Le 16 novembre dernier, les Polonais élisaient leurs maires, leurs conseillers municipaux et les conseillers des voïvodies (régions). Pour la première fois depuis la transition démocratique de 1989-90, l’opposition parlementaire, de droite comme de gauche, conteste les résultats officiels et demande de nouvelles élections. Des voix se sont mêmes élevées pour exiger la présence d’observateurs de l’OSCE, chose inédite pour un membre plutôt respecté de l’Union européenne. On imagine ce qu’aurait pu être la réaction des médias européens si la chose avait eu lieu dans la Hongrie actuelle dirigée par Viktor Orbán. Mais dans la Pologne dirigée par la très europhile Plateforme civique (PO) du nouveau président du Conseil européen Donald Tusk, si les médias et les politiciens d’opposition crient à la fraude, cela ne mérite sans doute pas d’y prêter attention.
C’est d’ailleurs ce que semblent penser une majorité des députés au Parlement européen puisqu’ils ont refusé le 24 novembre de s’intéresser au déroulement des élections polonaises comme le demandait le groupe politique Conservateurs et Réformistes européens qui réunit notamment les Tories britanniques et le parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński. Ces mêmes députés européens, qui s’inquiètent régulièrement de l’état de la démocratie en Hongrie, n’ont donc pas jugé bon de relever les signaux très inquiétants qui leur viennent de Pologne, ce qui dénote une appréhension très particulière des exigences démocratiques. Il semble en effet que le danger pour la démocratie vu de Bruxelles et de Strasbourg ne provienne pas des irrégularités observées lors d’élections mais plutôt des choix, réels ou truqués, faits par les électeurs.
L’opposition polonaise a pourtant de bonnes raisons de s’inquiéter, et si les conservateurs du PiS et les sociaux-démocrates post-communistes du SLD disent la même chose, ce qui arrive extrêmement rarement, c’est peut-être qu’il est en train de se passer quelque chose. Car si le président Bronisław Komorowski (PO) et le nouveau premier ministre Ewa Kopacz (PO), qui a succédé à Donald Tusk, crient aux pyromanes, reprochant à Jarosław Kaczyński et à Leszek Miller, le leader du SLD, de mettre le feu à la maison et de chercher à discréditer la Pologne à l’étranger, depuis 21 ans que je réside en Pologne, je n’avais encore jamais vu plusieurs grands journaux titrer sur des élections volées ni les principales chaînes de télévision débattre pendant des heures pour savoir si les irrégularités et les bizarreries constatées mériteraient ou non de nouvelles élections.
La première surprise est venue des grosses différences constatées entre les sondages de sortie des urnes et les résultats finaux. Le dimanche 16 novembre au soir, tous ont cru à une nette victoire des conservateurs du PiS, accrédités de 31,5 % des voix contre 27,3 % à la PO, 17 % au partenaire de la PO au sein du gouvernement, le parti paysan PSL, et 8 % au SLD. Ces sondages avaient toujours jusqu’ici été si fiables que tous étaient d’accord pour leur donner foi et pour façonner les discours en fonctions de ces premiers résultats. Mais il y a eu ensuite les pannes du système informatique créé exprès pour ces élections… en seulement 3 mois. Il y a aussi eu les vulnérabilités de ce système acheté au rabais et dans lequel des petits malins s’amusaient à changer les résultats dans certaines municipalités, ou même à rajouter un candidat inexistant au poste de maire d’une commune en le faisant accéder au deuxième tour ! Si bien que l’on est repassé à la bonne vieille méthode du compte manuel, ce qui a retardé la publication des résultats de plusieurs jours.
Et les résultats définitifs publiés le samedi 22 novembre ont pour le moins surpris : par rapport aux sondages de sortie des urnes, le PiS n’arrive plus qu’à quelques dixièmes de point de pourcentage devant la PO, avec un peu plus de 26 % des voix pour chacun de ces deux partis aux élections régionales, tandis que le PSL réalise un score historique de plus de 23 %, lui qui oscille généralement dans les sondages entre 5 et 10 % (même s’il fait généralement mieux aux élections régionales : 16 % en 2010) et que l’on pensait usé par 7 ans de présence au gouvernement. Le PSL réalise même dans certaines circonscriptions de véritables prouesses, améliorant son score aux dernières élections locales et régionales de 300, 500, voire 1100 %, une chose qui n’avait absolument pas été relevée par les sondages de sortie des urnes ! Ceci permettra à la coalition au pouvoir depuis 2007 de conserver presque toutes les voïvodies.
Une autre curiosité de ces élections, c’est le nombre de votes nuls : 18 % pour le choix des conseillers régionaux, une proportion qui atteint 23 % dans certaines voïvodies et 60 % dans certains bureaux de vote ! Même si tous conviennent que les instructions de vote fournies par la commission électorale nationale manquait un peu de clarté, la méthode était la même qu’aux dernières élections européennes où il n’y avait eu que 3 % de votes nuls en moyenne : le bulletin de vote est un cahier où chaque feuille est la liste d’un parti et l’électeur doit cocher le nom d’un seul candidat sur la liste de son choix. Notons au passage que pour invalider un bulletin « mal rempli », il suffit donc d’ajouter une deuxième croix n’importe où. Notons aussi que la loi polonaise n’autorise pas tous les partis candidats à avoir des représentants dans toutes les commissions électorales locales et que les piles de bulletins de vote sont souvent réparties entre les membres de ces commissions pour que chacun en compte une partie, seul dans son coin ! Notons encore pour finir que sur la carte des résultats électoraux, il semble dans l’ensemble que plus la proportion de bulletins nuls est élevée, meilleur est le résultat du PSL !
Entre les bulletins comptés en trop ou perdus, avec dans certains cas des incohérences entre les résultats relevés sur les procès-verbaux de compte des votes qui se chiffraient en dizaines ou centaines de milliers au niveau régional, les photos prises par des électeurs époustouflés de sacs de bulletins de vote laissés sans surveillance après avoir été retirés des urnes et ces électeurs qui ne comprennent pas comment le candidat pour lequel ils ont voté a pu recueillir… 0 votes, la coalition PO-PSL, si elle conserve le pouvoir dans les régions, risque d’y perdre sa légitimité démocratique.
La mise en détention provisoire de deux journalistes qui relataient pour leur rédaction une manifestation organisée devant le siège de la commission électorale nationale envenime encore les choses et font ressembler ces élections un peu plus à ce dont on accuse d’habitude des pays comme la Russie ou la Biélorussie. Ces journalistes ont finalement été relâchés par décision de justice après plusieurs semaines de détention et alors que plusieurs personnalités importantes de la coalition gouvernementale demandaient qu’ils soient condamnés !
Les leaders de la PO qui s’offusquent aujourd’hui des accusations de fraudes massives et des appels lancés par le PiS au Parlement européen semblent avoir oublié qu’ils suggéraient eux-mêmes, lorsque le PiS était au pouvoir, de demander à l’OSCE de surveiller les élections sans pourtant avancer de raisons concrètes pour craindre des élections truquées, si ce n’est qu’avec le PiS « on ne sait jamais ». Et quand la gauche polonaise en la personne de Bronisław Geremek en avait appelé au Parlement européen à propos d’une loi votée par le PiS imposant aux députés de dévoiler leur collaboration passée avec la police secrète communiste, les accusations d’atteinte à la démocratie avaient fusé depuis Bruxelles. Le contraste dans l’attitude des élites politico-médiatiques européennes est tout simplement saisissant.
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