Le samedi 7 mai avait lieu à Varsovie la grande manifestation du « Comité de défense de la démocratie » (KOD) contre le gouvernement conservateur (PiS) de Beata Szydło. Pour l’AFP, reprise par les grands journaux français, comme pour les leaders de l’opposition présents à la manifestation c’était la plus grosse manifestation en Pologne depuis la chute du communisme, avec 240 000 participants, et ce pourrait être le début d’un nouveau Maïdan. Sauf que l’AFP a repris les chiffres de la mairie de Varsovie dirigée par Hanna Gronkiewicz-Waltz, maire de Varsovie et vice-présidente du parti libéral PO (le parti de Donald Tusk), qui était elle-même parmi les personnalités en tête du cortège. Autant dire que le chiffre de la mairie était le chiffre des organisateurs puisque le parti PO affirme avoir été le principal organisateur de cette manifestation et que c’était lui qui avait visiblement amené le plus de manifestants en affrétant des cars dans tout le pays. La police, elle, estime qu’il y avait 45 000 manifestants et ce chiffre a été confirmé par plusieurs médias. Alors que la police a compté les participants sur la place Piłsudski, point d’arrivée de la marche de protestation, où ont eu lieu les discours des leaders de l’opposition et un concert gratuit, les journalistes de la télévision publique ont compté les manifestants pendant leur marche, à l’aide des images enregistrées par deux caméras situées sur leur passage. Et ils ont trouvé un nombre quasiment identique à celui de la police. Même des médias très anti-PiS et proche du PO comme le journal Fakt et la télévision TVN n’ont compté, malgré toute leur bonne volonté, « que » 100 000 manifestants.
Outre le PO, étaient également présents les partis Nowoczesna.pl (autre parti libéral créé avant les élections de 2015 pour récupérer les déçus du PO), le parti « paysan » PSL (partenaire minoritaire de la coalition gouvernementale PO-PSL, au pouvoir de 2007 à 2015), et le SLD social-démocrate (et post-communiste). Tous les principaux leaders de l’opposition étaient là, y compris Mateusz Kijowski, le leader du KOD à l’origine de la création de cette organisation en novembre 2015 par un appel sur Facebook. Mateusz Kijowski, père de quatre enfants, dont trois issus d’un premier mariage et pour lequel ce grand défenseur de l’État de droit en Pologne ne payait pas la pension alimentaire qu’il devait avant que les médias ne commencent à en parler en décembre dernier.
Les slogans de la marche de samedi, sur la volonté des Polonais de rester dans l’UE en dépit du PiS, s’inscrivaient dans la ligne de l’appel de Grzegorz Schetyna, leader du PO, en faveur d’un référendum pour rester dans l’UE. Ceci afin de faire croire que le PiS, qui gouverne, chercherait à faire sortir la Pologne de l’UE, ce qui n’est absolument pas le cas.
Parallèlement, il y avait samedi à Varsovie une manifestation organisée par les milieux nationalistes (dont le PiS ne fait pas partie) et qui a rassemblé au maximum quelques milliers de personnes qui protestaient contre la trahison de l’opposition quand celle-ci demande l’aide de Bruxelles contre le gouvernement polonais issu des élections d’octobre.
Les manifestations du KOD se succèdent depuis début décembre en Pologne. Le nombre des participants est systématiquement gonflé par les médias hostiles au PiS et par les agences de presse étrangères. Celle de samedi, même avec 45 000 participants, était de loin la plus importante à ce jour. La présence de nombreux membres de l’élite politico-médiatique qui se partageait le pouvoir jusqu’ici permet toutefois aux commentateurs de sensibilité conservatrice de parler d’une révolte des élites contre le peuple plutôt que le contraire.
Au départ, ce mouvement de « défense de la démocratie » est parti des atteintes supposées du PiS contre l’État de droit et les libertés, c’est-à-dire concrètement du conflit autour du Tribunal constitutionnel et de la prise de contrôle des médias publics avec la loi sur les médias de début janvier. Les appels à renverser la majorité issue des élections du 25 octobre dans la rue, lancés par certains leaders de l’opposition, semblent pourtant révéler une conception très particulière de la démocratie et de l’État de droit. Outre Kijowski, le leader du KOD, d’autres membres importants de ce mouvement manquent singulièrement de crédibilité dans ce domaine, comme Ryszard Petru, chef de Nowoczesna.pl, affaibli par les révélations sur les financements de sa campagne électorale (des révélations qui confirment au passage le soutien des banques et du monde des affaires à ce nouveau parti : est-ce à cause des nouvelles taxes sur les banques et sur la grande distribution introduites par le PiS, conformément à ses promesses électorales ?), et surtout les responsable du PO qui avaient non seulement, quand ils étaient au pouvoir, renvoyé quasiment tous les journalistes à sensibilité conservatrice ou trop critiques de la radio et de la télévision publiques, mais qui n’hésitaient pas non plus à exercer des pressions très fortes sur les médias privés d’opposition pour les faire taire. Quand au PSL et au SLD, ils ont un soutien marginal dans la population (le SLD n’est même plus représenté au parlement depuis les dernières élections).
Du reste, tous les sondages persistent à donner le PiS largement gagnant en cas de nouvelles élections, et la compétition se joue en fait sur le rôle de premier parti d’opposition, car si le PO est le plus gros parti d’opposition au parlement, il est régulièrement dépassé dans les sondages par Nowoczesna.pl. Du coup, des tensions entre les leaders des deux partis sont très nettement apparues pendant et après la manifestation varsovienne du 7 mai.
Pour ce qui est des manifestations du KOD et des appels en faveur d’une intervention de Bruxelles pour la défense de la démocratie et l’État de droit, le PiS peut par ailleurs compter sur le soutien du parti d’opposition Kukiz’15 (8 % aux élections législatives d’octobre). Paweł Kukiz, le rocker qui avait créé la surprise aux élections présidentielles de mai en obtenant 20 % de voix au premier tour, a même, en décembre dernier, dénoncé les financements du KOD en provenance de la fondation de George Soros, le financier américain d’origine hongroise qui avait déjà promis de renverser Viktor Orbán en Hongrie.
De fait, les manifestations du KOD rassemblent globalement des personnes aux vues plutôt libérales-libertaires ou gaucho-libertaires, progressistes, favorables à une forte intégration européenne, qui se dressent contre une majorité parlementaire conservatrice qui met l’accent sur les valeurs chrétiennes et la défense des intérêts nationaux sans remettre en cause l’appartenance à l’Union européenne. Pour les partisans du PiS, le simple fait que ces manifestations puissent se dérouler librement et sans incident (ce qui n’était pas toujours le cas à l’époque des gouvernements PO-PSL) est bien la preuve que la démocratie est respectée aujourd’hui en Pologne, même si cela traduit la difficulté de certains à accepter le verdict des urnes.
(Article publié sur le site Visegrád Post)
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