ou comment l’affaire a été (provisoirement) étouffée.
Article « Du TNT sur l’épave du Tupolev – Enquête de Smolensk : les Polonais qui ont examiné l’épave de l’avion y ont découvert des traces de matériaux explosifs », publié le mardi 30 octobre.L’information publiée la semaine dernière qui a fait le tour du monde avant d’être « démentie » par le parquet polonais a entraîné le licenciement de son auteur, Cezary Gmyz, et du rédacteur en chef du journal Rzeczpospolita. Si les médias étrangers se sont satisfaits de la déclaration d’ouverture de la conférence de presse des procureurs militaires polonais chargés de l’enquête (« il n’y a pas de présence attestée de traces de TNT et de nitroglycérine sur l’épave du Tu-154M »), la presse d’opposition polonaise se demande toujours ce que sont ces fameuses « particules ionisées condensées à haute énergie » que les procureurs disent avoir effectivement décelées lors des semaines qu’ils ont passées à examiner l’épave en octobre. Les procureurs n’ayant pas indiqué tous les instruments utilisés par l’équipe d’experts polonais dépêchée sur place, le journal conservateur Gazeta Polska s’en est chargé pour eux après avoir fait confirmer au parquet par courriel la liste de ces appareils, des appareils qui sont conçus pour détecter la présence de composés chimiques précis et non pas seulement celle de « particules à haute énergie ».
Des échantillons ont été prélevés en double exemplaire (un exemplaire pour les autorités russes, un pour les autorités polonaises) pour des analyses en laboratoire qui doivent permettre de contrôler les informations obtenues au moyen des détecteurs utilisés sur le terrain, mais comme nous l’avons mentionné dans l’article « Traces de matériaux explosifs découvertes sur des débris de l’avion du Président polonais : deux versions des faits », ces échantillons sont toujours en Russie et les autorités polonaises ne savent pas quand ils leur seront remis, s’ils le sont un jour.
Pour l’auteur de l’article sur les traces de TNT et de nitroglycérine, les enquêteurs polonais qui ont fait les analyses sur place en octobre savent très bien ce qui a été détecté par leurs instruments et la conférence de presse des procureurs militaires a été construite de manière à pouvoir donner l’impression de démentir l’information publiée par son journal, en déclarant que ces traces n’avaient pas été attestées (puisqu’on attend toujours les analyses de laboratoire) sans vraiment les démentir puisque les procureurs ont reconnu que les traces détectées pouvaient provenir de matériaux explosifs.
Mais dans ce cas, pourquoi Cezary Gmyz et son rédacteur en chef ont-ils été licenciés pour faute professionnelle grave ? Et pourquoi le jour-même de la publication sur les traces d’explosif le journal Rzeczpospolita a-t-il déclaré sur son site Internet « Nous nous sommes trompés », sans même consulter l’auteur de l’article, avant de nuancer sa rétractation quelques heures plus tard ?
Ce qui aura échappé aux médias étrangers, y compris aux médias français, c’est qu’en 2011, le journal Rzeczpospolita, qui appartenait à 51 % au fonds britannique Medcom et à 49 % à l’État polonais, était vendu à Grzegorz Hajdarowicz, le propriétaire d’un hebdomadaire en difficulté. Medcom avait souhaité racheter la part de l’État polonais, qui n’avait pas accepté, et avait aussi toujours refusé de changer le rédacteur en chef de son journal malgré les pressions du gouvernement de Donald Tusk qui acceptait mal le ton trop critique d’un journal réputé pour son sérieux et qui était souvent le journal le plus volontiers cité dans les médias polonais. Une fois Hajdarowicz aux commandes, le rédacteur en chef de l’époque a été tout de suite remercié comme le souhaitait le pouvoir politique. Un certain nombre de journalistes réputés du journal ont aussi dû partir dans les mois qui ont suivi le changement de propriétaire. Coïncidence ? Peut-être, mais ce vendredi le porte-parole du premier ministre a reconnu qu’alors que l’article sur les matériaux explosifs était sous presse Hajdarowicz était venu le voir en personne, dans la nuit, pour le prévenir de ce qui allait être publié. D’aucuns pensent donc aujourd’hui que la rétractation du journal Rzeczpospolita publiée immédiatement après la conférence de presse du parquet militaire, et aussi le licenciement du journaliste Cezary Gmyz (qui maintient toujours ses informations) et du rédacteur en chef Tomasz Wróblewski, sont deux éléments d’une même opération organisée par le pouvoir polonais pour discréditer une information qui, si elle était confirmée, obligerait très probablement le premier ministre et son gouvernement à démissionner en raison de leurs défaillances graves dans l’enquête sur le crash de l’avion qui emmenait le président Lech Kaczyński et sa délégation à Smolensk.
Un récent sondage a révélé qu’aujourd’hui les deux tiers des Polonais souhaiteraient qu’une commission d’enquête internationale puisse prendre en charge les investigations sur les véritables causes de cette catastrophe aérienne.
De notre correspondant permanent en Pologne.
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> Tragédie de Smolensk du 10 avril 2010 : faut-il une commission d’enquête internationale ?
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