D’après les sondages de sortie des urnes, c’est Andrzej Duda, le candidat du parti conservateur Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński, qui aurait remporté le deuxième tour des élections présidentielles polonaises, contre le président sortant Bronisław Komorowski, candidat du parti « libéral » Plateforme civique (PO) de Donald Tusk. Si la commission électorale a retardé d’une heure et demie, jusqu’à 22h30, l’heure à partir de laquelle il est permis de donner les résultats des sondages, en raison d’un incident dans un bureau de vote (le décès d’une électrice de 80 ans) qui a interrompu le processus électoral pour quelque 600 électeurs, avant 21h les résultats circulaient déjà de manière plus ou moins masquée sur les réseaux sociaux : 53 % pour Andrzej Duda contre 47 % pour Bronisław Komorowski.
Le parlement polonais reste dominé, au moins jusqu’aux élections législatives d’octobre, par la coalition de la PO et de son allié PSL (parti « paysan », plutôt conservateur mais sans réelle idéologie, capable de s’allier avec n’importe quel parti pour former une majorité et obtenir des postes). La Pologne ayant un régime parlementaire, l’élection d’Andrzej Duda ne changera pas du jour au lendemain la politique menée par ce pays. Néanmoins sa victoire permet au PiS d’espérer une victoire en octobre également. Le vote aux législatives se déroulant à la proportionnelle, il lui faudra toutefois une très nette majorité des voix ou peut-être une alliance avec un nouveau parti que pourrait fonder le chanteur Paweł Kukiz, candidat anti-système patriote et plutôt conservateur qui a créé la surprise au premier tour en obtenant 20 % des voix. Faute de quoi l’élection d’Andrzej Duda ne se traduira pas par un changement radical de politique dans le style de celui initié en 2010 en Hongrie par Viktor Orbán et son parti Fidesz, avec ses alliés chrétiens-démocrates.
Le président polonais dispose néanmoins de quelques prérogatives importantes : il a son mot à dire en matière de politique étrangère (on se souvient des conflits permanents dans ce domaine entre le gouvernement de Donald Tusk et le défunt président Lech Kaczyński – des conflits sciemment provoqués par Donald Tusk et son ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski), il est le chef des forces armées, il peut proposer des projets de loi et il a un droit de veto sur les lois votées par le parlement. Un veto qui ne peut être surmonté qu’avec une majorité des deux tiers. Il peut aussi saisir la cour constitutionnelle pour invalider une loi ou certaines de ses dispositions.
Par rapport au président sortant Bronisław Komorowski et à son parti PO dont l’ancien chef Donald Tusk est devenu président du Conseil européen, Andrzej Duda et son parti PiS sont restés véritablement chrétiens-démocrates et véritablement conservateurs : non seulement ils sont opposés à toute libéralisation de l’avortement mais ils ont soutenu ces dernières années des initiatives citoyennes en vue de mettre fin aux centaines d’avortements à caractère eugénique commis chaque année en Pologne (voir Le parlement polonais rejette le projet de loi citoyen qui voulait interdire les avortements eugéniques), ils se prononcent pour l’interdiction de la procréation in-vitro dans la mesure où celle-ci s’accompagne de la sélection et l’élimination volontaire d’embryons, ils sont contre toute forme d’union civile ouverte aux duos homme-homme ou femme-femme (voir Grâce à l’exemple français, il n’y aura pas de PaCS en Pologne), etc.
En matière de politique européenne, contrairement à la PO qui est devenue europhile, voire eurobéate, depuis son accession au pouvoir en 2007, Andrzej Duda et le PiS sont plus eurosceptiques sans être opposés à l’idée-même d’Union européenne. Ils s’opposent à tout abandon supplémentaire de souveraineté, à toute ingérence de Bruxelles dans les domaines réservés aux États (comme l’avortement et le mariage, par exemple) et à l’adoption de l’euro sans nouveau référendum dans la mesure où les modifications récentes des règles de l’eurozone obligent à des abandons supplémentaires importants de souveraineté et dans la mesure aussi où l’avenir de l’euro est incertain. Au Parlement européen, le PiS siège avec le Parti Conservateur britannique au sein du groupe Conservateurs et réformistes européens.
Andrzej Duda et le PiS sont aussi plus atlantistes que Bronisław Komorowski, Donald Tusk et la PO (voir La volte-face atlantiste du premier ministre polonais Donald Tusk ), considérant l’alliance avec les États-Unis comme la seule garantie valable contre un risque de guerre provoquée par la Russie, ce qui les différencie du Hongrois Viktor Orbán.
En revanche, si le PiS devait gagner les élections législatives d’octobre avec une majorité suffisante, ses propositions en matière de politique intérieure, de lutte contre la corruption héritée du communisme, de programme économique, de politique familiale et de priorité donnée aux intérêts nationaux, pourraient faire de la Pologne une deuxième Hongrie aux yeux des élites politico-médiatiques européennes dont il suscite les attaques depuis déjà plusieurs années (voir Après la Hongrie, la Pologne ? Haro sur les conservateurs !). À contrario, Bronisław Komorowski est accusé d’avoir conservé des liens très étroits avec l’ancien service de renseignement militaire qui, de service secret du régime communiste, s’était transformé en organisation plus ou moins mafieuse, impliquée notamment dans des trafics d’armes, dans les années 90.
Le gouvernement de Donald Tusk, avant que Donald Tusk ne devienne président du Conseil européen moyennant une très grosse augmentation de salaire (voir Success-story européenne), était éclaboussé par les scandales à répétition comme celui des écoutes secrètes dont les divulgations successives compromettent toujours un peu plus ce gouvernement tant vanté par les élites politico-médiatiques européennes (voir L’affaire des écoutes secrètes en Pologne : un test pour les institutions européennes).
Les clins d’œil de plus en plus insistants du parti de Bronisław Komorowski en direction de la gauche LGBT ont sans doute également nui au président sortant donné vainqueur dès le premier tour il y a seulement quelques mois. Les Polonais, contrairement aux Irlandais qui ont voté vendredi pour le « mariage gay », n’ont pas déserté les églises (ils sont toujours environ 40 % à se rendre à la messe dominicale, une proportion constante depuis le début des années 2000) et ne se laissent pas endoctriner aussi facilement par les nouvelles idéologies de l’extrême-gauche européenne : l’idée de « marier » deux personnes de même sexe, l’idée que chacun pourrait choisir son sexe et le prétendu « droit » de tuer un enfant dans le ventre de sa mère sont extrêmement impopulaires dans la patrie de Jean-Paul II, même si on ne peut pas en dire autant des médias dominants.
Par ailleurs, le président sortant a mené une campagne désastreuse et parfois très agressive face à un candidat conservateur jeune, dynamique et toujours maître de lui. L’hystérie grandissante des médias proches du pouvoir a pu dresser une partie des électeurs polonais contre les gens du « Système ».
Des irrégularités ont été signalées dans différents bureaux de vote, mais il semble, en tout cas pour le moment, que les autorités polonaises n’aient pas osé reproduire les fraudes électorales à grande échelle qui avaient caractérisé les élections municipales et régionales de novembre dernier (voir Des élections truquées en Pologne ? Vous avez bien dit en Pologne ?), soutenues qu’elles étaient par l’indifférence des élites politico-médiatiques européennes qui souhaitent surtout ne pas voir un autre parti véritablement conservateur et patriote prendre le pouvoir dans un pays européen quatre fois plus gros que la Hongrie.
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