un acte anodin pour la femme qui le subit et, même sans interdire l’IVG, des centaines de milliers de traumatismes psychologiques pourraient être évités avec une politique de vérité sur l’interruption volontaire de grossesse et d’accompagnement, avant et après l’accouchement, des mères / des parents en situation de détresse, soit tout le contraire de la politique menée depuis 40 ans en France.
En réalité, si l’interruption volontaire de grossesse sans motif médical sérieux doit être combattue, c’est parce que c’est un crime, et non pas parce que nous voulons relancer la natalité ! Pour relancer la natalité, il faut des politiques favorables aux familles.
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