Le journal libéral-libertaire Gazeta Wyborcza avait appelé dans son édition du week-end, en y consacrant l’ensemble de sa Une, à une grève des femmes et une grande journée de manifestations lundi. D’autres médias du même bord se sont joints à l’appel et, lundi, ils étaient, selon la police, près de cent mille au total répartis dans 143 manifestations qui se sont déroulées dans tout le pays. Ils étaient 20000 à Wrocław, 17000 à Varsovie (dont un petit millier devant le siège du PiS), 8000 à Poznań où 17 manifestants ont décidé d’attaquer les policiers avec des projectiles, faisant quelques blessés dans les rangs des forces de l’ordre. Parmi les fauteurs de troubles arrêtés, trois anarchistes déjà connus des services de police. Ils étaient plutôt remontés aussi place Zamkowy dans le centre de Varsovie, où le caractère agressif, vulgaire et même obscène de ces manifestations est clairement visible sur cette vidéo tournée par des militants pro-vie qui avaient organisé un happening avec photos d’enfants avortés et explications sur l’avortement des enfants trisomiques, principales victimes de la loi polonaise actuelle qui autorise les avortements en cas de malformation du fœtus.
Les autres manifestations, il suffit d’en regarder les images pour s’en convaincre, ressemblaient beaucoup à celle de la vidéo et les slogans agités au-dessus des têtes des manifestants atteignaient pour certains des niveaux de vulgarité rarement rencontrés dans les mouvements de protestation polonais.
Selon les partisans d’une loi anti-avortement plus sévère que la loi actuelle (voir ici à propos du projet de loi en débat), ce mouvement féministe est récupéré par une gauche et une extrême gauche qui se cherche un second souffle après avoir été exclue du parlement à l’issue des élections de 2015. Ils reprochent à cette gauche et aux médias comme Gazeta Wyborcza de recourir à de honteuses manipulations, en faisant croire que le projet de loi anti-avortement est une initiative du gouvernement du PiS (c’est une initiative citoyenne qui a recueilli 450 000 signatures), et en omettant de dire que ce n’est pas le PiS qui a proposé le rejet en première lecture de la deuxième initiative citoyenne (215 000 signatures) qui, elle, voulait légaliser l’avortement sur simple demande jusqu’à la 12e semaine. En effet, c’est le PSL, parti allié à la Plateforme civique (PO) dans la coalition qui gouvernait la Pologne de 2007 à 2015. La direction du PiS avait au contraire encouragé ses députés à envoyer les deux projets de loi citoyens en commission pour tenir sa promesse de ne jamais rejeter les initiatives citoyennes en première lecture comme le faisait la coalition PO-PSL. Le PiS n’impose toutefois pas de discipline de vote pour les sujets éthiques et de nombreux députés du PiS se sont joints aux députés des partis PSL et Kukiz’15 pour refuser de discuter toute libéralisation de l’avortement, faisant donc tomber le projet des organisations féministes.
Autre manipulation, celle qui consiste à faire croire que la vie des femmes enceintes serait sacrifiée ou menacée en cas de complications médicales, alors que le projet de loi citoyen prévoit clairement que les soins médicaux visant à sauver la vie de la femme enceinte ne tomberont pas sous le coup de la loi même s’ils entraînent la mort de l’enfant à naître. Les manifestants, et surtout les manifestantes car les femmes dominaient dans ces manifestations, semblaient pour beaucoup croire également que le PiS allait interdire les examens prénataux, ce qui n’est pas prévu dans le projet de loi, et que les femmes risqueraient la prison en cas de fausse couche, ce qui est bien entendu totalement faux. Et pour finir, les organisateurs des protestations semblent maintenir un flou volontaire sur leurs revendications, trompant ainsi une partie des manifestants, entre la volonté de maintenir le « compromis » sur l’avortement de 1993 et celle de libéraliser complètement l’avortement jusqu’à la 12e semaine de grossesse. A croire que dans une société polonaise majoritairement pro-vie, il n’aurait pas été possible de faire sortir dans la rue près de cent mille personnes (sur 38 millions d’habitants) en se contentant de leur exposer la réalité de l’initiative citoyenne pour une protection plus complète de la vie humaine dès la conception.
Quoi qu’il en soit, d’après les commentateurs proches du PiS, il est probable que le projet de loi citoyen soit « adouci » au cours des débats parlementaires, même si le PiS ne pourra sans doute pas, vis-à-vis de son électorat, faire l’économie de dispositions légales protégeant la vie des enfants touchés par la trisomie 21 ou d’autres handicaps compatibles avec la vie, qui représentent plus de 90 % des mille et quelques avortements réalisés chaque année en vertu de la loi actuelle. Le PiS se serait d’ailleurs bien passé de ce projet de loi citoyen dans le contexte actuel, même s’il avait soutenu des projets similaires alors qu’il était dans l’opposition, ce qui est toujours plus facile.
Pendant ce temps, le Parlement européen organisait mercredi, à la demande des socialistes, des libéraux et des verts, un débat sur les droits des femmes en Pologne, même si l’Union européenne n’a pas de compétence sur le sujet de l’avortement. Face à l’opposition, y compris au sein de la gauche, de députés de plusieurs pays, ce débat ne sera toutefois pas cette fois suivi du vote d’une résolution.
Article publié originellement sur le site Visegrád Post
Mise à jour du 6/10/2016 :
Hier mercredi la Commission de la justice et des droits de l’homme de la Diète polonaise a décidé, sur motion d’un député du PiS, de recommander le rejet du projet de loi citoyen dans sa totalité, décevant fortement une partie de l’électorat conservateur. Rappelons toutefois que le PiS n’imposera pas de discipline de vote dans ce domaine. Parallèlement, un projet d’amendement à la loi existante est proposé par les sénateurs du PiS pour exclure expressément la trisomie 21 des motifs autorisant l’avortement.
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